Si Louis XIV mourut à la veille de son soixante-dix-septième anniversaire, pareille longévité était chose rare au Grand Siècle !
Il suffit d'observer le tableau de famille du Roi-Soleil pour comprendre qu'il ne faisait pas bon naître et vivre au XVIIe siècle : sur les dix-sept enfants du monarque, seulement six fêtèrent leur quinzième anniversaire ! Nous allons voir que cette situation n'avait hélas rien d'exceptionnel.
Traitement royal
Le Roi-Soleil ne survécut à son entourage qu'au prix de mille et une souffrances que peu d'entre nous eussent supportées.
À huit mois, la crasse qui s'accumule sous les langes du petit prince oblige à une première saignée ; à neuf ans, la petite vérole le couvre de pustules ; à vingt ans, c'est la fièvre typhoïde qui engendre un début de calvitie, d'où la mode des perruques ! Les courtisans, pour l'imiter, se rasent la tête et portent la perruque comme un chapeau.
Passons rapidement sur les problèmes dentaires qui se terminent à cinquante ans avec l'arrachage de la dernière dent, les coliques néphrétiques, les innombrables problèmes intestinaux et la goutte causés par une gloutonnerie légendaire, ainsi que la célèbre fistule anale dont l'opération mit en 1686 la Cour en émoi.
En l'honneur de la guérison du Roi, Lully composa un chant qu'entonnèrent les demoiselles de Saint-Cyr et qui fut plus tard adapté en anglais. Il devint l'hymne de Sa Gracieuse Majesté sous le nom de God save the King/Queen.
Tous ces maux ne réussirent pas à abattre le monarque absolu qui continua jusqu'à la fin de sa vie à profiter de son cher Versailles dans une luxueuse « roulette », ancêtre de la chaise roulante.
Finalement c'est la gangrène provoquée par le diabète qui mit à bas l'ancien danseur : le 1er septembre 1715, il « a rendu l'âme sans aucun effort, comme une chandelle qui s'éteint » (baron de Breteuil).
En 1655, Louis XIV, souffrant de fièvre, subit les traitements habituels : saignées et lavements. Voici le journal d'un de ses médecins, Antoine Vallot : « Le soir, la douleur de tête survint plus forte qu'auparavant, avec une fièvre assez forte et assez considérable qui lui donna une mauvaise nuit, et m'obligea le lendemain suivant de lui tirer du sang, ayant pris le soir un lavement. La saignée donna une heure et demie de repos, et, un peu devant les onze heures du matin, l'émotion recommença avec chagrin et inquiétude, douleur de tête, pesanteur sur les yeux. [Deux autres lavements sont donnés dans la nuit]. Le matin, à son réveil, je ne trouvai pas son pouls sans une émotion considérable, et, comme je voyais que les accidents commençaient à augmenter avec la fièvre, je fis tirer du sang du pied à S. M. […]. Cette saignée du pied fut faite si à propos qu'elle diminua visiblement la fièvre avec tous les accidents […] ». (Antoine Vallot, Antoine d'Aquin et Guy-Crescent Fagon, Journal de la santé du roi Louis XIV de l'année 1647 à l'année 1711, 1862).
Survivre, tout un art
La mortalité générale dans la France de Louis XIV s'explique en premier lieu par l'hygiène déplorable dans laquelle se déroule l'accouchement, laissé entre les mains des matrones. Si le nourrisson y survit, il conservera longtemps sur la tête une couche de crasse destinée à protéger la fontanelle et rendre soyeux les cheveux ! Il devra ensuite s'habituer à l'odeur d'urine, un onguent très prisé, supporter d'être emmailloté telle une momie et affronter enfin l'obstacle des maladies infantiles.
L'enfant a, au XVIIe siècle, moins d'une chance sur deux de fêter son quinzième anniversaire. Côté filles, la grossesse est une nouvelle épreuve souvent éliminatoire, puisque « femme grosse a un pied dans la fosse » !
Les pauvres ont à lutter contre les carences et la famine ; quant aux riches, ils doivent faire attention à l'excès d'alimentation qui cause la goutte. Tous doivent se méfier des maladies pulmonaires (« phtisies ») et vénériennes (« véroles »). Enfin, la moindre blessure peut devenir un cauchemar : le musicien Jean-Baptiste Lully a ainsi succombé à la gangrène à 55 ans après s'être malencontreusement percé le pied avec la canne à bout ferré dont il se servait pour donner le rythme.
