Fernandel (1903 - 1971)

L'enfant de Marseille

Photographie de Fernandel prise par le studio Harcourt, Paris. En agrandissement : Fernandel donnant une interview en mars 1970. Photographie d'André Cros, Archives de Toulouse.Fernandel est mort il y a 50 ans, le 26 février 1971, à Paris. Cet acteur qui se définissait comme « chevalin » a fait rire la France entière pendant cinq décennies, sur les scènes de music-hall ou au cinéma.

Mais il ne faut pas oublier, derrière son rôle de comique, des interprétations plus sombres, notamment dans Naïs (Marcel Pagnol, 1945) ou Heureux qui comme Ulysse (Henri Colpi, 1970).

Fernandel, c’était aussi un parler marseillais, un accent chantant représentatif d’une province vue comme exotique. C’était surtout une certaine France qui paraît aujourd’hui bien lointaine. 

Patrick Glâtre
Un rire communicatif

Fernand Contandin est né à Marseille le 8 mai 1903. Son père, Denis Contandin, est comptable, mais aussi comédien-chanteur sous le pseudonyme de Sined (Denis à l’envers). Sa mère, Désirée Bédouin, est sans profession mais elle exerce, elle aussi, le métier de comédienne, en amatrice. La légende raconte qu’elle aurait déclamé à la naissance de son bambin qu’elle n’avait jamais vu un « caganis » aussi raté (nom que les Marseillais donnent au dernier né de la famille).

Fernand n’en nourrira aucun complexe, transformant sa ressemblance à un cheval en un atout. À l’âge de 5 ans, il découvre le chanteur Polin et c’est pour lui une révélation. Il fera le même métier que lui : comique troupier. Depuis le conflit de 1870, ce genre est à la mode, on préfère rire de la guerre plutôt que de se lamenter de la défaite douloureuse qui continue de faire payer un lourd tribut à la France, aux dépens de la Prusse. 

En 1914, lorsque son père rejoint les tranchées, Fernand accumule les petits boulots dans une banque, une savonnerie… Après la Première Guerre mondiale, il reprend son costume de soldat de première classe. Dans la lignée de son maître, Polin, il fréquente les scènes des café-théâtre et triomphe avec quelques tubes restés dans la postérité, comme « La Caissière du grand café ».

Pagnol et la méridionalité

Lorsque Polin meurt, en 1927, Fernand prend naturellement sa suite. Il se fait dorénavant appeler « Fernandel », un surnom né des propos de sa belle-mère qui le voyant venir fréquenter sa fille, la sœur du parolier Jean Manse, s’exclamait en public « Voilà le Fernand d’elle ! ».

En 1928, il triomphe à Bobino. La mode est à la galéjade, la gaudriole et autres grivoiseries. Le public aime son accent, sa diction impeccable qui renforce l’effet comique des dialogues. « Nous les chanteurs du Midi, nous avons un avantage non négligeable, nous prononçons toutes les syllabes, justifiait-il. Nous articulons... »

Cet accent, Fernandel l’assume et le revendique dans l’un de ses sketchs : « Non, je ne rougis pas de mon si bel accent. Je veux qu’il soit sonore, éclair, retentissant et m’en aller tout droit, l’humeur toujours pareille, emportant mon accent sur le coin de l’oreille ». 

Affiche du film Angèle de Marcel Pagnol(1934). En agrandissement : affiche du film Regain de Marcel Pagnol (1937).Au début des années trente, la culture française baigne dans le régionalisme et l’avènement du parlant au cinéma renforce le succès du parler provençal à l’écran. L’acteur marseillais y fait donc merveille et sa rencontre avec Marcel Pagnol va être en cela déterminante.

Le réalisateur et écrivain, auteur de la trilogie Marius, Fanny et César, l’a repéré dans un tout petit rôle et a deviné immédiatement qu’il avait un vrai comédien en face de lui. Il lui confie un rôle dramatique dans Angèle, malgré les réticences de la production qui ne voit en Fernandel qu’un comique niais et idiot. Le triomphe est immédiat et une grande amitié va lier les deux hommes. Tous deux cultivent ce qu’ils appellent leur « méridionalité ».

La crise économique des années trente a trahi la confiance des Français dans la finance et il est de bon ton de se replier sur les valeurs du terroir et de représenter la diversité culturelle française.

