C’est grâce à la découverte fortuite d’un abri sous roche à Aurignac, petit village du sud-ouest de la France, que le paléontologue Édouard Lartet réussit à prouver en 1860 l’existence de l’Homme antédiluvien (un homme qui aurait précédé le Déluge biblique).
Cette découverte remit en cause les théories créationnistes du baron Georges Cuvier (1769-1832) et permit la naissance d’une nouvelle science : la Préhistoire.
Une découverte fortuite
Il y a environ 40 000 ans, dans un climat froid et sec entrecoupé de quelques interstades plus cléments, l’Europe est le théâtre d’importants changements biologiques, techniques et culturels.
Le remplacement progressif de l’homme de Néandertal par l’homme anatomiquement moderne (Homo Sapiens) venu du continent africain, marque l’achèvement du Paléolithique moyen et inaugure la période du Paléolithique supérieur (38 000 – 10 000 avant le présent, BP).
Ces groupes humains développent des méthodes inédites de taille des roches siliceuses, diversifient l’outillage en pierre et en os, exploitent de façon raisonnée les ressources naturelles animales et minérales, organisent leurs activités au sein des campements, pratiquent des échanges socio-économiques et développent de nouveaux modes d’expression sur l’ensemble du territoire occidental, entre 38 000 et 29 000 BP.
C’est dans l’abri sous roche d’Aurignac, dans le Comminges, un comté pyrénéen du sud de la Haute-Garonne, qu’ont été identifiées pour la première fois les traces de cette culture.
Découvert de façon fortuite lors de travaux en 1852, l’abri d’Aurignac est fouillé en 1860 par le paléontologue Édouard Lartet, qui a déjà à son actif .
Il met au jour un abondant matériel archéologique : des silex taillés, des pointes de sagaie en bois de renne, les restes d’un foyer et des ossements d’une faune aujourd’hui disparue (grand ours des cavernes, mammouth, hyène des cavernes, rhinocéros laineux...). Extraordinaire pour l’époque, il note que certains ossements ont été travaillés par la main de l’Homme.
Cette découverte majeure a un double retentissement scientifique. Elle permet à Édouard Lartet de prouver « l’ancienneté géologique de l’homme » et de contribuer au développement d’une nouvelle discipline naissante : la Préhistoire.
En 1861, il publie un article intitulé Nouvelles recherches sur la coexistence de l’Homme et des grands mammifères fossiles réputés caractéristiques de la dernière période géologique dans lequel il consacre un long chapitre à ce qu’il nomme la station et sépulture d’Aurignac. Il y relate en détail la découverte du site et décrit tous les objets découverts.
Pour entériner le caractère majeur de cette découverte, il présente les fouilles d’Aurignac à l’Exposition Universelle de Paris en 1867. Le gisement acquiert alors une grande notoriété.
Malgré l’importance de la trouvaille et son rôle majeur dans la construction de la jeune discipline préhistorique, Édouard Lartet ne parvint pas à imposer le modeste abri d’Aurignac comme site éponyme. En effet, Gabriel de Mortillet ne retient pas le site dans la première chronologie de la préhistoire qu’il propose en 1872.
Ce n’est qu’en 1913, au terme d’un long débat que les préhistoriens Henri Breuil, Émile Cartailhac et Aimé Rutot firent admettre cette culture aurignacienne, pour qualifier le facies culturel situé entre le moustérien (industrie de Néandertal) et le gravettien.
Une culture européenne
Après la découverte d’Aurignac, des vestiges similaires sont trouvés dans toute l’Europe et même au-delà, au Proche-Orient et en Asie centrale. Ils révèlent que des groupes humains ont partagé le même mode de vie, les mêmes techniques et propagé les mêmes expressions symboliques, avec parfois des adaptations régionales.
La répartition des sites archéologiques découverts à ce jour montre que ces groupes se sont principalement installés dans des zones de piémont et des vallées dans lesquelles les abris et grottes calcaires permettaient de trouver refuge.
De nombreux sites ont été découverts tout le long de la chaîne des Pyrénées, en Dordogne, en Ardèche, dans le Jura Souabe, en Espagne, en Italie centrale, en Europe centrale, au Proche-Orient.
Des innovations techniques dans la taille du silex
Les Aurignaciens généralisent un nouveau mode de taille de la pierre qui les distingue des populations néandertaliennes antérieures.
