Émilie du Châtelet (1706 - 1749)

Première «femme savante»

Figure singulière du « Siècle des Lumières », Émilie de Breteuil, plus tard marquise du Châtelet, est morte à 43 ans des suites d'un accouchement. Elle a dû de figurer dans les livres d'Histoire comme l'égérie de Voltaire. Il n'empêche qu'elle fut surtout l'une des premières femmes au monde à se vouer aux sciences, sinon la première.

Émilie du Châtelet a attendu deux siècles et demi d'être réhabilitée dans sa plénitude de femme libre et d'éminente scientifique, grâce au livre que lui a consacré Élisabeth Badinter, Émilie, Émilie, l'ambition féminine au XVIIIe siècle (Flammarion, 1983)...

Camille Vignolle
Le petit monde d'Émilie

21 novembre 1694 : naissance du futur Voltaire à Paris
17 décembre 1706 : naissance à Paris d'Émilie de Breteuil
1er septembre 1715 : mort de Louis XIV et début de la Régence
20 juin 1725 : mariage d'Émilie avec le marquis du Châtelet
20 mars 1727 : mort d'Isaac Newton
1733 : début de la liaison d'Émilie avec Voltaire
1735 : séjour à Cirey avec Voltaire
9 septembre 1749 : mort d'Émilie du Châtelet
10 mai 1774 : mort de Louis XV
30 mai 1778 : mort de Voltaire

Une femme extrême en tout

Fille du baron de Breteuil, Émilie appartient à la riche noblesse de robe. Son père lui donne, fait rare, la même éducationqu'à ses garçons et Émilie saisit cette chance pour s'instruire avec avidité sur tous les sujets. Surdouée, elle s'initie à de nombreuses langues et à toutes les disciplines scientifiques. Elle manifeste aussi de grands talents en équitation comme au clavecin ou au théâtre.

Elle épouse le 20 juin 1725, à 18 ans, le marquis du Châtelet, un militaire de la noblesse d'épée, dont elle aura rapidement trois enfants avant de convenir avec lui de mener des vies séparées.

Émilie est non seulement intelligente, spirituelle et érudite mais aussi avide de bijoux et de fanfreluches (Voltaire la surnommera « Madame Pompon Newton »). Elle aspire à tous les plaisirs sensuels, des jeux d'argent à l'amour en passant par la comédie.

Sans être d'une grande beauté, elle prend des amants comme le mathématicien Maupertuis, qui l'initie aux mathématiques, et le duc de Richelieu, l'un des courtisans les plus en vue. Celui-ci lui fait connaître Voltaire qui, à son tour, au printemps 1733, tombe dans ses rets. L'écrivain, de 12 ans plus âgé qu'elle, est alors au summum de la séduction, tant par l'esprit que par la physionomie.

Avec Maupertuis, la jeune marquise fréquente les membres de l'Académie des Sciences. Elle s'habille en homme pour les retrouver dans leur café favori où les femmes, comme dans tous les cafés de l'époque, ne sont pas admises ! Elle s'initie aussi aux travaux du savant anglais Isaac Newton, mort peu avant, en 1727, et entame la traduction de ses oeuvres.

Voltaire, son nouvel amant, est tout autant qu'elle passionné par Newton dont il a découvert l'oeuvre lors de son séjour forcé en Angleterre.

Mais cet auteur à succès, richissime par ailleurs, a maille à partir avec la police du roi Louis XV suite à la publication de ses Lettres philosophiques ou Lettres anglaises en 1734. Il quitte Paris et finit par atterrir dans un château délabré que possède le mari d'Émilie à Cirey-sur-Blaise, dans le duché de Lorraine, qui est alors virtuellement indépendant et gouverné par le duc Stanislas Leszczynski, beau-père du roi de France.

L'écrivain rénove à ses frais le château (aujourd'hui en Haute-Marne, au sud de Saint-Dizier). Il s'y établit avec l'accord du propriétaire.

Sa maîtresse l'y rejoint à l'été 1735 et, ensemble, ils vont y passer près d'une dizaine d'années consacrées à l'amour, au théâtre et à l'étude (philosophie, sciences...).

Voltaire, qui se pique de science, se fait même aménager un laboratoire mais il y brillera beaucoup moins que dans ses travaux de plume.

La science avant tout

Émilie, agnostique, ne se soucie guère de la vie éternelle promise par l'Église mais voudrait survivre dans la mémoire des hommes à travers son oeuvre.

Elle se jette à corps perdu dans la science, ce qui justifie de la qualifier de première « femme savante » de l'Histoire, au sens propre et sans l'ironie que Molière a attachée à cette expression.

À l'été 1737, elle a l'audace de concourir à l'Académie royale des sciences en présentant un mémoire sur la nature du feu (qui ne sera pas primé).

Mais elle intervient aussi avec brio dans un duel entre les tenants de Newton et ceux de Leibniz.

Ce contemporain de Newton, né à Leipzig (Saxe), a conçu une oeuvre immense comme son homologue anglais (même si aucune pomme ne lui est tombée sur la tête...).

Il a notamment formulé l'hypothèse que l'énergie d'un objet, longtemps nommée « force vive » avant de s'appeler « énergie cinétique », était proportionnelle à sa masse... et au carré de sa vitesse.

En attendant, Émilie réussit à en faire la démonstration expérimentale dans son château de Cirey, en faisant tomber une bille de plomb dans de l'argile molle à partir de hauteurs variables.

Elle n'en reste pas moins passionnée par l'oeuvre de Newton...

Sombre pressentiment

En 1748, la marquise rencontre à la cour du roi Stanislas, à Lunéville, le jeune et beau chevalier de Saint-Lambert, poète à ses heures, de dix ans son cadet. Elle en tombe amoureuse... et enceinte. Nourrie d'un terrible pressentiment, elle se hâte de terminer son oeuvre clé, la traduction et le commentaire du latin en français du premier livre des Principes mathématiques de la philosophie naturelle d'Isaac Newton, communément appelés les Principia.

Enfin, elle accouche d'une fillette le 5 septembre 1749, dans des conditions difficiles. Elle n'a que le temps de boucler son manuscrit et de le faire envoyer à la bibliothèque du roi avant de rendre l'âme quatre jours plus tard (la fillette mourra quelques années plus tard).

Voltaire, très affecté par la disparition de sa maîtresse, quitte la France pour le château de Sans-Souci, à Potsdam, où l'a invité le roi de Prusse Frédéric II. Il s'occupe par ailleurs de faire publier le manuscrit d'Émilie. Les Principes vont faire connaître à la communauté scientifique européenne l'oeuvre de Newton et resteront jusqu'à la fin du XIXe siècle un manuel de référence.

Émilie repose aujourd'hui dans l'église Saint-Jacques, à Lunéville. « Le caractère de Madame du Châtelet était d'être extrême en tout », résume fort justement l'abbé Raynal.

Publié ou mis à jour le : 2021-12-20 00:48:49
Kouch (15-11-2013 10:32:44)

Sans rien enlever à l'exceptionnel mérite d'Emilie du Châtelet, il a dû y avoir d'autres femmes, oubliées ou anonymes, peut-être aussi dans d'autres cultures, qui ont développé une maîtrise d... Lire la suite

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