Vous ne faites pas partie des 10% de la population tués par la variole ? Alors gare à la peste qui en a emporté encore 5% ! À quarante ans, vous voilà déjà un grison avec un pied dans la tombe. Mais n'en soyez pas fâché car l'espérance de vie moyenne ne dépasse pas vingt-cinq ans (au lieu de quatre-vingt ans aujourd'hui en France).
Une autre conception de l'hygiène
Ne nous étonnons pas de cette surmortalité qui a affecté les Français du XVIIe siècle. L'hygiène comme nous la connaissons aujourd'hui n'existe pas encore et les soins du corps relèvent d'une conception opposée à la nôtre. Il suffit de lire la description du lever de Louis XIV pour en prendre la mesure : « Le premier médecin, le premier chirurgien […] le frottaient et souvent lui changeaient de chemise, parce qu'il était sujet à suer. […] Point de toilette à portée de lui, on lui tenait seulement un miroir » (Saint-Simon, Mémoires, 1788). Trop précieuse, la seule eau présente est l'eau bénite...
Si les salles de bain commencent à apparaître dans les grandes demeures, elles sont davantage des lieux de plaisir que de soins. On préfère souvent se contenter d'une « toilette sèche » consistant à se frotter avec des linges. Il est vrai que l'assimilation de la crasse à une couche protectrice ne pousse pas aux ablutions ! Ne dit-on pas : « Gens de bain, gens de peu d'années », ou encore : « Plus le bouc pue, plus la chèvre l'aime » ?
Mais le pire se rencontre en ville : faute d'égouts et d'abattoirs, les rues se transforment vite en cloaque malodorant. La légende dit d'ailleurs que Monsieur, frère du roi, lança la mode des talons rouges en étant revenu d'une promenade avec les talons maculés de sang.
La présence des cimetières autour des églises, au centre des villes et des villages, est également une invitation à toutes sortes d'épidémies. On y mettra fin à la veille de la Révolution, en découvrant enfin les règles d'hygiène qui sont encore les nôtres.
La saleté n'est pas pour autant la bienvenue ! Pour la noblesse, en particulier, l'apparence est capitale : les parties visibles du corps se doivent d'êtres irréprochables de propreté, tout comme les vêtements. Et l'on tente de cacher les mauvaises odeurs sous une débauche de parfums plus odorants les uns que les autres.
Gare aux malentendus. Cette conception de l'hygiène et du corps, en régression par rapport au Moyen Âge, n'est pas le fruit de la désinvolture ou de l'ignorance mais d'une application trop stricte des connaissances de l'Antiquité, redécouvertes au siècle précédent !
À la Faculté, on ne jure que par Hippocrate (Ve s. av. J.-C.) et Galien (IIe s. ap. J-C.), qui font figure de maîtres indépassables, le premier préconisant de laisser faire la nature et le second d'observer attentivement les symptômes.
Cela peut se comprendre : pour les hommes de science qui observent la décomposition des corps après la mort, la pourriture semble de toute évidence venir de l'intérieur de soi. Il faut que les individus bien portants l'empêchent de pénétrer dans leur corps en surveillant leur régime alimentaire et en évitant tout contact avec l'eau qui pourrait obstruer les pores de la peau, que l'on croit perméables. Certains évitent même de sortir dans la brume.
D'autre part, lorsque la maladie est là, les médecins la combattent en expulsant du corps les supposées saletés. Ils examinent d'un œil suspicieux les urines et les selles de leur patient afin de comprendre pourquoi l'équilibre a été rompu entre les « quatre humeurs » (le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire). Pour rétablir cet équilibre et rendre au malade sa « bonne humeur », ils le purgent à l'aide de bouillons laxatifs, de saignées ou de lavements. Cela devient même une mode : madame de Lafayette finit par prendre un abonnement pour une petite saignée hebdomadaire, tandis qu'on a recours au clystère pour retrouver un teint bien frais !
Un corps médical mal portant
Les Diafoirus, même raillés par Molière, peuvent continuer à impressionner leurs malades à grands coups de formules latines.