À partir d’un bloc de silex appelé nucléus, des éclats allongés et standardisés sont débités en série : les lames et les lamelles.
Elles peuvent être utilisées telles quelles pour produire armes et outils (exemple : couteau) ou bien être retouchées (exemple : grattoir).
Ce débitage laminaire permet une meilleure gestion des ressources minérales.
Il sera pratiqué jusqu’aux périodes récentes de la préhistoire, quelques dizaines de milliers d'années plus tard.
Cette technique de taille, malgré les apparences, est très technique et exige un long apprentissage : des nucléus moins bien exploités retrouvés près des gîtes d’approvisionnement en silex témoignent des essais maladroits d’apprentis tailleurs.
Les grandes lames épaisses ainsi que les pièces carénées (burins et grattoirs) sont les fossiles directeurs de cette industrie du silex.
L'une de ces lamelles est spécifique à l'Aurignacien, c’est la « lamelle Dufour », retouchée finement et marginalement sur une ou deux faces.
Les Aurignaciens signent une autre innovation : l’utilisation des matières dures animales pour confectionner des armes de chasse, et notamment des pointes de sagaies à base fendue.
L’ivoire et le bois de renne ont aussi été utilisés pour la confection des premiers bâtons percés et d'un outillage plus classique : poinçons, baguettes, lissoirs.
Des pratiques sociales, culturelles et artistiques riches et complexes
Les Aurignaciens développent aussi de nouveaux comportements qui manifestent une relation inédite aux autres et à la nature.
Leur compréhension du monde et l’organisation complexe de leurs groupes s’expriment au travers d'objets investis de significations nouvelles. De nouveaux codes relationnels (art, parure corporelle, musique) entre les personnes et les groupes sont affichés et systématisés. Si le discours qui les accompagne nous échappe, ces témoignages précieux témoignent de préoccupations esthétiques et d’une pensée symbolique complexe.
Les Aurignaciens sont enfin les premiers groupes humains à avoir laissé autant de représentations figuratives et d’une telle qualité.
Dire cependant qu’ils ont été les inventeurs de l’art reste encore très hypothétique. Mais c’est bien à la période aurignacienne qu’apparaissent partout en Europe des représentations animales et humaines sur les parois des grottes, des abris et sur les blocs rocheux...
Parmi ces premières manifestations artistiques, citons la formidable statuette de l’Homme-lion découverte dans la grotte d'Hohlenstein-Stadel en 1939 (Sud-Ouest de l’Allemagne).
Sculptée dans la défense en ivoire d’un jeune mammouth, elle a été remontée par l’assemblage de plus de 200 fragments trouvés lors des fouilles. D’une hauteur de 30 cm, elle est la plus grande et la plus spectaculaire sculpture aurignacienne connue à ce jour. Le niveau archéologique dont elle provient est daté de 32 000 BP. Mi-homme, mi-animal, cette figure hybride est probablement l’expression de pensées mythologiques.
Dans le Jura Souabe également, une quinzaine de petites figurines en ivoire de mammouth ont été découvertes. Elles proviennent de quatre grottes situées dans les vallées secondaires du bassin du Danube : Vogelherd, Hohlenstein-Stadel, Geissenklösterle, et Hohle Fels.
Les félins et les mammouths, habituellement plutôt rares dans l’art pariétal, dominent le bestiaire aux côtés des chevaux, bisons, ours, oiseaux et des êtres hybrides comme l'homme-lion.
Des signes abstraits (points, angulaires, quadrillages, croix) sont souvent gravés sur les flancs, les épaules ou le dos des animaux. Dans les gisements, cet art mobilier est souvent associé à des flûtes et des objets de parure très élaborés (dents animales percées, perles en ivoire, tube en os, bracelet...).
La découverte de la grotte Chauvet en Ardèche en 1994 a suscité surprise et admiration. Datée d’environ 36 000 BP, ces peintures et gravures sont d’une exceptionnelle beauté, d’une grande richesse thématique et témoignent d’une véritable sophistication physique et plastique. Là encore, les animaux féroces dominent très largement le bestiaire représenté au côté des chevaux, bisons et aurochs.
C’est également à la période aurignacienne qu’appartiennent les plus anciennes représentations humaines et notamment féminines, comme en témoigne la statuette de la Vénus de Hohle Fels, découverte en 2008 dans la grotte du même nom au sud-ouest de l’Allemagne.
