L'épopée napoléonienne s'achève le 18 juin 1815 à une vingtaine de kilomètres au sud de Bruxelles, entre les villages de Waterloo et Mont-Saint-Jean, avec la défaite de l'empereur Napoléon Ier (45 ans) par une coalition anglo-prussienne.
Celle-ci est conduite par le duc de Wellington, né Arthur Wellesley (45 ans), déjà considéré comme un héros dans sa patrie du fait de ses victoire dans la péninsule ibérique, et le feld-maréchal prussien Gebhardt von Blücher (72 ans !), un soldat sans génie mais d'une grande fermeté de caractère, que ses hommes surnomment avec affection Vorwärts (« En avant ! »).
La bataille est, avec Eylau et Leipzig, l'une des plus meurtrières qu'ait livrées Napoléon. Elle va clore la période révolutionnaire et mettre fin à sept siècles d'hostilités entre la France et l'Angleterre. Elle va aussi inaugurer en Europe près d'un siècle de prospérité et de paix relative, sous l'égide de monarchies conservatrices. Notons que Waterloo est le seul site napoléonien qui a été à peu près préservé en l'état. Le coup d'oeil vaut la visite...
Fin des Cent-Jours
Onze mois après son départ pour l'île d'Elbe, le 1er mars 1815, Napoléon Ier débarque à Golfe-Juan, à la surprise générale. Accompagné d'une troupe de fidèles soldats, il prend le chemin de Paris. Entre la nouvelle du débarquement de Napoléon dans le sud de la France et son arrivée aux Tuileries, Le Moniteur, journal du gouvernement français, a utilisé pour désigner Napoléon les surnoms suivants : « l'anthropophage », « l'usurpateur », « Bonaparte », « l'ogre », « le tigre », « le monstre », « le tyran », « l'empereur » et, finalement, « sa majesté impériale ».
Pendant ce temps, réunis en congrès à Vienne, les Alliés viennent tout juste de s'entendre sur les conditions de paix avec la France et se disputent sur le sort du royaume de Saxe que la Prusse veut démembrer à son profit. Ils ne sont pas loin de se faire la guerre !
Pris de court par le retour du proscrit, ils refont leur unité et le déclarent hors la loi. À l'initiative de Talleyrand, ministre des Affaires étrangères de Louis XVIII, ils le livrent à la vindicte publique et publient dès le 13 mars 1815 une déclaration cinglante et sans appel :
« Les puissances qui ont signé le Traité de Paris, réunies en congrès à Vienne, informées de l'évasion de Napoléon Bonaparte et de son entrée à main armée en France, doivent à leur propre dignité et à l'intérêt de l'ordre social une déclaration solennelle des sentimens que cet événement leur a fait éprouver.
En rompant ainsi la convention qui l'avait établi à l' île d'Elbe, Bonaparte détruit le seul lien légal auquel son existence se trouvoit attachée. En reparoissant en France, avec des projets de troubles et de bouleversemens, il s'est privé lui-même de la protection des lois, et a manifesté, à la face de l'univers, qu' il ne sauroit y avoir ni paix ni trêve avec lui. Les puissances déclarent, en conséquence, que Napoléon Bonaparte s'est placé hors des relations civiles et sociales, et que, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s'est livré à la vindicte publique... ».
Le duc de Wellington, qui a signé la déclaration au nom du Royaume-Uni, se hâte de reprendre le chemin de l'Angleterre en vue de reprendre le combat.
Quand la déclaration arrive à la connaissance des Parisiens, l'Empereur a déjà réintégré son palais des Tuileries, porté en triomphe par ses anciens soldats et officiers. Il aurait souhaité convaincre les coalisés de son désir de paix mais comprend que cela est inutile.
Face à la menace d'invasion, il ne se hasarde pas pour autant à relancer la conscription. Il n'est plus question non plus pour lui de recourir à des contingents étrangers.
Avec l'armée royale et les vétérans, il arrive à reformer une armée d'active de 290 000 hommes à laquelle s'ajoute la garde nationale, une armée auxiliaire de 220 000 hommes.