L’exotisme se situe tout autant dans le Midi de la France que dans les colonies. « Lorsqu’on tournait avec Pagnol, racontait Fernandel, ce n’était pas du cinéma qu’on faisait, non. On jouait aux boules, on déjeunait le matin, on déjeunait le midi. Souvent, le soir, on n’avait pas tourné. On se disait « À demain ». Et le lendemain, on repartait... C’est comme ça qu’on a fait des films. On a fait des films, avec Pagnol, en amis. Nous nous rencontrions et, si on avait le temps, on faisait du cinéma ! »

Le temps, ils le trouveront pour réaliser cinq films ensemble : Angèle (1934), Regain (1937), Le Schpountz (1939), La Fille du puisatier (1940) et Topaze (1951).

À la cour de François 1er

À la fin des années trente, l’acteur excelle dans des comédies franchouillardes filmées à la chaîne, jouant jusqu’à sept films par an. Il porte à chaque fois des patronymes qui en disent long sur le sérieux des intrigues : Ignace Boitaclou, Urbain Gédémus, Hercule Maffre, Irénée, Barnabé, Ernest...

Affiche du film François Ier de Christian-Jaque (1937). En agrandissement : affiche du film Monsieur Hector de Maurice Cammage (1940).Dans François 1er (1937), il est Honoré, un régisseur de théâtre qui se retrouve à la cour du roi de France, accusé de sorcellerie. Impossible d’oublier la séquence du supplice de la chèvre qui lui lèche les orteils. À chaque éclat de rire, la France entière s’esclaffe de concert. Impossible d’oublier également la chanson qu’il chante en duo avec Janine Guise, « Ta bouche gourmande ». Tout un programme !

Ses films comportent régulièrement des séquences chantées qu’il reprend en parallèle sur les scènes des théâtres de l’hexagone : « Ignace », « Barnabé », « Ne me dis plus tu », « Un dur, un vrai un tatoué », etc. Il devient l’égal de Maurice Chevalier et de Jean Gabin, l’un des plus grands acteurs et chanteurs français. 

Lorsqu’il est mobilisé en 1939, on le dispense de tour de garde car il provoque des attroupements. Les passants reconnaissent l’acteur et éclatent de rire. L’armée préfère l’enrôler dans des spectacles pour divertir les soldats.

À la fin 40, Fernandel chante sur la ligne Maginot. Il tourne juste avant l’invasion allemande, Monsieur Hector (Maurice Cammage, 1941), puis, en novembre 1940, il termine La Fille du puisatier de Pagnol, en zone libre. 

Un artiste collaboratif

Sous l’Occupation, la stratégie culturelle du IIIe Reich est de maintenir le calme à l’arrière du front et de distraire les soldats allemands. Il faut donc rouvrir les théâtres et les cabarets et demander aux artistes français de collaborer. Et comme il faut bien vivre, ceux qui en ont la possibilité, répondent à la demande. Les plus réfractaires, comme Dalio, Gabin ou Renoir, quittent le pays et se réfugient en Amérique.

Certains, comme Charles Trénet, rompent leur contrat lorsqu’ils se rendent compte que des officiers nazis sont assis au premier rang. D’autres ont moins de scrupules. Fernandel chante à Radio-Paris, la radio du Maréchal Pétain. Tous les jours, il mange au Cercle allemand et quand on lui demande pourquoi, il répond « Parce que c’est bon ! »  

Alfred Greven, le grand manitou de la Continental, inféodée à l’occupant, l’adore, et il souhaite que son poulain devienne le grand comique européen de demain. Comme Jean Gabin, Fernandel incarne tous les poncifs chers à Pétain et aux Allemands : l’amour de la terre, la famille, etc. Alors, Greven l’invite dans les meilleurs restaurants, lui propose des rôles, lui augmente ses cachets et lui propose de mettre en scène ses films. 

Le Club des soupirants sort en septembre 1941, en même temps que l’inauguration de l’exposition « Le Juif et la France » au palais Berlitz. C’est son premier film produit par la Continental. Il en tournera deux autres, Simplet (1942) et Adrien (1943). Trois navets ! Fernandel tournera pendant la guerre pas moins de onze films, un record !

