whigs vs tories

Les racines de la politique anglaise

À l’occasion du Brexit, le terme de tories a été utilisé à de nombreuses reprises, tant par les médias que par les hommes politiques eux-mêmes. En revanche, celui de whigs, qui à l’origine désignait les opposants des tories a disparu depuis belle lurette – avant même le couronnement d’Élisabeth II, c’est dire !

Entre tradition désuète et adaptation extrême à l’époque contemporaine, la notion de tory est un bon exemple des paradoxes britanniques.

Yves Chenal
Illustration satirique à têtes inversées, whigs / tories, University of Exeter, Devon, Royaume-Uni, DR.

« Gardiens de troupeaux » contre « hors-la-loi »

Les termes de whigs et de tories apparaissent à la fin du XVIIe siècle, une période au cours de laquelle un roi, Charles Ier, est déposé puis exécuté en 1649 et son fils cadet, Jacques II, est déposé en 1688 au profit de Guillaume III d’Orange. Dans la mise en place de la démocratie parlementaire, cette période tient un rôle qu’on pourrait comparer, sur la longue durée, à celui tenu de ce côté de la Manche par la Révolution française, avec cette différence fondamentale qu’aucun Britannique ne souhaite revivre ces troubles.

C’est précisément la crainte de l’accession au trône de Jacques II qui est à l’origine de la division entre deux tendances. Jacques (James en anglais) d’York, frère cadet de Charles II, avait le grand tort d’être catholique dans un pays qui considérait majoritairement que cette religion impliquait nécessairement un retour à l’absolutisme royal. Les opposants proposèrent donc un bill pour interdire à un catholique de monter sur le trône, contraignant le roi à dissoudre à plusieurs reprises le Parlement pour éviter son adoption.

Edmund Burke par Sir Joshua Reynolds, vers 1769, Londres, National Portrait Gallery. L'agrandissement est une illustration satirique sur la Révolution française  liée à son ouvrage Considérations sur la Révolution française en 1790. Caricature d'Isaac Cruikshank, Oxford, bibliothèque Bodléienne.Les deux groupes furent qualifiés de tories (qu’on pourrait qualifier de légitimistes, partisans de la Cour et opposants au bill), d’après un terme irlandais – en raison du catholicisme des Irlandais – signifiant « bandits », « hors-la-loi » et, pour les partisans de l’exclusion, de whigs, issu de whiggamore, terme écossais désignant non sans mépris les gardiens de troupeaux, car les presbytériens écossais comptaient parmi les plus farouches opposants au catholicisme.

La ligne de partage évolue toutefois rapidement après la Glorieuse Révolution de 1688, qui chasse Jacques II et met un terme aux guerres civiles. Les tories deviennent le parti de la petite noblesse rurale et de l’Église établie (anglicane), même si certains complotent pour le retour des Stuart au cours du XVIIIe siècle. Ils s’opposent à la Révolution industrielle et à la remise en cause du l’ordre social qu’elle entraîne.

Les whigs, qui dominent la vie politique au cours du XVIIe siècle, représentent notamment la grande noblesse ainsi que la bourgeoisie, plus diverses religieusement et donc partisanes d’une plus grande tolérance religieuse. On aurait toutefois tort de systématiser ces oppositions, ne serait-ce que parce que l’un des plus grands penseurs du conservatisme, Edmund Burke, auteur notamment des Considérations sur la Révolution française, est issu des rangs du parti whigs et siège à ce titre au Parlement de 1766 à 1794.

Dessin humoristique représentant l'acte réformiste de 1831. John Bull est en faveur d'une balançoire politique avec les Whigs à droite et les Tories à gauche, DR.

Sir Robert Peel, le promoteur du libre-échange

L’attitude à tenir face à la Révolution française, ainsi que les transformations économiques, conduisent à une recomposition du champ politique. Sir Robert Peel, premier ministre en 1834–35 et 1841–46, est un industriel et non un propriétaire terrien.

Sa politique ne vise pas à revenir en arrière ni à maintenir le système en l’état, mais à le réformer pour en corriger les maux : impôt sur le revenu, réforme bancaire, et surtout abrogation des « corn laws » en 1846. Le contexte est celui, dramatique, de la Grande famine irlandaise, au cours de laquelle les tories renâclent à agir pour secourir les victimes, mais surtout celui de la promotion du libre-échange.

Sir Robert Peel par John Linnell, Londres, National Portrait Gallery. L'agrandissement montre Arthur Wellesley, premier duc de Wellington en compagnie de Sir Robert Peel (à droite), 1844, Franz Xavier Winterhalter, Collection royale britannique.En supprimant les restrictions à l’importation des céréales pour en diminuer le prix et favoriser ainsi l’industrie (puisque le pouvoir d’achat des ouvriers augmente sans qu’il soit besoin de les payer plus), Sir Robert Peel réoriente durablement le conservatisme britannique, qui a gardé, malgré ces transformations, le terme de tory.

Cette politique est poursuivie à la fin du XIXe siècle par Benjamin Disraeli, parfois conduite aux dépens des intérêts électoraux immédiats (le gouvernement Peel tombe à la suite de l’abolition des « corn laws » ; celui de Disraeli perd les élections de 1868 après avoir considérablement augmenté le corps électoral en tablant sur la gratitude des ouvriers, qui de fait portent de nouveau les conservateurs au pouvoir en 1874).

Parmi les soutiens tories du Brexit, beaucoup défendent l’idée que la Grande-Bretagne pourra signer des accords de libre-échange plus intéressants avec le reste du monde et ainsi mieux s’insérer dans la compétition internationale, dans la droite ligne de Peel.

En revanche, les whigs disparaissent en tant que tels au début du XIXe siècle, remplacés par les Libéraux, avant qu’au début du XXe siècle et dans l’Entre-deux-Guerres ces derniers ne soient à leur tour supplantés par le Labour Party, à l’origine socialiste, et qui demeure encore aujourd’hui organiquement et financièrement très lié aux syndicats dont il est issu.

Cependant, le terme de whig demeure utilisé pour parler de la whig history. Cette expression a été forgée par Herbert Butterfield en 1931 (The Whig Interpretation of History) pour désigner la perception de l’histoire comme un progrès vers la démocratie libérale et la monarchie constitutionnelle qui imprègne les œuvres de nombreux historiens du XIXe siècle et du début du XXe.


Publié ou mis à jour le : 2019-09-25 18:10:53

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