Pour défendre en premier lieu la frontière du Nord, il réunit en toute hâte 125 000 vétérans, soit à peu près la moitié de toute l'armée française.
Sa stratégie est limpide : battre ses adversaires séparément pour bénéficier à chaque fois de l'équilibre des forces. Il décide d'attaquer les Anglais et les Prussiens en Belgique, avant qu'ils ne soient rejoints par les Autrichiens et les Russes.
Son ancien chef d'état-major, le maréchal Berthier, étant mort le 1er juin, il le remplace par le maréchal Soult, bien que celui-ci se soit compromis comme ministre de la Guerre de Louis XVIII.
Les ennemis de Napoléon n'ont pas encore démobilisé leurs troupes quand ils décident, le 10 mars 1815, de constituer une septième coalition pour faire face au retour de l'Aigle. L'Angleterre, l'Autriche, la Prusse et plusieurs autres États allemands, la Russie et l'Espagne rassemblent au total 800 000 hommes.
Début juin 1815, cinq armées sont déjà sur les frontières de la France : l'armée d'Italie sur les Alpes (près de 95 000 hommes), l'armée austro-bavaroise sur le haut Rhin, sous les ordres du prince Charles-Philippe de Schwarzenberg (près de 250 000 hommes), l'armée russe de Barclay de Tolly (225 000 hommes)... Enfin, sur le bas Rhin, l'armée prussienne de Blücher (environ 135 000 hommes) et, dans les Pays-Bas, l'armée anglo-néerlandaise de Wellington (environ 90 000 hommes).
Notons que l'armée de Wellington, dite armée des Alliés, compte un 1er corps de 25 000 Néerlandais sous le commandement du jeune prince Guillaume d'Orange-Nassau (22 ans) et un très important détachement hanovrien (allemand) d'environ 20 000 hommes, la King's German Legion (KGL). Les Britanniques ne sont au total guère plus de 25 000, soit moins du tiers des effectifs. Il est vrai qu'une partie de l'armée anglaise est encore en Amérique où elle a dû affronter les jeunes États-Unis.
Napoléon a pu réunir quant à lui 90 000 hommes, dont 22 000 cavaliers, et 366 canons. Cette armée, dite armée du Nord, inclut les 26 000 hommes de la Garde impériale commandés par le général Antoine Drouot, ainsi que le 1er corps d'armée de Drouet d'Erlon (20 000 hommes), le 2e corps de Reille (22 000 hommes), le 6e corps de Mouton, le 3e corps de cavalerie de Kellerman (3700 cavaliers) et le 4e corps de cavalerie de Milhaud (3000 cavaliers). À quoi s'ajoute le détachement du maréchal Grouchy : environ 35 000 hommes.
15 juin : le bal de la duchesse de Richmond
À la tête de ses troupes, Napoléon prend de vitesse les alliés et pénètre dès le 15 juin dans ce qui deviendra la Belgique. C'est la dernière fois dans l'Histoire européenne qu'un chef d'État commande en personne une opération militaire...
Il traverse la Sambre à Charleroi en vue de se placer entre les deux armées ennemies.
Première déconvenue : le général comte de Bourmont, ancien chouan et royaliste tardivement rallié à l'Empereur, choisit de déserter avec son état-major. Le feld-maréchal Blücher n'est pas du genre à apprécier ce comportement. Il refuse avec mépris de recevoir ce « jean-foutre ». Bourmont aura plus tard l'honneur de commander l'expédition d'Alger et recevra le bâton de maréchal pour ce fait de gloire...
Côté anglais, le duc de Wellington a déjà vaincu au Portugal et en Espagne des maréchaux français, notamment Soult et Ney, mais n'a jamais affronté directement Napoléon Ier. Il s'établit à Bruxelles en misant sur le soutien sans faille de Blücher.
L'arrivée de l'armée française le prend de court mais il se garde de montrer la moindre inquiétude et, le soir venu, fait une brève apparition au bal de la duchesse de Richmond, auquel il était invité ainsi que ses officiers.
