Par son retentissement planétaire, le drame qui a frappé le peuple américain le 11 septembre 2001 n'a pas de précédent dans l'Histoire. Il nous atteint et nous attriste tous en tant que démocrates.
Depuis le 11 septembre, de nombreux lecteurs me font part de leur émotion et de leur solidarité avec le peuple américain. D'autres, en plus grand nombre que je ne l'aurais cru, remarquent « qu'après tout, l'impérialisme US récolte ce qu'il a semé... et que les martyrs rwandais ou irakiens valent bien les New-Yorkais ».
Dire cela, c'est oublier que :
1) nous, Européens, n'avons pas de leçons à donner à nos alliés au vu de nos « exploits » en Afrique noire ou de nos anciennes compromissions avec Milosevic en ex-Yougoslavie,
2) les terroristes du 11 septembre ne combattent pas l'impérialisme américain mais tous les démocrates : juifs, chrétiens, athées, musulmans tempérés... (New York n'est-elle pas la ville la plus cosmopolite du monde et en quelque sorte la plus humaine ?),
3) il est vain en Histoire de s'appesantir sur les chaînes de causalité (un historien n'a-t-il pas tenté d'expliquer la Shoah par l'antisémitisme (*) de... Luther ?... et ne pourrait-on aussi bien justifier l'invasion de 1940 par les humiliations qu'ont subies les Allemands de la part de Napoléon et Louis XIV ?).
Le 11 septembre 2001, nous sommes sans doute entrés dans une nouvelle époque qui verra les agressions venir d'organisations para-étatiques bénéficiant d'immenses ressources financières et mettant en oeuvre des idéologies folles, n'ayant comme point commun que de haïr la démocratie.
Peu importe que les fous du 11 septembre soient animés par une folie « religieuse » et le désir « d'instaurer le règne de Dieu sur la terre ». Ils pourraient l'être par le désir « d'imposer le socialisme » ou toute autre idéologie (secte). Des groupes mafieux, tels les cartels de la drogue, pourraient même se hasarder à de semblables actions.
Sans doute à l'origine de tout cela y a-t-il la déliquescence de nombreux États : de l'Afrique équatoriale à l'Asie centrale, de vastes territoires échappent aujourd'hui à tout contrôle étatique et offrent des terrains de manoeuvre aux organisations terroristes. Ces organisations, avec leurs ramifications dans les milieux marginaux d'Europe et d'Amérique, menacent tous les Occidentaux, coupables d'être libres, tolérants, voire chrétiens.
Face à ces menaces diffuses et imprévisibles, il ne nous est plus possible de nous comporter en spectateurs passifs, qui comptent les points et distribuent les notes de bonne et mauvaise conduite. Rien à voir avec les affrontements Arafat-Sharon ou Milosevic-Alizegovic... Volens nolens, nous sommes, de part et d'autre de l'Atlantique nord, obligés de faire face à un ennemi commun qui ne fait pas le tri entre ses ennemis et ne se soucie pas de leurs options politiques.
Tandis que les phénomènes religieux reviennent au premier plan de nos préoccupations, gardons le sens de la mesure.
Au palmarès de l'horreur, les intégrismes athées du siècle dernier (Lénine, Staline, Hitler, Mao, Pol Pot et quelques autres), avec plusieurs dizaines de millions de victimes à leur actif, l'emportent dans un rapport de 100 à 1 sur tous les fanatismes religieux de l'Histoire (croisades, Inquisition, Saint-Barthélemy, ben Laden...).
Aujourd'hui, la seule chose qui importe est l'initiative que prendront le président George Walter Bush et ses alliés pour éviter que se reproduise un drame analogue aux États-Unis... ou de ce côté-ci de l'Atlantique.
Sans doute Bush et ses conseillers vont-ils lancer une première opération militaire de représailles contre les inspirateurs des attentats du 11 septembre.
En se posant en justiciers et en prétendant seulement venger les victimes du 11 septembre par des frappes militaires contre les pays réputés terroristes, ils courent le risque de faire basculer dans le camp des terroristes beaucoup de déshérités musulmans.
On risque alors de voir se reproduire le scénario d'il y a dix ans, lorsque les Occidentaux attaquèrent l'armée et les populations irakiennes mais ne se résignèrent pas à installer un régime démocratique à Bagdad.
Nous pouvons constater que la guerre du Golfe a débouché sur un triple échec :
1) le dictateur a raffermi son pouvoir, ses acolytes et lui-même accroissant au passage leur fortune grâce au marché noir,
2) les déshérités du Moyen-Orient ont perdu l'espoir de trouver en Occident un recours contre les généraux et les tyrans qui les oppriment et les dépouillent,
3) des individus sans légitimité démocratique mais forts de leur richesse, tel Ben Laden, ont pu exploiter les ressentiments populaires et les mettre au service de leur folie.