Quasi complète, elle est datée de 35 000 BP. De petites dimensions (6 cm), cette statuette a pu être un objet individuel, transporté sur soi. L’exagération de ses caractères féminins suggère une fonction symbolique à cet objet.
Autres éléments sculptés retrouvés fréquemment dans les abris du Périgord (Pataud, Cellier, La Ferrassie, etc.) à la période aurignacienne, ce sont les blocs calcaires gravés sur lesquels sont représentés des sexes féminins, figurés par des triangles vulvaires stylisés. D’autres représentations gravées ou peintes (animaux, phallus, empreintes de pattes) sont également identifiables.
La répétition de ce thème à l'échelle culturelle de l'aurignacien montre que les premières représentations symboliques expriment des traditions collectives. Figurations symboliques plus que représentations anatomiques, les vulves gravées évoquent-elles la fertilité, l’origine du monde ?
Quelques sites du Paléolithique supérieur ont livré des exemples d’instruments de musique.
De nombreuses flûtes en os ont notamment été découvertes dans la grotte d’Isturitz au Pays basque français, ainsi que dans les grottes du Jura Souabe. Datées d’environ 35 000 BP, les flûtes des sites allemands sont les plus anciens instruments connus à ce jour et suggèrent que la musique avait sans doute une place très importante dans la culture aurignacienne.
Les Aurignaciens ont fait de la parure un attribut individuel fort. Ils ornent leurs vêtements et accessoires, se parent de colliers, de bracelets, fabriqués à partir d’objets naturels ou transformés.
On retrouve très fréquemment des coquillages (littorines, turritelles, dentales…), des dents animales percées (canines de renard, croches de cerf, incisives de bovinés...), des perles en ivoire ou en pierre sur les sites fouillés.
Ainsi débutent avec l'Aurignacien les grandes civilisations du Paléolithique supérieur qui, pendant trente mille ans, sur la bordure méridionale de l'Europe épargnée par les glaces, vont multiplier les exploits dans le domaine artistique (peintures pariétales) comme dans la technique de la pierre taillée.
Vos réactions à cet article
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Reine Claude (15-08-2017 18:42:51)
15 Août 2017
Je suis absolument d'accord avec PHD1 ! Cette Vénus est gracieuse et de proportions harmonieuses. Comme quoi, les artistes de la Préhistoire n'ont rien à envier à notre période décadente, bien au contraire !
Ennered (03-11-2015 16:11:28)
"Autres éléments sculptés retrouvés fréquemment dans les abris du Périgord (Pataud, Cellier, La Ferrassie, etc.) à la période aurignacienne, ce sont les blocs calcaires gravés sur lesquels sont représentés des sexes féminins, figurés par des triangles vulvaires stylisés. D’autres représentations gravées ou peintes (animaux, phallus, empreintes de pattes) sont également identifiables.
La répétition de ce thème à l'échelle culturelle de l'aurignacien montre que les premières représentations symboliques expriment des traditions collectives. Figurations symboliques plus que représentations anatomiques, les vulves gravées évoquent-elles la fertilité, l’origine du monde ?"
Les lecteur de "LUI" "PLAYBOY" etc... ont donc des ancêtres :-)
Grabinoulor (25-10-2015 15:13:17)
BP , c'est avant JC ?
PHD1 (19-10-2015 20:30:22)
Je me demandais ce matin (dans un com qui n'apparait pas...) ce qui permettait de dire que ces hommes "exploitent de façon raisonnée les ressources naturelles animales et minérales"...
Je ne croyais pas si bien dire ! Un article du Monde sur une étude récente nous dit bien autre chose...
http://abonnes.lemonde.fr/sciences/article/2015/10/19/le-mammouth-victime-de-la-surchasse_4792531_1650684.html
PHD1 (19-10-2015 08:48:34)
2 remarques sur cet article :
- "Ces groupes humains [...] exploitent de façon raisonnée les ressources naturelles animales et minérales". Je me demande bien ce que le terme "raisonnée" signifie ici ? Qu'est-ce qui nous prouve qu'ils ne "gaspillaient" pas autant (plus) que nous ?
- Parler des représentation féminines sans citer la "Vénus de Brassempouy" est étonnant ! En effet, on n'y voit pas d'exagération des caractères féminins, mais plutôt une beauté presque "pré-raphaélique" !...