Vers 11 heures, il envoie le prince d'Orange rejoindre son avant-garde au lieu-dit Les Quatre-Bras, à l'intersection des routes Bruxelles-Charleroi et Namur-Nivelles. C'est par ce carrefour stratégique que doivent passer les Prussiens, établis pour l'heure à Charleroi, plus à l'Est.
À Bruxelles, Wellington se fait apporter une carte après le souper et, au duc de Richmond qui lui demande : « Qu'allez-vous faire ? » Il répond en pointant le village de Waterloo, à une vingtaine de kilomètres au sud de Bruxelles : « Je vais le combattre ici ». Il a déjà repéré l'endroit un an plus tôt, lors d'une tournée d'inspection. C'est un terrain doucement vallonné et boisé, avec une ligne de crête derrière laquelle il peut être aisé de placer une armée sans qu'elle soit vue d'une armée ennemie venant du sud.
16 et 17 juin : victoire française à Ligny ; match nul aux Quatre-Bras
Le 16 juin, Napoléon se dispose à attaquer avec Grouchy les Prussiens de Blücher. Dans le même temps, il demande au maréchal Ney, qui commande son aile gauche, d'attaquer les Anglo-Hollandais aux Quatre-Bras.
Napoléon vainc les Prussiens à Ligny, entre Charleroi et Namur. Ce village jouxte Fleurus, un autre village devant lequel la République française avait remporté une victoire autrement décisive en 1794. Cette victoire sera la dernière de sa carrière.
À la fin de la journée, Blücher tombe après que son cheval a été tué. Il manque d'être capturé et arrive à rejoindre son armée qui a pu se retirer en bon ordre grâce au sang-froid du chef d'état-major, le comte de Gneisenau. L'Empereur n'a pu anéantir l'armée prussienne faute d'avoir obtenu à temps le renfort du 1er corps d'armée, son commandant Drouet d'Erlon ayant reçu des ordres contradictoires.
Pendant ce temps, Ney, qui commande l'aile gauche de l'Armée du nord, a la surprise de se heurter au carrefour routier de Quatre-Bras au gros des troupes anglo-hollandaises sous le commandement de Wellington. Par manque d'initiative, il échoue à faire reculer l'ennemi. La bataille de Quatre-Bras se solde par un match nul.
Le lendemain, 17 juin, l'Empereur demande à Ney de reprendre l'offensive sans attendre. Mais le maréchal hésite et prend son temps, ce que voyant, Napoléon le rejoint aux Quatre-Bras pour mener l'attaque.
En infériorité numérique, Wellington choisit de se retirer vers le nord cependant que l'avant-garde française harcèle son armée. Les troupes alliées vont se retrancher solidement sur le plateau de Mont-Saint-Jean, au sud du village de Waterloo, cependant que Wellington s'arrête dans l'auberge du village pour la nuit. Là, il reçoit de Blücher l'assurance qu'il viendra le soutenir avec toutes ses forces.
De son côté, l'Empereur ordonne à Grouchy de poursuivre les Prussiens et d'empêcher leur jonction avec les Anglais. Lui-même rassemble ses troupes en vue de la rencontre décisive. La nuit se passe sous une pluie battante.
18 juin : un enfer de huit heures
Napoléon veut affronter au plus tôt les Anglais. Il projette d'empêcher leur jonction ultérieure avec les Prussiens par une attaque sur leur gauche, malgré un terrain médiocre.
Le champ de bataille est exigu, d'environ 3 à 5 kilomètres de côté, avec le plateau de Mont-Saint-Jean et, au sud, le plateau de la Belle-Alliance. Les deux plateaux sont séparés par un vallon et distants de 1200 mètres.
Les Anglais tiennent le hameau de Mont-Saint-Jean et ont fortifié les fermes voisines de la Papelotte et la Haie Sainte. Ils ont aussi fortifié la ferme-château de Hougoumont, cachée dans un bois et que ne peuvent voir les Français.
Wellington organise sa défense dans l'attente des Prussiens. Il place les régiments anglais à l'abri derrière la contrepente, hors de la vue de l'ennemi. Ses alliés hollandais et allemands couvrent les premières lignes.