À la Libération, il passera entre les mailles du filet, sans doute en raison de sa popularité, mais aussi de la niaiserie de ses intrigues. Impossible de voir en lui une quelconque idéologie politique. Peut-être aussi grâce à son interprétation dans Naïs, son dernier film réalisé pendant le conflit, où il a ému tout le pays dans le rôle d’un bossu qui se sacrifie pour sauver celle dont il est épris, même si elle en préfère un autre.

Don Camillo contre Peppone

Le Petit monde de Don Camillo sort en 1952, en pleine guerre froide. L’Europe rit au rythme des joutes verbales qui opposent le curé de Brescello, joué par Fernandel, et le maire communiste du village (Gino Cervi). De son côté, le PC dénonce un film de propagande anticommuniste... Le film suscite des vocations, un grand nombre de courriers est envoyé à Don Camillo, le pape Pie XII accorde à Fernandel une audience privée, la rue qui abrite la maison du comédien à Carry-le-Rouet est rebaptisée « Avenue Don Camillo ».

Certains le voient dorénavant comme un prêtre et il est invité à des mariages ou des baptêmes. Quatre autres suites au Don Camillo seront produites, plus une, inachevée, en raison du décès de Fernandel. Mais, aucune n’aura la qualité du premier opus, le comique français acceptant de jouer dans celles-ci uniquement pour des raisons pécuniaires. 

Âpre en affaire, il est réputé pour ses exigences financières. C’est lui qui convaincra Jean Gabin, en 1963, de créer la Gafer – société de production dirigée par les deux acteurs – avec laquelle ils produiront notamment L’Âge ingrat (1964). Son sens du business et son appât du gain font qu’il est l’un des premiers acteurs à avoir accepté de jouer dans des publicités.

On le dit radin, proche de ses sous ; cet argent qui lui a manqué quand il était enfant. Fernand roule en Cadillac mais s’inquiète du qu’en-dira-t-on. Quand il achètera un appartement sur l’avenue Foch, à Paris, il hésitera avant d’aller y vivre, craignant qu’on lui reproche d’étaler sa fortune.

L’avènement de Bourvil et Louis de Funès

Après la Seconde Guerre mondiale, si la carrière de Fernandel n’accuse aucun ralentissement, peu de films accèdent à l’excellence. L’Auberge rouge (Claude Autant-Lara, 1951), L’Ennemi public numéro un (Henri Verneuil, 1953) et, surtout, Ali Baba et les quarante voleurs (Jacques Becker, 1954) se distinguent.

Fernandel et Françoise Rosay dans L’Auberge rouge (Claude Autant-Lara, 1951). En agrandissement : Fernandel dans Ali Baba et les quarante voleurs (Jacques Becker, 1954).

Il faut dire que l’accent chantant n’a plus la cote, le cinéma de Marcel Pagnol n’est plus ce qu’il était. Le paysan benêt est incarné par un autre comédien, d’origine normande cette fois : Bourvil. C’est d’ailleurs ce dernier qui faillit interpréter le rôle de Charles, dans La Vache et le prisonnier. Mais, Fernandel sera finalement choisi pour interpréter ce prisonnier qui s’évade d’un camp allemand aux côtés d’une vache, Marguerite.

Le succès est énorme, cette comédie se démarque du comique troupier d’avant-guerre, en créant le concept du héros malgré lui. S’il s’agit toujours de rire pour oublier la défaite, la débâcle de 1940 et la Collaboration ont provoqué le besoin de représenter des héros ordinaires, des combattants malgré eux. Ce nouveau genre atteindra son paroxysme avec La Grande vadrouille, puis avec la trilogie dédiée à la Septième compagnie.

Extrait de La Cuisine au beurre de Gilles Grangier (1963). En agrandissement : l'affiche du film.À travers des films comme La Ferme du pendu (Jean Dréville, 1945), Miquette et sa mère (Henri-Georges Clouzot, 1950) et Le Trou normand (Jean Boyer, 1952), Bourvil représente un milieu agricole différent, moins exotique et, surtout, plus attachant. Pendant les « Trente glorieuses » où l’exode rural est massif, la France se reconnaît mieux dans les rôles de Bourvil, paysan arriéré et idiot, certes, mais aussi sincère et tendre.

