15 juillet 1926

Inauguration de la Grande Mosquée de Paris

Le jeudi 15 juillet 1926, la Grande Mosquée de Paris est inaugurée par le président de la République et le sultan du Maroc au coeur de la capitale. Elle est destinée à rendre hommage aux 70 000 soldats nord-africains de confession musulmane morts durant la bataille de Verdun dix ans auparavant...

Pénélope Pélissier

La Grande Mosquée de Paris. Photographe : Chris Yunker.

Une subvention exceptionnelle

La République française a dès le début du XXe siècle pris conscience de ses responsabilités à l'égard de ses sujets musulmans (12 millions en Afrique du Nord, 7 millions au sud du Sahara). En 1911 a été ainsi créée une Commission interministérielle des affaires musulmanes (CIAM). Et dès 1906, le journaliste Paul Bourdarie a évoqué l'idée d'une mosquée à Paris même, ainsi que le note l'historien Michel Pierre (1926, une mosquée pour Paris, L'Histoire, n°460, juin 2019).

L'idée est relancée sitôt après la Grande Guerre avec la création en 1918 d'une association dite Comité de l'Institut musulman qui se donne pour mission d'édifier un institut culturel doté d'une mosquée « en reconnaissance et commémoration des dévouements musulmans qui ont si héroïquement contribué à arrêter le flot de la barbarie germanique. Et dans le désir d'améliorations constantes des rapports moraux et matériels de la France et de l'Islam, et tout à leur bénéfice réciproque ».

Si Kaddour Ben Ghabrit (Sidi Bel Abbès, 1er novembre 1868 ; Paris, 24 juin 1954). En agrandissement : Ben Ghabrit lors de l'inauguration.Le projet bénéficie de l'engagement de la CIAM et de Paul Bourdarie ainsi que de Si Kaddour Ben Ghabrit. Ce diplomate algérien fonctionnaire au Ministère des affaires étrangères français a contribué à l’accord fixant le protectorat français au Maroc.

Après avoir fondé une école franco-arabe à Tanger, Ben Ghabrit a lancé la Société des Habous et Lieux Saints de l’islam à Alger en 1917.

En mémoire de ses héros morts à Verdun, le gouvernement français s’investit pleinement dans ce projet. Les parlementaires votent une loi exceptionnelle le 19 août 1920 pour aider financièrement à construire l’édifice. Cette loi constitue une dérogation à la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, qui déclare que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

La mairie de Paris peut ainsi faire une subvention de 500 000 francs (332 624, 70 €) en toute légalité ; cette somme est complétée par les dons de fidèles de France et de l’étranger.

La ville donne aussi un terrain : celui de l’hôpital de la Pitié, dans le Ve arrondissement, situé au 2 bis, place du Puits de l’Ermite, au sein du Quartier latin, entre le Panthéon et le Jardin des Plantes. Les meubles et la décoration du lieu sont, quant à eux, fournis par le roi d’Égypte et le bey de Tunis.

Un architecte célèbre

Si Kaddour Ben Ghabrit choisit l’architecte : Maurice Mantout, un Français né en Algérie. Mantout est loin d’être un novice : c’est l’architecte particulier du sultan du Maroc Moulay Youssef. Pour lui, le jeune homme a réalisé un palais somptueux à Casablanca.

Moulay Youssef, sultan du Maroc (Meknès, 1881 ; Fès, 17 novembre 1927). En agrandissement : Moulay Youssef quitte son palais en voiture pour se rendre à la mosquée à Rabat. Source : Médiathèque de l'architecture et du patrimoine.En tant qu’architecte des monuments historiques, il a également restauré les remparts et les anciens palais de Meknès, ainsi que la porte de Bab El-Mansour. En outre, il a travaillé en 1912 pour le Résident général au Maroc, Hubert Lyautey, qui soutient sa candidature.

Le 19 octobre 1922, les travaux commencent sous la direction de la Société des Habous et des Lieux Saints de l’islam. La première pierre du bâtiment est posée en présence de plusieurs personnalités.