Le sol ayant été détrempé par le violent orage de la veille, l'artillerie française se déplace mal et Napoléon doit donc différer l'attaque jusqu'à la fin de la matinée.
La bataille débute à 11h30 par une attaque de diversion conduite par Jérôme Bonaparte, le frère cadet de l'Empereur, dans le bois d'Hougoumont et autour de la ferme-château. Mais les défenses anglaises vont se montrer d'une redoutable efficacité...
Contre toute attente, cinq cents combattants, Gardes écossaises, Coldstream, soldats de Nassau et de Hanovre, vont résister à près de huit mille soldats d'élite, tandis que flambe le château et qu'une pluie de boulets et de balles s'abat sur eux. Leurs tireurs et leurs canons font des ravages parmi les fantassins du IIe Corps de Reille. Cinq mille assaillants tombent au cours de la journée sans parvenir à prendre la ferme-château. Une poignée d'entre eux arrivent à forcer le portail mais celui-ci se referme sur eux et ils sont aussitôt massacrés.
[Voir l'image en grandes dimensions]
Napoléon, pour sa part, porte le gros de ses efforts sur le centre de l'armée anglaise. Il s'agit de défaire Wellington avant que n'arrive le gros de l'armée prussienne...
Voilà justement qu'à 13h, l'Empereur, de son poste d'observation de la ferme du Caillou, aperçoit sur sa droite la cavalerie prussienne de von Bülow - l'avant-garde de l'armée de Blücher - qui s'apprête à rejoindre les Anglais.
Il fait circuler dans l'armée le bruit que c'est Grouchy qui arrive et non Blücher !
Il charge par ailleurs le général Georges Mouton, comte Lobau, d'arrêter les Prussiens au niveau du village de Plancenoit, avec une partie de ses réserves, dont la Jeune Garde.
Bien qu'en infériorité numérique, le comte Lobau va contenir les Prussiens jusqu'à la nuit.
À 13h30, la principale attaque française s'engage par un tir d'artillerie de 80 canons et une poussée de l'infanterie sur la gauche de Wellington. Ensuite s'avance le corps d'infanterie de Drouet d'Erlon. Il s'empare de la ferme de la Papelotte mais échoue devant la Haie Sainte. Au centre, les lourdes colonnes françaises peinent à atteindre le sommet de la pente, à une trentaine de mètres des lignes britanniques. Profitant de la confusion, les brigades Kempt et Pack les chargent à la baïonnette. L'infanterie française se replie en abandonnant à l'ennemi deux aigles, 3 000 prisonniers et un grand nombre de morts et blessés.
En début d'après-midi, sur ce territoire très restreint où manœuvrent plus de cent mille hommes et des dizaines de milliers de chevaux, la bataille bat son plein dans le bruit et la fumée.
À 15h, sous le feu des canons français, Wellington fait reculer ses premières lignes de 100 pas, derrière la crête de la colline, où ils sont à l'abri de la canonnade et hors du champ de vision des Français. L'infanterie alliée se forme à la hâte en carrés, en prévision de l'assaut.
De fait, le maréchal Ney, qui ne voit rien de ce qui se passe derrière la ligne de crête, interprète la manoeuvre comme une retraite et, sans avoir reçu d’ordres de l’Empereur, demande une brigade (deux régiments) de cuirassiers afin d’enfoncer le centre anglais qu’il imagine en recul.
Les 800 hommes initiaux seront au final presque 2 000 car d'autres régiments, notamment les lanciers de De Brack, vont se joindre à la charge sans avoir là aussi reçu d’ordres !
À cheval, avec leur cuirasse, leur grand sabre et leur casque à crinière, les cuirassiers évoquent la puissance d'un char d'assaut d'aujourd'hui.
Les charges de cavalerie progressent en plusieurs lignes quelque peu distantes les unes des autres. Elles font l’effet d’une « vague » uniforme, qui, ligne, après ligne, vient frapper les troupes ennemies. Les cuirassiers démarrent au pas, en rang, puis on sonne le petit trop et ensuite le grand trot.
