L'argent des Français

Vive le capital et l'inflation

Nous avons lu pour vous L'argent des Français par Jacques Marseille (Perrin, 2009, 386 pages, 20 €). Un essai iconoclaste sur les Français, leurs revenus, leur patrimoine et leur niveau de vie à travers les générations...

L'argent des Français

L'historien Jacques Marseille (63 ans) fréquente aujourd'hui les plateaux de télévision et les salles de rédaction autant sinon plus que les amphis de la Sorbonne.

Spécialiste de l'histoire économique, il s'est d'abord fait connaître avec sa thèse sur l'Empire colonial où il montrait que la colonisation avait plutôt nui à l'économie nationale. Après de nombreux ouvrages d'Histoire, il a publié des essais engagés et souvent corrosifs pour défaire les préjugés de ses contemporains dans le domaine de l'économie.

Dans L'argent des Français, Les chiffres et les mythes (Perrin), l'historien rappelle les immenses progrès accomplis par les sociétés occidentales et la France en particulier depuis deux siècles, en matière de conditions de vie. À travers des cas exemplaires et une accumulation de statistiques, il décrit par le menu ces progrès d'une génération à l'autre : réduction des inégalités, amélioration des revenus, y compris et surtout ceux des plus pauvres.

Vive l'inflation !

En disciple de l'école néolibérale qui a inspiré Margaret Thatcher, Ronald Reagan et jusqu'à Nicolas Sarkozy, Jacques Marseille souligne que ces progrès n'ont jamais été aussi rapides que quand les lois du marché étaient respectées.

L'historien va volontiers à rebours des idées reçues. Ainsi se demande-t-il, au vu des chiffres, si la croissance économique n'est pas liée aux inégalités de revenus (pas de croissance sans inégalités substantielles !). Il observe que les Français, quoi qu'ils disent, s'accommodent des écarts de salaires existants. C'est ce qui transparaît en particulier des enquêtes de l'économiste Thomas Piketty.

L'argent ne fait pas le bonheur, l'inégalité si !

Jacques Marseille, qui ne manque pas d'humour, s'interroge sur la relation entre argent et bonheur pour finalement en conclure, au vu des enquêtes, que l'aspiration unanime n'est pas simplement de «gagner plus» mais de «gagner plus... que son voisin ou son beau-frère» !

Ce facteur psychologique explique sans doute qu'un minimum d'inégalités soit indispensable comme stimulant de l'activité économique. Les économistes ont du mal à le rationnaliser et l'expliquer mais on peut lui trouver un correspondant dans une formule que l'on prête à Jules César. Considérant un village gaulois, le conquérant déclare : «Je préfèrerais être le premier dans ce village que le second à Rome !»

Si les inégalités sont nécessaires à la croissance, l'inflation l'est aussi, assure l'historien, au risque de subir les foudres des experts de la Commission ou de la Banque Européenne. L'important en effet n'est pas que les prix soient stables ou diminuent mais que les salaires augmentent plus vite qu'eux et que les taux d'intérêt des placements soient supérieurs au taux d'inflation.

Jacques Marseille, qui connaît ses classiques, rappelle que l'inflation monétaire consécutive à la banqueroute de John Law (1716) a engendré en France un demi-siècle de progrès économiques et sociaux. De même, en laissant filer la monnaie de dévaluation en dévaluation, après la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants français ont permis aux acteurs économiques de se défoncer sans compter. Il s'en est suivi l'une des plus spectaculaires phases d'expansion de l'économie française, que l'on a coutume d'appeler les «Trente Glorieuses» depuis Jean Fourastié.

L'historien montre a contrario que la préservation à tout prix de la valeur du franc, de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe (avant tout pour des raisons de prestige), a été l'une des causes de l'asthénie économique nationale ! Retenons bien son observation : «Ce n'est pas un hasard si la période où l'inflation a été la plus durable et la plus régulière en France a été en même temps celle du baby-boom, de la croissance des Trente Glorieuses et de celle du pouvoir d'achat. En 1968, les moins de 20 ans représentaient un peu plus de 32% de la population française. Ils n'en représentent plus que 25%. Moins de jeunes actifs. Plus de vieux épargnants. Les rapports entre les Français et l'argent peuvent aussi se lire dans les courbes de la démographie» (page 192).

Vive le capital !

Concernant les patrons d'entreprise et les managers, Jacques Marseille déplore que quelques cas isolés de patrons-voyous et de managers cupides en brouillent l'image. La majorité des grandes sociétés françaises sont contrôlées par des actionnaires familiaux (PSA, Auchan, Michelin, Dassault, LVMH sont parmi les plus connues)... Qu'on se le dise, contrairement aux idées reçues, les fonds de pension américains sont encore loin d'avoir envahi la Bourse de Paris ! Et quoi de plus rassurant que cet actionnariat familial... Jacques Marseille a montré dans le passé qu'il est précautionneux et porté à privilégier le long terme, histoire de bien assurer la transmission du patrimoine.

Ces grandes familles d'entrepreneurs et de créateurs d'entreprises, au demeurant, se renouvellent plutôt vite selon l'historien. À travers quelques exemples comme ceux de Sonia Rykiel ou Mohad Altrad, il montre que de nouveaux-venus, fréquemment issus de l'immigration, rejoignent régulièrement ses rangs.

Jacques Marseille, qui voit la crise de 2008 comme un accident plutôt qu'une rupture, conclut son essai sur quelques suggestions de réforme dont quelques-unes très audacieuses (allocation universelle). Ce domaine sort du strict cadre de l'analyse historique et nous ne nous y attarderons pas..

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2021-02-01 14:38:24

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