15 novembre 2010

L'histoire-géo est-elle soluble dans les QCM ?

Le ministère français de l'Éducation nationale a publié en catimini en août 2010 les futurs programmes d'histoire-géographie de la classe de première.

Nous craignons qu'ils dénaturent l'enseignement en faisant disparaître la chronologie et, plus grave, remplacent les dissertations par des QCM (questionnaires à choix multiples) ou des jeux type Questions pour un champion.

Dans le cadre de la réforme de l'histoire-géographie, les programmes de la classe de première pour la rentrée 2011 étaient très attendus : comment, en diminuant le nombre d'heures et en concentrant les programmes de terminale et de première sur la seule classe de première, le ministère de l'Éducation nationale allait-il s'y prendre pour maintenir l'étude de l'époque contemporaine ?

Le défi était d'autant plus dur à relever que le nouveau programme de seconde, comme l'ancien, court jusqu'au milieu du XIXe siècle. Ce programme de seconde, avons-nous précédemment écrit, serait convenable s'il n'impliquait de traiter en première la période 1850-2000 en une demi-année, l'autre moitié étant consacrée à la géographie. Cela fait soit 57 à 62 heures d'après les prévisions officielles, qui plus est avec des élèves par définitions moins matures que ceux de terminale.

La chronologie, c'est ringard !

On se demandait donc quels choix allaient faire les concepteurs du programme de première. Pour enseigner correctement l'époque contemporaine (1850-2000) en si peu de temps, il eut fallu avoir le courage de sacrifier certaines périodes. Au lieu de cela, le ministère propose tout au programme... hors la chronologie qui disparaît, ce qui est pour le moins gênant en Histoire.

Citons en guise de détente les justifications dont le grand style cache mal le vide : «Le programme d'histoire de la classe de première est conçu en cohérence avec celui de la classe de seconde, dans le cadre d'un tronc commun sur deux années :
- il est dans son prolongement chronologique : consacré au XXe siècle, il prend la suite d'une mise en perspective sur le temps long, de l'Antiquité au XIXe siècle ;
- il se situe également dans sa continuité en termes d'objectifs d'apprentissage, tant sur le plan des connaissances à acquérir que sur celui des capacités et des méthodes à approfondir.»

L'enseignement est réparti autour de cinq thèmes : 1) croissance économique, mondialisation et mutations des sociétés depuis le milieu du XIXe siècle, 2) la guerre au XXe siècle, 3) le siècle des totalitarismes, 4) colonisation et décolonisation, 5) les Français et la République.

Chacun de ces thèmes est structuré autour de deux questions intégrant trois ou quatre points à aborder. On remarque immédiatement que, s'il suit ces thèmes dans l'ordre, l'enseignant est amené à traiter la Seconde Guerre mondiale avant d'avoir parlé des totalitarismes qui l'ont provoquée !

Conscients du problème, les rédacteurs ont ajouté cette précision à la fin : «Le professeur peut articuler les thèmes et les questions dans un ordre différent de celui de leur présentation, à l'exclusion du thème 1 qui ouvre obligatoirement la mise en œuvre du programme». Autrement dit, «nous comptons sur vous pour limiter les dégâts et rattraper nos erreurs en ne procédant pas par questions, mais en restaurant subrepticement la chronologie».

Sauf qu'il est impossible de procéder (chrono)logiquement, en raison du poids excessif accordé à l'étude de cas. Cette dernière n'est pas critiquable en soi, à condition de venir illustrer un phénomène. Or, elle est ici utilisée pour abréger le traitement des périodes et des phénomènes.

Ainsi la guerre froide est-elle à étudier comme «La guerre froide, conflit idéologique, conflit de puissances : un lieu (Berlin 1945-1989), une crise (Cuba 1962), un conflit armé (la guerre du Vietnam)». Ce choix risque de laisser des blancs dans la culture historique de nombreux élèves. De même, la Première Guerre mondiale (1914-1918) se résume à «L'expérience combattante dans une guerre totale», la seconde (1939-1945) à «La Seconde Guerre mondiale : guerre d'anéantissement et génocide des Juifs et des Tziganes».

En somme, on attend de cette année qu'elle donne aux élèves des repères sommaires, non qu'elle leur explique des processus complexes, qui nécessitent par définition plus de temps.

Quelles épreuves ? Des QCM ?

Cette disparition du fil chronologique pose le problème des exercices. À ce jour, on ne sait pas encore à quoi ressemblera l'épreuve d'histoire-géographie au baccalauréat, mais on voit mal comment elle pourrait prendre la forme de la dissertation. Impossible en effet de donner un sujet sur «la Guerre Froide» ou sur la «décolonisation» de telle à telle année, si l'élève n'a étudié qu'un exemple et non les évolutions en profondeur.

Or, la dissertation est, dans la tradition française, le moyen de s'assurer qu'un élève est capable de structurer sa pensée et de répondre de manière autonome sur un sujet complexe. Depuis longtemps, elle perd malheureusement du terrain au profit de l'étude d'un ensemble documentaire, suite de questions souvent peu intéressantes et qui visent à limiter au maximum la réflexion globale du candidat. Le seul intérêt pédagogique pour les bons élèves est précisément d'apprendre à faire une bonne réponse à une question stupide ou mal posée.

Les nouveaux programmes risquent d'accélérer cette tendance, et on peut craindre de voir se multiplier les questions de connaissance du type : «Que se passe-t-il à Cuba en 1962 ?». Une telle évolution serait en réalité la mort de l'histoire-géographie en tant que discipline scolaire chargée d'apprendre aux élèves à produire une réflexion structurée. S'il ne reste plus que le contenu (et quel contenu !), la matière histoire-géographie perdrait son sens dans le contexte scolaire où elle est pourtant fondamentale et pourrait se réduire à un entraînement aux jeux télévisuels.

Le modèle de cette évolution est à chercher dans les séries STG (sciences et technologies de la gestion, ancien bac G), précisément conçues pour être moins exigeantes en histoire-géographie que les séries générales. Il s'agit très exactement d'un nivellement par le bas. Le problème n'est pas que les élèves ne savent ou n'apprennent rien, mais qu'on ne veut rien leur enseigner de consistant, ni exiger aucun effort de leur part.

Yves Chenal.

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Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14

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