C'est seulement dans les cinquante derniers mètres qu'ils se lancent au galop, sabre au clair, sur les lignes ennemies.
En face, les fantassins, en carrés, les mettent en joue. Ils tirent au dernier moment car leurs fusils ont peu de précision au-delà de cinquante mètres. Ils visent en priorité les chevaux...
À Waterloo, les charges de cuirassiers ont été handicapées par le terrain détrempé et un redoutable chemin creux qui n'ont pas permis aux cavaliers de prendre de la vitesse. Wellington a aussi disposé ses troupes en 25 carrés de 500 hommes chacun, placés en échiquier pour perturber le mouvement des chevaux.
Ney relance sans trêve ses charges de cuirassiers. Certains régiments chargeront jusqu'à 7 à 8 fois en trois heures ! Les carrés anglais sont éprouvés par ces attaques et plus encore par la canonnade entre chaque charge. Mais ils n'ont de cesse de se reformer après chaque attaque.
À 17h, quand la Jeune Garde rejoindra les IIIe et IVe Corps, il y aura jusqu'à 8 000 cavaliers qui affronteront en même temps les lignes anglaises sur un front de moins d'un kilomètre, embrumé et assourdi par la fumée des canons, le bruit des obus, le galop des chevaux et les cris des hommes !
À l'est du dispositif, le comte Lobau peine à contenir l'avant-garde prussienne de Bülow. Napoléon comprend que le temps lui est compté avant que Prussiens et Alliés fassent leur jonction. Il lance dans la fournaise ses derniers régiments de cavalerie menés par Kellermann. L'affrontement est homérique. Sir Augustus Frazer, qui commande le Royal Horse Artillery, écrira : « La cavalerie française effectua les charges les plus hardies qu'il m'ait jamais été de voir... Jamais cavaliers ne se comportèrent plus vaillamment, jamais infanterie ne les accueillit d'un pied plus ferme ».
Dans un sursaut d'énergie, les carrés anglais se sont reformés et résistent au choc. Les cuirassiers de Kellermann tournent autour d'eux sans pouvoir les briser.
Au prix d'un effort surhumain, et malgré l'absence de soutien de l'artillerie et de l'infanterie, Ney finit par prendre à 18h30 la ferme de la Haie Sainte, au cœur du dispositif anglais. Elle était défendue par mille mercenaires allemands de la King's German Legion du commandant Baring. Une cinquantaine survivent à l'assaut. Ney réclame à Napoléon des renforts pour en finir. Las ! Les réserves sont épuisées ou déjà employées pour arrêter les avant-gardes prussiennes.
À ce moment-là, le sort de la bataille est plus que jamais incertain. Wellington, qui ne s'est jamais départi de son calme en dépit des obus qui fauchaient autour de lui ses officiers et ses compagnons d'armes, ne voit plus d'espoir qu'en l'arrivée de la nuit, qui mettra fin aux combats, ou de Blücher, qui retournera la situation. Il fait mine de se retirer et sans doute y songe-t-il vraiment.
Comment ne pas citer ici Victor Hugo même si son récit est plus fulgurant qu'historique !
« Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire.
Il avait l'offensive et presque la victoire ;
Il tenait Wellington acculé sur un bois,
Sa lunette à la main, il observait parfois
Le centre du combat, point obscur où tressaille
La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
Et parfois l'horizon, sombre comme la mer.
Soudain, joyeux, il dit : "Grouchy !" - C'était Blücher. »
(Les Châtiments, 1853).
Dans son Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon fera porter à Grouchy une responsabilité écrasante dans la défaite. D'aucuns reprocheront même au maréchal d'avoir préféré finir son dessert de fraises en compagnie de l'aubergiste de Wavre plutôt que de céder aux instances de ses officiers et notamment du général Gérard : « Monsieur le maréchal, il est de votre devoir de marcher au canon
- Mon devoir est d'exécuter les ordres de l'Empereur ».
