Sigmund Freud (1856 - 1939)

De l'hypnose à la psychanalyse

À la fin du XIXème siècle, la question de la santé mentale des êtres humains acquiert de plus en plus de place dans la sphère médicale.

Comme tout découvreur scientifique, Sigmund Freud (1856-1939), disciple de Charcot, récupère les idées de son temps et les interprète à sa manière. Père de la psychanalyse, qu'il porte sur les fonds baptismaux en 1896, il théorise de nombreux concepts comme « l’inconscient » ou le « complexe d’Œdipe » et bouleverse ainsi l’histoire des sciences en apportant un regard nouveau sur le fonctionnement psychique de l’être humain.

Retour sur cette figure de l’effervescence des arts et des sciences dans la capitale autrichienne rayonnante d'avant-guerre.

Charlotte Chaulin

Sigmund Freud (1856-1939), photographie de Max Halberstadt.

Un parcours marqué par une rencontre décisive

Né le 6 mai 1856 dans une famille juive de Freiberg, en Moravie (ancien Empire d'Autriche, actuelle République Tchèque), au milieu de nombreux frères et sœurs, Sigmund Freud est un enfant brillant. Il se passionne pour Goethe, Homère et Schiller, qu’il lit dès l’âge de 8 ans.

En 1873, il intègre l’université de Vienne, où sa famille s’est installée en 1860, et étudie la médecine.

En 1881, il obtient son diplôme, devient docteur en médecine et décide de se tourner vers la neurologie. Quatre ans plus tard, grâce à une bourse d’études, il part en France. Il suit les cours du professeur Jean-Martin Charcot (1825-1893) à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris. Cette rencontre est décisive pour le jeune Freud.

Pendant quatre mois, il écoute attentivement son professeur qui étudie l’hystérie, pratiquant notamment des séances d’hypnose sur ses malades devant ses élèves. L’hystérie est une maladie mentale, elle tient son nom du mot grec hyster ou hustaré qui signifie « utérus ». Elle est difficile à définir, Charcot lui-même considère que le mot hystérie « ne signifie rien »...

Dans son Dictionnaire des sciences médicales (1889), Grasset tente une ébauche de définition de l’hystérie, difficile à saisir lorsque l’on n'a pas étudié la médecine : « je dirais que l’hystérie est une névrose (c’est-à-dire une maladie à lésions actuellement inconnues, et en tout cas fugaces) tenace dans son fond, mais mobile, et en général peu profonde dans sa forme, qui peut se localiser sur toutes les parties du système nerveux, dont les symptômes peuvent appartenir par suite à toutes les fonctions de ce grand appareil, et qui enfin, au point de vue nosologique et étiologique, est le plus souvent symptomatique d’un état général diathésique ». 

Hystériques sous hypnose à la Salpétrière par D.M. Bourneville et P. Régnard (1876-1880).

L’hystérie est généralement vue comme l’expression des pulsions sexuelles chez la femme, qui n’arrive pas à les contrôler. Mais la femme atteinte d’hystérie est à la fois soumise et dominante. L’hystérique étant, selon ce qu'en dira le psychanalyste Jacques Lacan (1901-1981), « une esclave qui cherche un maître sur qui régner » !

Charcot cherche à déceler des lésions aux cerveaux des malades atteintes d’hystérie. Il pratique sur des hystériques de la Salpêtrière des séances d’hypnose qui impressionnent Freud. Il a une influence considérable sur ce dernier qui écrit dans une lettre à sa fiancée : « Charcot [est] un des plus grands médecins dont la raison confine au génie, [...] personne n'a jamais eu autant d'influence sur moi ».

En 1886, Freud se marie avec Martha Bernays et, la même année, fait une communication sur l'hystérie. Mais son but va s’éloigner de celui de Charcot : au lieu de chercher des lésions physiques chez les hystériques, Freud tentera de leur trouver des explications psychologiques.

Son mentor, Jean-Martin Charcot

Jean-Martin Charcot présentant Blanche Wittman, sa patiente hystérique qui est soutenue par Joseph Babinski à droite, lors d'une leçon clinique à la Salpêtrière. Sur l'agrandissement : Charcot utilise dès 1878 la chronophotographie inventée par Marey pour relancer les études de Briquet sur l'hystérie, ici une patiente qui convulse sous hypnose. La photographie sert de preuve que l'extase mystique, la possession et la « grande hystérie » sont une même chose.Issu de la petite bourgeoisie, Jean-Martin Charcot (1825-1893) est l’un des neurologues les plus réputés de son temps.
Nommé médecin-chef à la Salpêtrière en 1862, alors hôpital pour les indigentes et les aliénées, il observe à la loupe les signes cliniques de ses patientes et observe des coupes du cerveau ou de la moëlle épinière au microscope, à la recherche de lésions.
Il découvre en 1868 une maladie neurodégénérative, la sclérose latérale amyotrophique (SLA), appelée aujourd’hui plus communément la « maladie de Charcot ». C’est à partir de 1870 que Charcot commence à s’intéresser à l’hystérie et inaugure ses « Leçons du Mardi » à la Salpêtrière qui passionnent le Tout-Paris ainsi que le jeune étudiant en médecine Sigmund Freud.
En 1882, c’est pour lui qu’est créée la toute première chaire de neurologie du monde à l’hôpital de la Salpêtrière. À sa mort en 1893, il est reconnu dans le monde entier et bénéficie d’obsèques nationales et des honneurs militaires.