En 1963, Gilles Grangier opposera les deux hommes et leurs deux régions – la Normandie et la Provence – dans La Cuisine au beurre. La recette, aux petits oignons, fonctionnera à merveille, le film réunissant plus de six millions de spectateurs.

Cette période se traduit également par la percée de Louis de Funès, porteur d’un comique de situation basé sur un rythme effréné et une succession de gags. Le cinéma de Fernandel paraît alors comme vieillissant.

Il a joué du Balzac et du Simenon

Avec près de cent cinquante films au compteur, Fernandel occupe une place à part dans le cinéma français. Il a acquis une telle popularité internationale que le général de Gaulle déclara, lors d'une réception à l'Élysée, qu'il était le seul Français à être plus célèbre que lui, dans le monde. Son succès ne s'est jamais démenti, et Marcel Pagnol dira de lui après son décès : « Il a été l'un des plus grands et des plus célèbres acteurs de notre temps et l'on ne peut le comparer qu'à Charlie Chaplin ».

Fernandel est entré au panthéon des acteurs et, pourtant, ses films ont peu à peu disparu de la mémoire collective. Il faut dire que la plupart des titres qu’il a interprétés, qu’il appelait des Fernandelleries, sont indignes de son talent. Pourquoi ne retient-on aujourd’hui que ses gaudrioles alors qu’il a joué dans des adaptations de Balzac (Un homme sans nom, 1931), Maupassant (Le Rosier de Madame Husson, 1932) ou Simenon (Le Fruit défendu, 1952) ? Sans doute parce que l’on ne se reconnaît plus dans ses films, alors qu’on se reconnaît encore dans ceux de Jean Gabin, de Bourvil et de Louis de Funès.

Une vache, un cheval... et le Christ

Aujourd’hui, Fernandel est un acteur presque oublié. Peu de films sont rediffusés. Trop de navets dans sa filmographie, contrairement à Bourvil qui a su sortir du créneau de paysan idiot pour jouer dans de vrais succès populaires (Le Corniaud, La Grande vadrouille, Le Mur de l’Atlantique) et dans des films importants (La Traversée de Paris, Le Cercle rouge).

En 1969, il fait une mauvaise chute sur son bateau et on lui découvre un kyste cancéreux. Il est condamné, mais sa famille refuse de lui dire la vérité. Il ne saura jamais qu’il va bientôt mourir. En 1970, sur le tournage du sixième volet des Don Camillo, il s’effondre sur le plateau. Il mourra quelques mois plus tard, dans son appartement parisien ; peu de temps après son rival Bourvil, disparu lui aussi d’un cancer qu’on lui a caché. Il s’apprêtait à recevoir le Grand prix du cinéma français. 

Devant les caméras, son ami Jean Gabin est en larmes : « C’était un homme droit comme une barre, et c’est rare maintenant, très rare ! »

Fernandel se vantait d’avoir joué aux côtés d’une vache (La Vache et le prisonnier), d’un cheval (Heureux qui comme Ulysse) et du Christ (Don Camillo).

Peuchère, ton accent fout le camp

Il y a quelques années, des linguistes marseillais alertaient l’opinion sur le risque que la langue de la Bonne-Mère disparaisse. L’accent chantant serait en danger. Celui qui a gagné ses lettres de noblesse grâce à Fernandel, à Raimu et à Marcel Pagnol, serait en train de muter. Catastrophe ! Le langage provençal périrait au profit d’une langue plus uniforme.

Il suffit de regarder la série Plus belle la vie, diffusée chaque jour sur France 3. Elle a beau se passer dans un quartier fictif de Marseille, « le Mistral », aucun des comédiens, ou presque, ne parle avec l’accent. C’est normal, puisque les écoles d’art dramatique demandent à ces mêmes comédiens et comédiennes, lors de leur formation, de gommer leurs éventuels accents. C’est bien dommage car on a l’impression qu’il nous manque aujourd’hui quelque chose ; la diversité régionale s’efface aux dépens de l’uniformisation.

Fernandel nous manque et son accent aussi. Et tant pis si ce régionalisme était vu comme stéréotypé et montré comme exotique. Il s’inscrivait dans une France encore en majorité rurale, une France riche de ses terroirs et de ses traditions.


Publié ou mis à jour le : 2021-03-02 19:20:26

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