De fait, il semble qu'il n'ait rien eu à se reprocher. Dans l'après-midi, en effet, un message de Napoléon lui ordonne d'arrêter les Prussiens à Wavre, ce dont il s'acquitte au mieux, et c'est seulement en soirée qu'il reçoit l'ordre de rejoindre le champ de bataille de Waterloo. Trop tard. Il y arrive quand Napoléon l'a déjà quitté.
Quand se pointe enfin le premier corps d'armée prussien, Wellington est soulagé. Il s'avance au-devant de ses troupes et donne l'ordre de la contre-attaque générale : « Tenez ferme, mes garçons ! Que dirait-on de nous, en Angleterre, si nous quittions d'ici ? ».
Napoléon se résout à donner la Moyenne Garde, l'élite de l'élite, jusque-là tenue en réserve. Mais elle recule suite à une attaque surprise de la division hollandaise de Chassé, ancien général de la Grande Armée, ce qui engendre un début de panique dans les troupes, aux cris de « Trahison ! » et « La Garde recule ! »
Le maréchal Ney, au seuil du désespoir, cherche une mort qui ne vient pas. À pied, tête nue, ayant déjà perdu cinq chevaux sous lui, il hèle ses hommes : « Venez voir comment meurt un maréchal de France ! »
La débandade
Tandis que les troupes se débandent, la Vieille Garde, fidèle à sa réputation, ne recule pas. Elle couvre la retraite de l'armée de concert avec la Moyenne Garde, d’où le mot célèbre de Cambronne inventé un demi-siècle plus tard par Victor Hugo.
Après avoir un moment cherché la mort en s'exposant au feu ennemi, Napoléon Ier rentre à la ferme du Caillou sur son cheval « Le Marengo ». Mais il se fait surprendre par une arrivée imminente des Prussiens et doit abandonner son fidèle destrier qui finira sa vie en Angleterre, à l’âge canonique de 38 ans.
Ayant laissé le commandement des dernières troupes à son frère Jérôme, l'Empereur monte dans sa berline ; un landau le suit avec son équipement de campagne et des objets précieux. Mais à Genappe, un gros encombrement empêche les voitures de franchir la Dyle. Comme les Prussiens approchent, il faut abandonner les berlines sur place. En dépit de la fatigue et des hémorroïdes (!) qui l'ont fait souffrir toute la journée, l'Empereur doit remonter à cheval pour échapper à ses poursuivants. Il retourne à Paris pour sauver ce qui peut l'être de son trône. Mais à peine arrivé aux Tuileries, il n'a rien de plus pressé que de se faire couler un bain...
Pendant ce temps, tard dans la soirée, Wellington et Blücher se rencontrent enfin et se congratulent devant la taverne de la Belle-Alliance - la bien-nommée - ou plus certainement dans le village voisin de Genappe. Le général anglais s'est vu attribuer la gloire de la victoire, sans doute de façon excessive. Il a plusieurs fois commis des erreurs tactiques et, au milieu de l'après-midi, se disposait à battre en retraite quand ont surgi les premiers Prussiens. Aussi devrait-il par équité partager les lauriers avec son allié Blücher...
La France perd à Waterloo sa prééminence militaire en dépit de quelques ultimes faits d'armes comme celui de Grouchy à Wavre, le lendemain, et celui d'Exelmans, qui repousse les Prussiens de Blücher à Rocquencourt, près de Paris, le 1er juillet 1815. Cette ultime victoire clôt pour de bon l'épopée napoléonienne.
Pour l'Empereur viendra l'exil définitif à Sainte-Hélène.
Selon une rumeur tardive, le banquier Nathan Rothschild aurait été informé de la défaite de Napoléon alors que les Londoniens croyaient encore que Wellington avait fait retraite. La Bourse étant en chute libre, le banquier en aurait profité pour acheter un maximum de titres au plus bas, d'où l'origine de son exceptionnelle fortune !... Il ne s'agit en fait que d'une fable aux relents antisémites qu'aucun mouvement boursier exceptionnel ne vient corroborer.
Épilogue
Sur le champ de bataille de Waterloo, le soir venu, les pillards de tous poils se ruent sur les bagages et les armes abandonnés par les Français, cependant que les chirurgiens anglais pratiquent les amputations à la chaîne. Beaucoup de blessés, faute de pouvoir être sauvés, sont fusillés sur place.