Du cas Anna O. au complexe d’Œdipe

Freud effectue ses premiers travaux sur l’hystérie au début des années 1890. Comme Charcot, il utilise la technique de l’hypnose.

Au début des années 1880, son ami et mentor, le médecin Josef Breuer (1842-1925) fait part à Freud du travail qu’il effectue avec l'une de ses patientes, Bertha Pappenheim (1859-1936). Cette belle Viennoise juive de 21 ans, plus connue sous le pseudo « Anna O. » est atteinte d’hystérie, qui se manifeste, entre autres, par des troubles de la vision, des hallucinations et des paralysies.  

 Bertha Pappenheim 1882 (22 years old). Photography from the archive of Sanatorium Bellevue, Kreuzlingen, Germany.C’est avec elle que Breuer et Freud expérimentent la cure par la parole. Ils parviennent à la guérir en faisant ressortir, par le verbe seulement, ses conflits internes liés à l’enfance. En 1895, ils publient ensemble Études sur l’hystérie. L’histoire d’Anna O. constitue l’un des mythes fondateurs de la psychanalyse.

Mais Freud et Breuer divergent sur un point : le premier est persuadé que toutes les hystériques ont subi un traumatisme sexuel, (« une séduction d’adulte » comme on disait à l’époque, « un abus sexuel » comme on dirait aujourd’hui) tandis que le second, non.

Charcot avais mis le doigt sur la dimension psychique de l’hystérie et Freud s’engouffre dans cette voie. C’est comme ça qu’il découvre l’ « inconscient » : pensée, rêve, action n’arrivent jamais par hasard et traduisent un conflit à l’intérieur de nous.

Mais ce n’est pas à lui qu’on attribue les mérites de cette découverte. En effet, l’inconscient est repris par Freud et associé aux névroses sexuelles mais le concept existe déjà chez plusieurs philosophes allemands comme Carl Gustav Carus (1788-1860) ou encore Edouard von Hartmann (1842-1906) qui a publié en 1868 une Philosophie de l’inconscient.

Certains considèrent que le véritable introducteur de la notion d’inconscient en psychologie est Theodor Lipps (1851-1914), fondateur de l'Institut de psychologie de l'Université de Munich en 1913. Freud reprend les nombreuses avancées et découvertes de son temps. Rappelons que le XIXème siècle peut être considéré comme le « Siècle de la science » (en concurrence avec le XVIIe !).

Dans les années 1890, Freud s’intéresse de plus en plus au thème de la sexualité dans les troubles psychiques. Pour lui, l’hystérie causée par le refoulement des pulsions sexuelles est à l’origine de tableaux cliniques très différents : jambes douloureuses, maux de tête ou encore hallucinations olfactives.

En 1896, il abandonne la technique de l’hypnose à laquelle il préfère la technique « psycho-analytique » qui repose principalement sur la parole, la libre association des images, des rêves, des idées (utilisée notamment avec Anna O.). Le 5 février 1896, dans un article écrit simultanément en français et en allemand, il baptise sa discipline « psycho-analyse ». La psychanalyse est née.

Le « complexe d’Œdipe » naît, lui, l’année suivante mais sous l'appellation « complexe nucléaire ». Il sera doté du nom qu'on lui connaît en 1910.

La majorité des conclusions de Freud lui vient de son autoanalyse. Au cours d’une de ses habituelles introspection, il se souvient des sentiments éprouvés à l’égard de ses parents durant son enfance. Il l’explique dans une lettre à son ami, le médecin oto-rhino-laryngologiste, Wilhelm Fliess, le 15 octobre 1897 : « J’ai trouvé en moi des sentiments d’amour envers ma mère et la jalousie envers le père, et je pense maintenant qu’ils sont un fait universel de la petite enfance. Si c’est ainsi, on comprend alors la puissance du roi Œdipe. » 

Aussi définit-il ce phénomène comme le désir inconscient d’entretenir un rapport sexuel avec le parent du sexe opposé (inceste) et l'hostilité vis-à-vis du parent de son sexe. Cette phase se produit chez l'enfant entre 3 et 5 ans et serait essentielle, selon Freud, car elle lui apprend le principe du refoulement des désirs inconscients. 

Mais qui est Œdipe ?