« Rien de plus ridicule qu'un homme qui veut se mêler d'en guérir un autre ! » Cette formule de Molière suffit à elle seule à résumer l'image que l'on a des médecins au XVIIe siècle.
Même si Paris et Montpellier peuvent s'enorgueillir de posséder des facultés de Médecine d'excellente réputation, les professionnels qui en sortent ne brillent pas par leur réussite dans les traitements, faute de connaissances et de moyens.
Ces bacheliers, revêtus d'une imposante toge, doivent avant tout avoir une bonne mémoire pour être capables de réciter par cœur les écrits des grands prédécesseurs, de préférence en latin, et ainsi donner le change à leurs patients : « Clysterium donare, postea purgare, ensuita saignare » (Molière, Le Malade imaginaire).
Malgré cela, on préfère souvent à leurs discours théoriques les bons vieux « remèdes de bonnes femmes » préparés à base de plantes (les « simples ») chez les apothicaires. Ceux-ci sont alors fiers de pouvoir concocter la fameuse thériaque, sorte de remède universel comprenant jusqu'à 87 plantes et un peu de chair de vipère desséchée...
Les « sucres fort cuits » contre les maux de gorge et « eaux célestes » pour rendre la parole aux agonisants font les beaux jours de toutes sortes de charlatans. Lorsque tous ces remèdes s'avèrent inefficaces, reste le recours à l'astrologie qui permit, dit-on, à Louis XIV de savoir quels maux risquaient de malmener ses armées.
N'oublions pas, pour les opérations chirurgicales, le chirurgien-barbier, seul habilité à poser les sangsues, arracher les dents et cautériser les plaies au fer rouge. Le tout, bien sûr, sans anesthésie... Belle époque où, si l'on en croit Molière, « presque tous les hommes meurent de leur remède et non de leur maladie ». Lui-même, moins chanceux que le roi, mourut de surmenage à 51 ans, en 1673.
Pourtant, si trop de médecins se méfient encore du progrès, celui-ci est bien en marche au XVIIe siècle qui est aussi, rappelons-le, le Grand Siècle des Sciences. Le quinquina, arrivé tout juste des Amériques, commence à profiter à de plus en plus de malades dont le plus célèbre, Louis XIV, guéri en 1649 d'une forte fièvre.
La chirurgie poursuit avec succès les trépanations, opérations de la cataracte et autres extractions des calculs, mais les difficultés rencontrées pour éviter les hémorragies et les infections ainsi que l'absence d'anesthésie rendent chaque intervention périlleuse. Le corps humain, déjà bien connu après les travaux de Vésale (XVIe siècle), continue à livrer doucement ses secrets.
C'est ainsi que le Hollandais Van Leeuwenhoek, marchand de draps qui utilisait le tout nouveau microscope pour observer ses tissus, finit par découvrir les spermatozoïdes et les globules sanguins. Mais c'est d'Angleterre que vient la grande découverte du XVIIe siècle : William Harvey, à partir de 1628, explique le système de la double circulation sanguine. Moqué, Harvey est dénigré sous le nom de « circulator » (« médecin ambulant » en latin).
Mais il faudra attendre la fin du XVIIIe siècle pour que les scientifiques et médecins prennent enfin conscience des vertus de l'hygiène et de la propreté. Ce sera, bien avant l'arrivée des vaccins et des antibiotiques, le premier et principal facteur d'allongement de l'espérance de vie et du bien-être.
« Il faut que le malade souffre, sans murmurer, tout ce que le chirurgien lui veut faire, ne doutant nullement que ce qu'il en reçoit le rapproche de plus en plus de la guérison, et que, s'il lui fait de la douleur, c'est ou qu'elle est inévitable ou qu'elle donne occasion à quelques efforts utiles. [Il faut que le médecin] l'encourage et le rassure, qu'il compatisse à sa peine, qu'il lui promette de ne lui causer que le moins de douleur qu'il sera possible [...] Je n'approuve point non plus que pendant une opération tous les chirurgiens présents aillent sonder ou mettre leurs doigts dans la plaie ; ce sont autant de douleurs nouvelles qu'on fait essuyer au malade, qui ne font que prolonger le temps de son martyre […] Il est des chirurgiens qui s'offensent des cris d'un malade, qui le grondent et s'emportent contre lui, comme s'il devait être insensible aux maux qu'ils lui font endurer ; ces façons d'agir sont trop cruelles, il faut qu'un chirurgien ait de l'humanité, qu'il exhorte les malades à la patience, qu'ils compatissent à la douleur qu'ils souffrent, s'il ne peut se dispenser de lui en faire, qu'il lui laisse la liberté de crier et de gémir. [...] Je voudrais aussi qu'il n'assistât à une opération que les personnes qui y sont nécessaires, car ce grand nombre de curieux ou de spectateurs inutiles ne fait qu'embarrasser » (Pierre Dionis, Cours d'opérations de chirurgie, 1707).