Le bilan des pertes est évalué à un total de plus de 40 000 morts, blessés et disparus, toutes armées confondues. 25 000 Français morts ou blessés et 7 000 disparus ; 15 000 Anglais et 7 000 Prussiens. Total des morts : environ 10 000. Mais ce bilan demeure très incertain du fait de nombreuses désertions sur le champ de bataille et la prudence voudrait que l'on s'en tienne à 40 000 tués, blessés ou disparus, toutes armées confondues.
Les blessés sont achevés par les Britanniques qui les fusillent pour leur dérober uniformes et objets personnels. Pour éviter toute épidémie, on enterre au plus vite les milliers de cadavre d'hommes et de chevaux car la peste, le choléra, la dysenterie font des ravages dans les armées et la population.
Il ne faudrait pas oublier aussi les chevaux, autres victimes de la guerre. Environ 12 000 ont été tués ou ont agonisé sur le champ de bataille.
Le peintre anglais William Turner a donné de Waterloo, en 1818, une représentation qui montre non les combats mais la dramatique solitude des blessés et des vaincus au soir de la bataille.
La bataille a dans un premier temps été baptisée par les Français d'après Mont-Saint-Jean où s'étaient déroulés les principaux combats. Mais c'est en définitive le nom de Waterloo qui prévaudra, d'après le village où Wellington rédigea son compte-rendu, au soir de la bataille.
Waterloo marque la fin de l'épopée napoléonienne et aussi d'une certaine manière de faire la guerre. Un demi-siècle plus tard, en Crimée, en Italie et aux États-Unis, surviendront des batailles autrement plus meurtrières, dans la boue des tranchées et sous le feu de la mitraille, préfiguration des batailles du XXe siècle.
Concluons avec Victor Hugo :
« Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons.
D'un côté c'est l'Europe et de l'autre la France.
Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l'espérance ;
Tu désertais, victoire, et le sort était las.
O Waterloo ! je pleure et je m'arrête, hélas !
Car ces derniers soldats de la dernière guerre
Furent grands ; ils avaient vaincu toute la terre,
Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
Et leur âme chantait dans les clairons d'airain ! »
(Les Châtiments, 1853)
La bataille a donné au cinéaste soviétique Sergueï Bondartchouk le prétexte à un film à grand spectacle : Waterloo (1970), avec l'acteur américain Rod Steiger dans le rôle de Napoléon... et 20 000 soldats de l'Armée rouge pour la figuration de la bataille. C'est, aux dires de l'historien Jean Tulard, le meilleur film sur l'épopée napoléonienne (avec le Napoléon d'Abel Gance) et nous partageons pleinement son avis. La preuve ci-après :
Waterloo dans les livres
La bataille de Waterloo donne encore lieu à de nombreuses publications comme toute la geste napoléonnienne.
Parmi les titres récents, citons le petit livre très didactique de François Pernot, 1815... Waterloo ! (Honoré Champion, 2015, 144 pages, 9,90 euros).
Accordons une prime spéciale au livre très documenté et au ton romanesque de l'historien Alessandro Barbero : Waterloo (Flammarion, 2008, 520 pages, 9 euros).
Antoine Reverchon a par ailleurs publié une uchronie perspicace : Et si Napoléon avait gagné à Waterloo ? (Économica, 2015, 19 euros) dans laquelle il montre qu'après tout, une victoire de l'Empereur n'eut pas été si nuisible que cela au Vieux Continent.
Le journaliste a aussi supervisé un supplément très documenté dans Le Monde daté du 18 juin 2015.
Vos réactions à cet article
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Liger (21-06-2019 00:52:28)
2 événements sont peu ou pas commémorés qui eurent lieu en juin :
- 11 juin 1942 : la 1ère Brigade française libre s'échappe de Bir Hakeim après avoir combattu pendant dix jours des forces germano-italiennes très supérieures en nombre et en armement, ce qui fit perdre un temps très précieux à Rommel...