Freud emprunte le nom de son nouveau concept à la mythologie grecque. Plus précisément à un récit fait par Homère dans l’Odyssée et repris par Sophocle dans Œdipe roi (429 av. J.-C.).
Oedipe explique l'énigme du sphinx par le peintre Jean-Auguste-Dominique Ingres (1808). Sur l'agrandissement : extrait du film Oedipe roi de Pier Paolo Pasolini (1968)Le roi de Thèbes, Laïos, et sa femme Jocaste, sont effrayés par la prédiction donnée par l’oracle de Delphes : leur fils tuera son père et épousera sa mère. Le jeune Œdipe doit donc être tué par un pâtre qui, finalement, décide de seulement l’abandonner. Œdipe se retrouve élevé par Polybe et Mérope, roi et reine de Corinthe, persuadé d’être leur fils.
Un jour, consultant à son tour l’oracle de Delphes, il apprend la prophétie et, afin d’éviter qu’elle ne se réalise, quitte Corinthe dans l’espoir de fuir son destin. Mais dans la mythologie grecque, c’est mission impossible...
En route pour Thèbes, il tue sans le savoir son père, Laïos, pour une histoire de priorité de passage. Une fois parvenu dans sa ville natale, il vient à bout du Sphinx en répondant à son énigme : « Quel être, pourvu d’une seule voix, a d’abord quatre jambes le matin, puis deux jambes le midi, et trois jambes le soir ? ». L’homme, bien sûr !
Œdipe obtient une récompense de taille : épouser la reine de Thèbes, Jocaste ! Lorsqu’il apprend qu’il vient de se marier avec sa propre mère, Œdipe se crève les yeux.

La psychanalyse s’exporte dans le monde

Même si Freud est nommé professeur titulaire à l’université de Vienne en 1902, une bonne partie du monde médical considère son œuvre avec hostilité.

En 1908, il fonde tout de même une Société psychanalytique dont fait notamment partie Alfred Adler (1870-1937), fondateur de la psychologie individuelle. Au même moment, la psychanalyse s’exporte dans le monde entier. En 1909, le philosophe et psychologue Stanley Hall, professeur à la Clarck University dans le Massachussets invite Freud aux États-Unis. La psychanalyse s’exporte ainsi outre-Atlantique.

L’Association psychanalytique internationale, fondée par Freud, voit le jour en 1910 et le psychiatre et essayiste suisse Carl Gustav Jung (1875-1961), fondateur de la psychologie analytique, préside ses premiers congrès. La relation entre Jung et Freud est riche et intense pendant six ans, mais se termine brusquement en 1913 à cause de divergences dans leurs méthodes et d’une jalousie réciproque croissante.

 Warum Krieg? « Pourquoi la guerre? » Un échange épistolaire entre Albert Einstein et Sigmund Freud.En 1914, Freud participe à l'euphorie nationaliste quand son gouvernement entre en guerre (note). Il travaille peu pendant la Première Guerre mondiale, préoccupé par le sort de ses fils partis au front, et interroge les effets produits par la guerre sur les hommes (déconcertation, confusion) dans Considérations actuelles sur la guerre et la mort (1915). Réflexion qu’il intensifiera dans un échange épistolaire avec Albert Einstein qui sera publié en 1933 sous le titre « Pourquoi la guerre ? ».

L’année 1920 marque un tournant dans sa carrière. Il publie en effet un ouvrage majeur avec lequel il prend de la hauteur par rapport aux pulsions sexuelles, jusque-là quasi-omniprésentes dans son travail, et théorise les pulsions de mort (thanatos) et de vie (eros) qui cohabitent dans chaque être, Au-delà du principe de plaisir. Cette publication a pour effet de le réconcilier avec la psychiatrie officielle viennoise.

Avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler qui voit d’un mauvais œil la psychanalyse, considérée comme une création judéo-marxiste, Freud est en danger. Mais il se sent trop vieux pour quitter sa chère ville natale. En 1934, les nazis brûlent ses ouvrages à Berlin. Ce n’est qu’en 1938, quand Hitler annexe l'Autriche, que le médecin, alors âgé de 83 ans, se résigne à partir pour l'Angleterre.

Il meurt à Londres le 23 septembre 1939 des suites d’un cancer de la mâchoire, quelques jours seulement après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale...

Pendant la guerre, les psychanalystes sont chassés de Vienne et d’Autriche. La psychanalyse disparaît en Autriche en 1945 et ne renaîtra de ses cendres qu’en 1968, sous la pression des psychanalystes américains qui invitent les autorités autrichiennes à s’intéresser à Freud.

Aujourd’hui, la popularité du père de la psychanalyse est mondiale. La docteur Daniela Finzi, directrice de recherche au musée Sigmund-Freud, fondé en 1971 à Vienne, raconte au journal La Croix en 2019 que des touristes venant de près de 115 pays visitent massivement le musée chaque année. « Freud est devenu une figure publique, non seulement pour les Autrichiens, mais au niveau mondial. »

Elle ajoute : « L’intérêt pour Freud, comme personnalité intellectuelle, dépasse l’intérêt pour la psychanalyse. » Mais la psychanalyse connaît, elle, une « crise » due à la concurrence des neurosciences et des traitements médicamenteux, à la mise en avant du caractère héréditaire de certaines pathologies, au succès des thérapies courtes, de la méditation, de l’hypnose…


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Publié ou mis à jour le : 2021-03-28 16:39:14

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