Inépuisable source d'inspiration littéraire
Est-ce parce que, dit-on, il aurait observé les médecins s'agiter inutilement au chevet de sa mère mourante que Molière ne cessa de les attaquer ? Ou faut-il simplement voir, dans cette persévérance à critiquer, la simple reprise d'un thème habituel en littérature ? « Tant que les hommes pourront mourir et qu'ils aimeront à vivre, le médecin sera raillé et bien payé. » opine Jean de La Bruyère (Les Caractères).
De Platon à Montaigne, les hommes de lettres ne se sont pas privés d'attaquer le noble art de la médecine. Celle-ci étant encore, à l'époque, quelque peu hasardeuse, la satire était toute venue et faisait les beaux jours de la comédie à l'italienne où les Dottore parlaient un réjouissant charabia comme pour justifier la vieille plaisanterie : « Le malade a succombé sous le nombre des médecins » !
Molière ne manqua pas de reprendre ces personnages hauts en couleurs, cibles privilégiées du petit peuple comme des puissants. Le Médecin volant (1659), L'Amour médecin (1665), Le Médecin malgré lui (1666), Le Malade imaginaire (1673)... Les titres suffisent à dire le plaisir avec lequel Molière a créé Diafoirus, Purgon et leurs confrères pour moquer l'orgueil de la Faculté et l'incompétence de ses savants.
Derrière la critique, n'oublions pas les portraits de malades dépeints par un Molière lui-même souffreteux : c'est aussi de désespoir qu'est atteint Argan, perdu face à l'impuissance des remèdes. Si, dans les siècles suivants, la médecine a retrouvé plus d'éclat, elle est restée une source infinie d'humour. Jules Romain n'avait-il pas raison en donnant au docteur Knock la devise : « Tout homme bien portant est un malade qui s'ignore » (1923) ?
Le médecin Tant-Pis allait voir un malade
Que visitait aussi son confrère Tant-Mieux.
Ce dernier espérait, quoique son camarade
Soutînt que le gisant irait voir ses aïeux.
Tous deux s'étant trouvés différents pour la cure,
Leur malade paya le tribut à Nature,
Après qu'en ses conseils Tant-Pis eut été cru.
Ils triomphaient encor sur cette maladie.
L'un disait : Il est mort, je l'avais bien prévu.
S'il m'eût cru, disait l'autre, il serait plein de vie.
Sources
François Lebrun, Médecins, saints et sorciers aux 17e et 18e siècles, Temps actuels, 1983.
Albert S. Lyons et Joseph Petrucelli, Histoire illustrée de la médecine, 1979, Presses de la Renaissance.
Stanis Perez, « Louis XIV, le roi très-malade », L'Histoire n°292, nov. 2004.
Aurélien Fayet et Michèle Fayet, L'Histoire de France tout simplement (Eyrolles).
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Matt (08-08-2021 11:16:01)
Preuve de l'inspiration de la Bible
Diogene (28-08-2015 18:03:26)
En effet...mais ne pas oublier qu'en temps d'Inquisition: à la fin du Moyen Âge, on RECONNAISSAIT (sic) un Juif (Marrane) au FAIT QU'IL SE LAVAIT les mains à toute occasion alimentaire et après "e... Lire la suite
Diogene (27-08-2015 10:05:56)
Dire que l'hygiène n'existait pas même comme concept est pousser le bouchon loin mais naturellement pour un monde chrétien obscurci de puis le haut moyen âge jusques après la Renaissance (Louis1... Lire la suite
annie (27-08-2015 10:00:41)
merci c'est toujours un plaisir de lire vos articles, et bien agreable d'avoir quelques references de livres,pour continuer a appronfondir