Le 22 octobre 1962, dans un discours mémorable prononcé d'une voix grave, le président américain John Fitzgerald Kennedy lance un ultimatum à peine voilé aux Soviétiques et à leur chef, Nikita Khrouchtchev, secrétaire général du Parti et président du Conseil des ministres.
Il conclut son discours sur une note très grave : « Le prix de la liberté est élevé. Mais l'Amérique l'a toujours payé ». Le monde tremble dans la crainte d'une guerre nucléaire entre les deux superpuissances.
Au bord du gouffre
Une semaine plus tôt, des photos aériennes prises par un avion-espion U2 ont révélé au président américain que les Soviétiques étaient en train d'installer des bases de lancement de fusées à tête nucléaire sur l'île de Cuba, à 200 kilomètres de la Floride et à portée immédiate des métropoles américaines.
Il s'agit pour les Soviétiques de répliquer à l'installation en novembre 1961 par le président Kennedy de quinze fusées Jupiter en Turquie et de trente en Italie, destinées à frapper l'URSS en cas de guerre nucléaire.
Pour les Soviétiques, cette épée de Damoclès est inadmissible... Il en va de même pour les Américains avec l'installation par les Soviétiques de fusées similaires à Cuba.
Le président Kennedy confie la gestion de la crise à un Conseil de sécurité nationale placé sous l'autorité de son frère Bob et du Secrétaire à la Défense McNamara. Le vice-président Lyndon Johnson y participe exceptionnellement.
Pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, dans le secret, ce conseil élabore tous les scénarios possibles face au casus belli que constitue l'installation des fusées à Cuba.
Le 19 octobre, dans le salon ovale de la Maison Blanche, le général en chef de l'aviation (US Air Force) Curtis Le May tente encore de convaincre le président d'employer la manière forte, à savoir un bombardement de Cuba avec le risque d'un engrenage nucléaire.
Américains et Soviétiques négocient pendant ce temps dans les coulisses (« On a heureusement affaire à cette époque-là à deux acteurs rationnels qui pèsent le pour et le contre », note l'historien André Kaspi, auteur d'une remarquable biographie de Kennedy).
La tension est à son comble. Le président choisit en définitive de montrer ses muscles pour n'avoir pas à les utiliser. Dans son discours du 22 octobre, il annonce une « quarantaine » autour de Cuba en vue d'empêcher les navires communistes de livrer le matériel destiné aux bases de missiles.
C'est un jeu extrêmement périlleux : avec ce blocus (un acte de guerre qui ne dit pas son nom), on frôle à tout moment l'incident qui pourrait dégénérer en troisième guerre mondiale.
Dès le 24 octobre, des cargos soviétiques renoncent à poursuivre leur route vers l'île. Le 26 octobre, Nikita Khrouchtchev propose des négociations mais Kennedy ne veut rien d'officiel qui rappellerait les tristement célèbres accords de Munich (1938).
Le lendemain, un avion-espion U2 est abattu au-dessus de Cuba et son pilote tué. Kennedy prévient les Soviétiques que la prochaine agression de ce type serait suivie d'un bombardement des sites de missiles.
Mais du bout des lèvres, il accepte le principe des négociations et prend par écrit l'engagement de ne jamais tenter d'envahir Cuba. Par une clause secrète, il s'engage aussi à démanteler ses missiles en Turquie, aux frontières de l'URSS.
Le 28 octobre, Khrouchtchev, l'honneur sauf, s'incline et accepte de démonter les sites de missiles.
La crise des fusées est l'aboutissement d'un spectaculaire revirement des relations entre Washington et La Havane.
Le 1er janvier 1959, à Cuba, un jeune guerillero, Fidel Castro, a mis fin à l'interminable dictature de Fulgencio Batista avec le soutien discret des États-Unis. Sous l'impulsion d'Ernesto « Che » Guevara, fervent marxiste originaire d'Argentine, Fidel Castro élimine ses opposants et nationalise à tour de bras l'économie, y compris les investissements américains sur l'île. Cela lui vaut de se fâcher avec Washington.
La CIA organise un débarquement d'opposants dans la Baie des Cochons le 16 avril 1961. C'est un fiasco. Isolé et sans ressources, Fidel Castro n'a plus d'autre issue que de se jeter dans les bras de l'URSS qui offre de lui acheter rubis sur l'ongle tout le sucre produit sur l'île. Il ne peut refuser à son nouvel allié l'installation de fusées sur son sol en réplique au déploiement de fusées américaines en Turquie et en Italie.
Après la crise des fusées, Fidel Castro bascule irréversiblement dans le camp soviétique et se déclare marxiste-léniniste.
Vers la détente
Pour le monde entier, il devient clair qu'aucun des deux Super-Grands n'est prêt à prendre le risque d'un conflit nucléaire. C'est une première faille dans la guerre froide et l'amorce timide de la détente.
Une ligne téléphonique directe, le « téléphone rouge », est installée entre la Maison Blanche et le Kremlin pour prévenir de nouvelles crises. Quelques mois plus tard, dans la discrétion, les Américains démantèlent leurs bases de fusées Jupiter installées en Turquie, à la frontière avec l'Union soviétique.
Affaibli par son échec, Khrouchtchev est chassé du pouvoir le 14 octobre 1964 par ses rivaux du Politburo soviétique. Un an plus tôt, Kennedy a été assassiné à Dallas (sans que cela ait eu quelque chose à voir avec la crise des fusées).
La crise des missiles va inspirer au cinéaste Stanley Kubrick le film Docteur Folamour (1964), une illustration satirique de ce à quoi le monde a échappé.
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ajperlaigue (20-10-2024 23:36:55)
Il me semble qu'on a mis longtemps à révéler que c'est en fait l'accord secret sur le démantèlement des bases américaines, origine réelle de l'affrontement, qui a permis le dénouement, présen... Lire la suite
Christian (25-10-2022 06:02:32)
Même si ce n'est sans doute qu'une coïncidence, on oublie souvent de rappeler que la crise de Cuba s'est déroulée en même temps que la guerre sino-indienne dans l'Himalaya, qui éclate le 20 octo... Lire la suite
Tata (23-03-2022 20:16:55)
Je ne comprends pas le passage de l'article qui parle du "bluff" de Kennedy, le blocus de l'île par la marine américaine est bel est bien réel, pourquoi parler de "bluff" ?Herodote.net répond : le... Lire la suite