- 18 juin 1429 : après avoir obligé les Anglais à lever le siège d'Orléans (8 mai 1429 : au passage, LE VRAIE FÊTE DE JEANNE D'ARC A LIEU À ORLÉANS depuis 1430 alors qu'on ne parle que de la manifestation d'extrême-droite qui se tient à Paris depuis la fin du XIXème siècle), Jeanne D'Arc inflige une lourde défaite aux Anglais à Patay, non loin d'Orléans : le corps d'élite des archers (équipés des redoutables " longbows "), fut taillé en pièces, et avec lui, toute une armée anglaise fut défaite et décapitée.
Piguet (19-06-2018 19:15:07)
à la restauration, Ney a été condamné à mort. Son épouse a approché Wellington, alors en poste diplomatique à Paris. Celui-ci s'est montré favorable à une grâce, mais empêché par des considérations politiques bien complexes.
Il existe une version que l'exécution de Ney a été en fait qu'une farce et qu'il a été envoyé aux USA.
Jean-Louis Taxil (25-06-2015 23:13:54)
Excellent article. Un aspect de la bataille montre l'importance des communications.Un court passage fait état de Drouet d'Erlon indécis à cause d'ordres contradictoires.C'est vrai.Grouchy n'en a reçu que tardiverment. C'est un violent reproche qu'en fera Napoléon à ses officiers de transmission:" Vous n'avez envoyé qu'un seul messager! Il fallait en envoyer dix!". Anecdote: à la restauration, Ney a été condamné à mort. Son épouse a approché Wellington, alors en poste diplomatique à Paris. Celui-ci s'est montré favorable à une grâce, mais empêché par des considérations politiques bien complexes. RIP.
Michel Baudrux (23-06-2015 15:42:32)
Dans la plupart des documents sur la bataille de Waterloo, il est écrit que Napoléon a franchi la frontière belge. Or, la Belgique n'existe que depuis 1830. Il me semble que Waterloo était, en 1815, en territoire français et faisait partie de l'ancien département de la Dyle. Des habitants de ce qui constitue actuellement la Wallonie, faisaient d’ailleurs partie des troupes françaises, d'où le zèle des villageois voisins du champ de bataille à porter secours aux blessés de l'armée de Napoléon. Ai-je mal lu mes manuels d'Histoire?
ikiru (18-06-2015 09:57:13)
Il est indiqué dans ce texte, par ailleurs très bien fait : "C'est la dernière fois dans l'Histoire européenne qu'un chef de l'État marche en personne à la guerre". Pourtant il me semble que c'est ce que fera en 1870 Napoléon III en allant à Sedan ...
claudeaemery (18-06-2015 08:37:32)
La fonction "Imprimé" n'est pas active
Vanos (01-05-2010 08:17:32)
J'ai vu dans dans plusieurs villes françaises avaient des rues du "18 juin", je suis bien conscient à quel 18 juin elles font référence mais se rendent-elles compte que c'est l'anniversaire d'un événement tragique beaucoup plus important pour la France ?
david Burot (17-06-2007 09:44:25)
Certes... indécision, traitrise, moral défaillant significatif de la fin d' une époque..... et si tout simplement le génie de Napoléon avait fait des émules chez les commandants adverses?...
CARDINALE Jean Pierre (31-10-2006 20:03:38)
D'aprés ce que j'ai lu dans différents ouvrages traitant de la bataille, l'armée française était plutôt composée en majorité de Marie-Louise que de vétérans. D'autre part, le Maréchal NEY et Jérôme, le frère de Napoléon, portent une lourde résponsabilité dans cette victoire perdue en ne respectant pas les ordres de Bonaparte.
orlando de rudder (12-06-2006 20:34:19)
"Merde!", interjection exprimant le dégoût, la colère, le refus est l'un des plus vieux mots de notre littérature! On le trouve vers 1180 dans le merveilleux Roman de Renart! Mais le manuscrit d'Oxford, comme la plupart des textes médiévaux, est une copie. Donc "merde!" s'est écrit bien avant et a dû se dire encore plus anciennement!