Le 16 décembre 1838, en Afrique australe, près de la rivière Ncome, une poignée de paysans afrikaners repoussent avec succès l'assaut d'une armée zoulou.
Afrikaners contre Anglais
La communauté afrikaner, forte d'environ 200 000 âmes, est née un siècle et demi plus tôt de la fusion de deux communautés protestantes : des paysans hollandais établis auprès du cap de Bonne Espérance et des huguenots chassés de France par la révocation de l'Édit de Nantes.
Le nom sous lequel ils sont connus est Boer, qui veut dire « paysan ». Mais le nom qu'ils revendiquent avec fierté est Afrikaner, qui signifie « Africain » dans leur langue, l'afrikaans, dérivée du hollandais.
En 1814, la Grande-Bretagne enlève la colonie du Cap aux Hollandais à la faveur des guerres napoléoniennes. Vingt ans plus tard, les Afrikaners décident de remonter vers le nord en quête de nouvelles terres pour échapper à la tutelle britannique. Ils reprochent aux Anglais de menacer leur autonomie religieuse et culturelle et surtout l'interdiction, en 1833, de l'esclavage. Il est vrai que les Afrikaners utilisent en abondance dans leurs fermes une main-d'oeuvre servile (Aborigènes du groupe Hottentot, Malgaches...).
De longs convois de chars à boeufs se mettent en route à travers le bush africain. Cette Grande Migration (« GrootTrek » en afrikaans) concerne un total de 20 000 individus (les « Voortrekkers »), regroupés en longs et lourds convois, chacun de quelques dizaines de chars bâchés conduits par plusieurs paires de boeufs. Elle va donner naissance aux « républiques boers » d'Orange, du Transvaal et du Natal, au nord et à l'est de la colonie du Cap. Elle se produit alors même que descend vers le sud un peuple noir aux solides vertus guerrières, les Zoulous.
Les Zoulous sont des Noirs de diverses origines qui ont été unifiés dans les années précédentes par un chef énergique, Chaka (on écrit aussi Tchaka ou en anglais Shaka, 1786-1828).
Chaka, fils d'un roitelet local, a été rejeté par son père et élevé dans la tribu de sa mère. Guerrier d'exception, il a constitué en deux décennies un armée d'environ 30 000 guerriers et un État voué à la guerre, aussi vaste que la France, au nord de la rivière Orange.
Devenu paranoïaque, il a fini par être assassiné, probablement par son demi-frère Dingane qui lui a succédé à la tête du peuple zoulou. À lui revient l'obligation d'affronter les Afrikaners.
Au cours de leur progression, les « Voortrekkers » pénètrent dans d'immenses régions vidées de leurs habitants suite aux guerres zoulous. Un groupe franchit la barrière montagneuse du Drakkensberg et s'établit dans la fertile région du Natal, au bord de l'Océan Indien. Mauvais choix. Ils sont pris en tenaille entre les établissements britanniques qu'ils voulaient fuir et le royaume zoulou de Dingane. Très vite surgissent des conflits à cause de quelques affaires de vol de bétail.
En février 1838, Piet Retief, un chef afrikaner se présente sans armes au camp du roi zoulou en vue d'ouvrir des négociations. Il est massacré ainsi que ses 60 compagnons. C'est désormais la guerre. Les guerriers de Dingane se lancent à l'attaque des fermes isolées et le 17 février 1838, à Blaauwkraus, massacrent dans d'horribles conditions 282 hommes, femmes et enfants.
La contre-attaque s'organise. En novembre 1838, un riche propriétaire du Cap, Andries Pretorius, atteint le Natal avec sa troupe. Les Afrikaners de la région le portent à leur tête.
A la tête de 468 hommes, Andries Pretorius décide aussitôt d'organiser une expédition punitive et prend la direction du royaume zoulou. Il prend soin à chaque étape de disposer les chars à boeufs de la troupe en cercle. C'est le « laager », une formation défensive propre aux Boers, très performante.
Le 14 décembre, le camp est établi dans un méandre de la rivière Buffalo, à l'abri d'un fossé naturel. Le lendemain se produisent les premiers accrochages avec l'armée zoulou, pas moins de dix mille assaillants sous le commandement de Dingane. Forts de leurs armes à feu et protégés par leurs 64 chariots en cercle, les hommes d'Andries Pretorius repoussent avec succès quatre vagues d'assaut en trois heures. A la fin, comme l'ennemi s'épuise, Pretorius ordonne une sortie à cheval. C'est la débandade. Les Boers tuent un bon tiers des Zoulous, trois mille environ, et n'ont eux-mêmes à déplorer que deux blessés.
Cette bataille inégale, reflet des avancées européennes sur le continent africain au XIXe siècle, est connue depuis lors comme la bataille de la « Rivière de sang » (Blood River en anglais, Bloedriver en afrikaans).
Symbole de la naissance de la nation afrikaner, elle a été commémorée chaque année jusqu'à la fin de l'apartheid (politique officielle de ségrégation raciale) dans les années 1990.
Un monument imposant a été érigé à son emplacement en 1949. Le chef du groupe afrikaner a aussi laissé son nom à l'actuelle capitale de la République sud-africaine, Pretoria.
Le grand Trek s'est étalé sur deux décennies, de 1834 à 1855. Il débouche sur la création d'États afrikaners indépendants, la république du Natal, l'État libre d'Orange et la République du Transvaal.
Mais ces républiques rurales et austères, repliées sur elles-mêmes, ne tardent pas à perdre leur tranquillité. La première est envahie par les Anglais dès 1843. Les autres, dont l'indépendance est reconnue par Londres dix ans plus tard, souffrent de l'immigration massive d'aventuriers de toutes origines après la découverte dans leur sous-sol de riches gisements diamantifères et aurifères.
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Bernard (16-12-2021 08:30:05)
Trois observations : 1/ Les Zoulous, sous la conduite du féroce et sanguinaire Chaka, puis de Dingane, ont écrasé et exterminé les autres tribus en les refoulant constamment vers le sud, où ces d... Lire la suite
Senec (13-12-2009 17:29:11)
Pourquoi parler de bataille inégale ? À 10.000 contre 468, les Zoulous n'avaient-ils pas leur chance ? L'inégalité était bien dans l'autre sens, me semble-t-il. De plus, les Zoulous ne semblaient... Lire la suite