10 août 1539

Ordonnance de Villers-Cotterêts

Entre le 10 et le 15 août 1539 (note), le roi François Ier signe une ordonnance de 192 articles dans son château de Villers-Cotterêts.

Cette ordonnance très importante institue en premier lieu ce qui deviendra l'état civil avec l'obligation faite aux curés d'enregistrer les baptêmes. Elle établit par ailleurs que tous les actes légaux et notariés seront désormais rédigés en « langage maternel français et non autrement ». Jusque-là, ils l'étaient en latin, la langue de toutes les personnes instruites de l'époque.

André Larané

Première page de l'ordonnance de Villers-Cotterets (1539, BNF)

Une administration plus accessible

L'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui a été rédigée par le chancelier Guillaume Poyet, est parfois connue sous le nom de Guilelmine.

- naissance de l'état civil :

Dans son article 51, elle exige en premier lieu des curés des paroisses qu'ils procèdent à l'enregistrement par écrit des baptêmes, autrement dit des naissances, avec dépôt des registres au greffe du bailliage ou de la sénéchaussée (chez le représentant du roi). L'article 175 fait aussi obligation aux notaires de tenir registres et protocoles des testaments et contrats.

Par une ordonnance ultérieure signée à Blois en 1579, le roi Henri III demande également aux curés d'enregistrer les mariages (« pour obvier aux abus et inconvénients, qui adviennent des mariages clandestins ») et les sépultures. C'est une innovation essentielle par laquelle se renforce le contrôle de la population par les autorités.

En avril 1667, enfin, une ordonnance de Louis XIV promulguée à Saint-Germain-en-Laye prescrit la tenue en double des registres paroissiaux et l'inscription des actes sur ces registres à la suite les uns des autres, sans ménager d'espace ni de blanc entre eux, cela dans le souci d'éviter les fraudes et pour pallier les pertes de registres. 

Deux siècles plus tard, par le décret du 20 septembre 1792, l'Assemblée législative déchargera les curés de ces obligations pour les confier aux officiers municipaux, les maires et leurs adjoints. C'est la naissance officielle de l'état civil.

Une décennie plus tard, sous le Consulat, la loi du 11 Germinal An XI (20 mars 1803) dispose : « Les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus dans l’histoire ancienne pourront seuls être reçus, comme prénoms, sur les registres destinés à constater la naissance des enfants ; et il est interdit aux officiers publics d’en admettre aucun autre dans leurs actes. » L'objectif est de faciliter l'identification des individus et renforcer la cohésion nationale.

Cette laïcisation de l'état civil se fait dans la douleur car, à la différence des curés, les officiers municipaux, dans les campagnes, maîtrisent rarement l'écriture. Ce « sont de petits propriétaires cultivateurs, des fermiers ou des artisans, qui ne savent que signer leur nom et non écrire ou qui écrivent illisiblement et sans orthographe et dont il est impossible de lire l’écriture », déplore en 1820 le procureur général de Caen (note).

- la langue maternelle plutôt que le latin :

Les dispositions précédentes visent à apporter de la clarté dans le droit ainsi que l'énonce l'article 110 : « Et afin qu'il n'y ait cause de douter sur l'intelligence desdits arrêts, nous voulons & ordonnons qu'ils soient faits & escrits si clairement, qu'il n'y ait ne puisse avoir aucune ambiguité ou incertitude ni lieu à en demander interprétation ».

Dans le droit fil de l'article précédent, l'article 111 se rapporte à l'emploi du français. Il énonce joliment : « Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus dans lesdits arrêts, nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures, soit de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soit de registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques actes et exploits de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties, en langage maternel français et non autrement ».

De cet article, il découle que tous les sujets du roi pourront comprendre les documents administratifs et judiciaires.... sous réserve néanmoins qu'ils lisent et écrivent la « langue d'oïl » pratiquée dans le Bassin parisien et sur les bords de la Loire.

Notons que ces articles 110 et 111 sont les plus anciens textes législatifs toujours en vigueur en France.

Comment le français a séduit les élites

L'ordonnance de Villers-Cotterêts est d'autant plus importante qu'à la différence de la plupart des autres nations européennes (Angleterre, Allemagne, Espagne....), la France est une construction politique sans unité linguistique à l'origine.

Les élites du royaume, conscientes de cette faiblesse, n'ont pas attendu l'ordonnance pour faire leur la langue française, même dans les provinces les plus éloignées, et ainsi se rapprocher du pouvoir central. Ainsi, en 1448, peu après sa création, le Parlement de Toulouse décide de son propre chef qu'il n'emploierait plus que la langue d'oïl dans ses travaux et ses écrits, bien que cette langue fût complètement étrangère aux parlementaires et à leurs concitoyens ; plus étrangère que peut l'être aujourd'hui l'anglais pour les Français !