Le conseiller municipal Paul Fleurot déclare : « Nous ne saurions trop remercier nos frères africains de leur fidélité et de leur dévouement. Nombreux sont ceux dont le sang a coulé sur les champs de bataille (…) l’Institut musulman (…) sera comme un monument commémoratif élevé à la mémoire des soldats musulmans morts pour la France ».

Maurice Mantout n’est pas seul : il est accompagné de deux autres architectes, Robert Fournez et Charles Heubès. Ceux-ci suivent les plans de Maurice Tranchant de Lunel, un ami du maréchal Lyautey. Ambitieux, les architectes réalisent un complexe de style hispano-mauresque de 7500 m2. Un minaret de 33 mètres de hauteur surplombe l’édifice, futur lieu de pèlerinage pour les musulmans.

Au sein de l'édifice se trouvent un patio avec des jardins suspendus à l’andalouse, des fontaines en marbre, une porte en bois de cèdre, des couloirs et un sol constitué de mosaïques. À cela s’ajoutent une salle de prière ornée de tapis colorés et d’un lustre de 500 kg, une salle d’ablutions (actuellement un grand patio), mais aussi un hammam (réservé aux femmes) dissimulé par six coupoles, une bibliothèque, une salle de conférences aux teintures en fils d’or, un restaurant halal, et même un salon de thé. Tous les décors sont réalisés par 450 artisans et artistes marocains.

Les jardins de la Grande Mosquée de Paris. En agrandissement : le salon de thé. Photographe : Guilhem Vellut.

Une inauguration en grande pompe

La Grande Mosquée de Paris est consacrée par un imam en présence du président Gaston Doumergue et du sultan au cours d'une cérémonie fastueuse. Les deux chefs d'État sont accompagnés des ambassadeurs turcs, perses et afghans. Aristide Briand, ministre des Affaires étrangères, décerne la Légion d’Honneur à Maurice Mantout.

Le patio de la Grande Mosquée. En agrandissement : l'inauguration de la Grande Mosquée de Paris. Photographes : Albert Harlingue et Selva Leemage.Le même jour, un médecin algérien lance une idée : réaliser un hôpital pour les musulmans d’Ile-de-France. C’est Mantout et Léon Azéma qui seront les concepteurs de cet hôpital franco-musulman (actuel hôpital Avicenne, situé à Bobigny).

L’inauguration est fortement médiatisée en France. Le Petit Journal et le Petit Parisien s’enthousiasment : la Mosquée est une « incomparable vision orientale », semblable « aux plus belles mosquées de l’Orient ». Quant à la Galerie algérienne de Paris, elle fait l’éloge du talent de Mantout, qui l’aurait « convertie à son art », et déclare que les « colonnes (…) donnent l’illusion que l’on se trouve à cent lieues de Paris, quelque part… dans le Hedjaz ».

Hubert Lyautey (Nancy, 17 novembre 1854 ; Thorey, 27 juillet 1934).Mais chacun retiendra surtout la formule mémorable du maréchal Lyautey : « Quand s’érigera le monument que vous allez construire, il ne montera vers le beau ciel de l’Île-de-France, qu’une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses ».

Le 12 août 1926 marque le second temps de cette inauguration. Sidi Mohamed el Habib, bey de Tunis, présente officiellement la bibliothèque et la salle de conférence à l’État français.

Durant la Seconde Guerre mondiale, alors que la France est occupée, la Grande Mosquée de Paris abritera des juifs et des résistants.  

Aujourd’hui, mise à part la salle de prières, l’ensemble de la Grande Mosquée de Paris peut se visiter tous les jours sauf le vendredi. On y trouve une librairie et une boutique de souvenirs. La mosquée a obtenu le label « Patrimoine du XXe siècle ». Elle reste un lieu hautement symbolique : c’est là qu’est proclamée chaque année la date de début du Ramadan pour toute la France. 

Porte de la Grande Mosquée donnant sur les jardins. En agrandissement : la porte d'entrée. Photographe : Guilhem Vellut

Publié ou mis à jour le : 2023-08-27 09:55:58
Jean Loignon (09-07-2023 12:19:58)

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