Le 7 octobre 1571, une flotte chrétienne livre bataille à la flotte turque. C'est le point d'orgue d'une croisade organisée par le pape Pie V pour délivrer l'île de Chypre que les Turcs viennent de conquérir.
Les Turcs sont défaits à la surprise générale. Avant Lépante, ils n'avaient connu aucune défaite face aux chrétiens (sauf le repli devant Malte, en 1565), après Lépante, ils n'allaient plus connaître aucune victoire.
Des Occidentaux peu empressés de se battre
Au printemps 1570, la Méditerranée jouit d'une paix relative, si l'on met à part les exactions des Barbaresques d'Alger.
À la surprise générale, voilà que les Ottomans relancent la construction de galères à rames dans leur arsenal de Constantinople, lequel rivalise avec celui de Venise par son caractère proprement industriel.
Le sultan qui réside à Constantinople a nom Sélim II Mast, c'est-à-dire l'Ivrogne. Il est le fils du sultan Soliman le Magnifique qui porta l'empire à son apogée et de l'ambitieuse Roxelane. Se pourrait-il qu'il veuille relancer la guerre et s'emparer de Chypre, possession vénitienne? Les Vénitiens, partenaires commerciaux des Ottomans comme avant eux des Byzantins, ne veulent pas y croire.
Pourtant, le 28 mars 1570, le sultan les somme de lui livrer l'île. Chypre est attaquée peu après par les Ottomans. Sa capitale Famagouste résistera un an durant, jusqu'en août 1571.
Le pape Pie V y voit l'occasion qu'il attendait de relancer le combat contre les Turcs et appelle les chrétiens d'Occident à une nouvelle croisade. Le roi Philippe II d'Espagne, qui se présente comme le champion de la chrétienté face à l'islam, répond immédiatement avec ferveur à son appel. Il est seulement suivi par la Sicile, la Savoie, Gênes, Malte et la République de Venise, suzeraine de Chypre.
Il est vrai que la ferveur religieuse en cette fin de Renaissance n'est plus ce qu'elle était au coeur du Moyen Âge, trois ou quatre siècles plus tôt. D'autre part, les autres États européens ont d'autres soucis en tête avec les tensions religieuses entre catholiques et protestants...
Les États alliés forment solennellement une « Sainte Ligue » le 24 mai 1571 à Rome. Leurs galères se regroupent aussitôt à Messine, au sud de l'Italie, sous le commandement de don Juan d'Autriche (26 ans), demi-frère du roi d'Espagne.
En secret, les Vénitiens construisent dans leur chantier naval de l'Arsenal, sur la lagune, six galères d'un genre inédit : baptisées galéasses, elles sont équipées de canons pointant dans toutes les directions. La flotte privée de l'amiral génois Gian Andrea Doria se met au service du roi d'Espagne. Le modeste duc de Savoie Emmanuel Philibert contribue aussi à l'effort militaire en envoyant ses trois galères basées à Nice.
Victoire totale
Les Turcs, de leur côté, se préparent à l'affrontement en regroupant leur flotte près de la base navale de Lépante, non loin de la ville grecque de Corinthe.
La rencontre entre la flotte croisée et la flotte turque se produit dans le golfe de Lépante. Elle met aux prises les 213 galères de la « Sainte Ligue » (dont une moitié de vénitiennes) et quelques 300 vaisseaux turcs.
On estime à environ cent mille le nombre total de combattants (marins et soldats) dont 30 000 du côté chrétien.
Les équipages des deux camps sont composés de Grecs. Du côté chrétien, ils viennent des îles Ioniennes occupées par Venise, du côté turc du reste de la péninsule.
Les navires s'éperonnent et très vite les fantassins s'affrontent sur les ponts comme sur un champ de bataille. La galère de Don Juan aborde audacieusement celle de l'amiral turc, le kapudan Ali Pacha. Celui-ci est capturé, décapité et sa tête fichée au sommet du mât, ce qui a pour effet de semer la panique dans les rangs ottomans.
Les Occidentaux remportent une victoire complète grâce à ce coup d'éclat et aux six galéasses vénitiennes, de gros navires équipés de canons tirant tous azimuts. Une cinquantaine de galères turques sont coulées, une centaine d'autres capturées.
15 000 captifs chrétiens sont libérés. Les croisés eux-mêmes ne perdent que 12 navires et (tout de même) 8 000 hommes.
Le grand vainqueur de Lépante est le prince don Juan d'Autriche (26 ans), qui commande la flotte chrétienne. Bâtard de feu l'empereur Charles Quint, il est né en 1545 de ses amours avec une belle Bavaroise que l’on dit chanteuse et même lavandière, Barbara Blomberg, mais il a été élevé loin de sa mère, en Espagne.
Avant de mourir, l'empereur recommanda à son héritier légitime, le futur roi Philippe II d'Espagne, de prendre soin de son demi-frère, de 17 ans son cadet. C'est ainsi que Don Juan devint gouverneur des Pays-Bas et mena une carrière militaire glorieuse.
Après avoir démontré à Lépante ses talents de capitaine, il s'illustra encore par la prise de Tunis, que l'Espagne fut incapable de conserver, et par la répression de la révolte aux Pays-Bas espagnols. Mais il mourut à 33 ans sans avoir eu le temps de tirer profit de ses succès.
Retentissement de Lépante
La victoire de Lépante a un immense retentissement dans la chrétienté car elle libère les Occidentaux de la peur ancestrale des Turcs.
Elle permet accessoirement au roi d'Espagne de se poser en champion de la Contre-Réforme catholique.
Pour Venise, cependant, Lépante a le goût amer d'une victoire à la Pyrrhus. Ruinée par l'effort de guerre et la suspension de son commerce avec l'Orient ottoman, la République se détache de ses alliés et négocie avec les Turcs. À ceux-ci, elle reconnaît la possession de Chypre, qui avait été pourtant son but de guerre, en échange de la reprise de son commerce.
Les Turcs n'ont guère de raison de se réjouir. Ils conservent l'île de Chypre malgré leur défaite mais ne sont plus en état de se lancer dans de nouvelles aventures.
Ce tournant est lourd de conséquences pour l'empire ottoman. Sa richesse ne reposait en effet que sur l'expansion territoriale et l'exploitation des nouvelles conquêtes, comme beaucoup plus tôt l'empire arabe.
À la différence de l'Occident chrétien, il était incapable de se développer par lui-même. Dès lors que l'ère des conquêtes est close, il ne va plus cesser de s'appauvrir.
Un jeune soldat espagnol nommé Cervantès perdit la main gauche pendant la bataille de Lépante (« pour la gloire de la droite », dira-t-il plus tard)... Ne pouvant plus se battre, il écrivit faute de mieux les aventures de Don Quichotte.
Cervantès fut parfois surnommé en raison de sa mésaventure le « manchot de Lépante ».
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Voir les 5 commentaires sur cet article
LiliPapé (06-10-2021 15:34:35)
Merci pour votre excellente analyse... Retenez aussi : https://www.montnice.fr/chapelle-des-trinitaires-de-saint-etienne-de-tinee/ https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/societe/pere-danz... Lire la suite
Erik (08-10-2017 08:09:05)
Pour être honnête, et nous le sommes, l'Occident Chrétien s'est aussi développé sur base d'extension territoriale, et quelles extensions!
Gérard Navarro (28-06-2017 11:49:29)
Bonjour, À la suite de cette bataille de Lépante, le condottiere-amiral Andrea Doria prêta le flanc à de vives critiques pour avoir laissé échapper une trentaine de galères ottomanes. Serait-i... Lire la suite