Notons aussi que le premier acte notarié en français a été rédigé en 1532 (sept ans avant l'ordonnance de Villers-Cotterêts) à... Aoste, sur le versant italien des Alpes !

Le recul du latin

L'ordonnance de Villers-Cotterêts coïncide avec l'éveil, partout en Europe, des langues nationales. C'est ainsi que le 18 août 1492 (année admirable !), l'humaniste Antonio de Nebrija publie une Grammaire castillane. C'est la première grammaire de langue vernaculaire éditée en Europe.
En 1539, l'année de la fameuse ordonnance, est aussi publié le Dictionnaire français-latin de Robert Estienne (Dictionarium latinogallicum). C'est le premier dictionnaire qui va du français vers le latin et non l'inverse, signe manifeste du recul du latin dans l'usage courant ! Dix ans plus tard, Joachim du Bellay publie Défense et Illustration de la langue française, manifeste des poètes de la Pléiade.
Le latin va néanmoins demeurer longtemps encore la langue des échanges internationaux. C'est en latin qu'écrivent et communiquent les humanistes du XVIe siècle comme Érasme. C'est aussi en latin que communiquent les hauts représentants de l'Église catholique. Soucieuse de son universalité, celle-ci restera attachée à l'emploi du latin dans les offices jusqu'au concile de Vatican II. Dans les États autrichiens et en Hongrie, où cohabitent des peuples très divers, le latin va demeurer la langue administrative jusqu'au tournant du XIXe siècle, ce qui aura l'avantage d'éviter des querelles de préséance entre les langues vernaculaires (l'anglais joue le même rôle aujourd'hui dans l'Union indienne).

Comment le français a conquis le peuple

Ordonnance de Villers-Cotterêts, 1539, Paris, Archives nationalesDans La mort du français, un essai passionné autant que passionnant publié en 1999, le linguiste et écrivain Claude Duneton rappelle que l'anglais, l'allemand, le castillan ou encore le toscan, qui sont aujourd'hui les langues officielles du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de l'Espagne et de l'Italie, étaient déjà comprises par la majorité de la population, dans ces pays, au XVe siècle, avant que Chaucer ne jette les bases de la langue anglaise moderne ou que Luther ne traduise la Bible en langue allemande.

Rien de tel en France ! À l'exception de l'Ile-de-France et du val de Loire, toutes les provinces ont usé dans la vie quotidienne, jusqu'au début du XXe siècle, de langues plus ou moins éloignées du français de Paris.

En 1880, la moitié des enfants apprenaient encore le français comme une langue étrangère, selon l'historien Eugen Weber (La fin des terroirs).

L'unité linguistique n'a été à peu près achevée qu'au milieu du XXe siècle, grâce à l'attrait qu'exerçait le pouvoir central sur les élites locales et à la pression exercée sur les enfants du peuple par les fonctionnaires et les instituteurs de l'école laïque.

De vieilles personnes se souviennent encore du bâton que le maître mettait le matin entre les mains du premier enfant surpris à « parler patois » (ou breton, alsacien, basque, flamand, ou corse, picard, ou provençal...). Le porteur devait à son tour donner le bâton au premier camarade qu'il surprendrait lui-même à « parler patois ». À la fin de la journée, le dernier porteur de bâton était puni. Ce procédé inquisitorial s'est révélé très efficace pour faire de la langue française le patrimoine commun et le principal facteur d'unité du peuple français.

Publié ou mis à jour le : 2023-10-25 10:32:43

Voir les 11 commentaires sur cet article

Jean-Michel Duprat (01-11-2023 16:24:31)

" ... Dix ans plus tard, Joachim du Bellay publie Défense et Illustration de la langue française ..." Ouf ! Merci pour cet encadré . Si l'ordonnance de Villers-Cotterêts est, à juste titre, consi... Lire la suite

Jean LOIGNON (01-11-2023 15:07:38)

L'édit de Villers-Cotterêts a été précédé de 4 ans par un autre événement qui s'inscrit dans le même élan de promotion de notre langue : la traduction et l'édition en 1535 de la Bible en f... Lire la suite

Feisstritz (19-10-2023 10:30:42)

À la liste de Monique, j'ajouterais "happy hour", pourquoi pas le remplacer, en aussi court, par "heures gaies", ou meilleures heures" ou "moments privilégiés" ou bien d'autres encore tellement not... Lire la suite

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