Il apparaît essentiel qu'en marge de la riposte immédiate, aussi ciblée que possible, George Bush et ses alliés définissent sans tarder des buts de guerre susceptibles de leur rallier les masses encore indécises du tiers monde. Ces buts de guerre découleront d'une analyse serrée des racines du conflit.
Nous n'avons pas affaire aujourd'hui à un conflit entre des « pays riches » et des « pays pauvres » mais entre des sociétés démocratiques, tolérantes et relativement égalitaires et d'autres, tyranniques et extrêmement inégalitaires.
Le paradoxe est que toute la force de ces dernières réside dans les redevances versées par les compagnies pétrolières occidentales... On connaît l'origine de la fortune de Ben Laden. Comme lui, beaucoup d'autres Arabes saoudiens, moins médiatiques, ont mis leur fortune au service des bandits islamistes.
Au Soudan, des compagnies pétrolières (TotalFinaElf et Talisman) versent bon an mal an aux gouvernants de Khartoum un milliard de dollars qui sont immédiatement réinvestis dans la lutte armée contre les Noirs du sud du pays.
En Palestine, le désespoir des habitants ne serait pas ce qu'il est si les dirigeants de l'Autorité Palestinienne, Arafat le premier ( *), ne détournaient à leur profit les fabuleux montants de l'aide occidentale dans le but de se constituer une retraite dorée en Europe.
Les habitants du Gabon (1 million d'habitants) vivent dans une misère aussi cruelle que leurs voisins congolais. Pourtant, les royalties du pétrole leur assurent en théorie un revenu par tête de niveau européen. Il se trouve simplement que cette fortune est dilapidée par le dictateur Omar Bongo et sa clique d'affidés, avec la complicité intéressée de quelques politiciens français. Preuve que l'argent sans la démocratie et le droit contribue au sous-développement plus qu'il n'y remédie.
La paix, demain, n'aura de chance d'aboutir qu'à la condition que soient frappés les ennemis des démocrates et des pauvres au seul endroit qui leur importe : le portefeuille.
Les guerres victorieuses sont celles que l'on mène avec la volonté de vaincre à tout prix (à preuve Pitt contre Napoléon, Clemenceau contre l'Allemagne et Churchill contre Hitler).
Dans la guerre qui s'est engagée contre le terrorisme, la volonté de vaincre à tout prix suppose de sacrifier des intérêts particuliers: paradis fiscaux où transitent l'argent des terroristes et des politiciens corrompus, compagnies pétrolières disposées à traiter avec des régimes corrompus ou criminels: Arabie, Soudan, Nigéria, Gabon...
George Bush Jr et ses alliés démocrates sont-ils disposés à imposer de tels sacrifices ? Les citoyens occidentaux sont-ils eux-mêmes prêts à prendre le risque d'une crise pétrolière et d'une augmentation du prix de l'essence ?
Souhaitons que les dirigeants occidentaux, sous la contrainte de la guerre, se résolvent enfin à mener jusqu'au bout la lutte contre les paradis fiscaux qui protègent les fortunes mal acquises et qui ont bénéficié jusqu'à ce jour de l'indulgence intéressée des classes dirigeantes du monde entier, démocraties comprises.
S'il est montré que des gouvernements (Afghanistan ? Pakistan ? Soudan ?) sont impliqués dans les attentats du 11 septembre, s'ils refusent de faire amende honorable, souhaitons que les biens et les comptes bancaires des ressortissants de ces pays soient immédiatement gelés et pourquoi pas ? confiés à la garde de l'ONU (serait-il plus difficile de vider des comptes bancaires, fussent-ils en Suisse, que de bombarder des populations civiles?).
Souhaitons que les saisies soient étendues aux ressortissants des autres pays (Arabie...) dont il apparaîtrait qu'ils ont aussi financé le terrorisme.
Enfin, on peut rêver... Imaginons que le président américain use de son autorité pour imposer à toutes les compagnies qui extraient du pétrole brut ou du gaz naturel de ne plus verser de taxes ou de redevances à un État quel qu'il soit.
Ces taxes et ces redevances seraient confiées aux bons soins de l'ONU afin qu'elles servent au développement des pays déshérités. Il ne serait pas anormal que les ressources du sous-sol, patrimoine commun de l'humanité, contribuent à la réduction des injustices... et dans le même temps à la déconfiture des généraux et des tyranneaux qui, d'Alger à Kaboul, polluent la planète.
Ne serait-ce pas une belle « vengeance » posthume pour les victimes du Centre Mondial du Commerce ? Une « vengeance » plus louable que le recours aux missiles ?
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