La Cité de l'Histoire

Le pire et le meilleur de l’Histoire-spectacle

Ouverte au public le 17 janvier 2023 à la Défense, près de Paris, la Cité de l’Histoire promettait une « immersion » et une approche inédite de notre passé sur 6 000 m². Force est de constater que les dispositifs restent en-deçà des attentes. Et les motifs de déception ne manquent pas.
Il existe heureusement bien d'autres lieux, en France et ailleurs, où l'Histoire est accessible à tous les publics de façon ludique et pédagogique...

La Cité de l'Histoire.On ne peut échapper à la nouvelle Cité de l'Histoire en sortant du métro, entre l?Arche de la Défense et la coquille en béton du vénérable CNIT. Je me devais de la visiter et  « plonger au c?ur de l?Histoire ! ».

La Cité est l'oeuvre de la société Amaclio Productions. Fondée en 2012 par François Nicolas, cette société organise des spectacles son et lumière sur les façades de monuments historiques, le plus connu étant La Nuit des Invalides.

La Cité de l?Histoire est quant à elle située dans le lieu le plus moderniste qui soit. Elle se trouve sous l?esplanade, dans de longues galeries à la décoration sobre. L?ensemble, paraît-il, couvre plus de 6000 m2. L?espace le plus attrayant du lieu est incontestablement la boutique-librairie, très fournie et au décor rétro. Le restaurant est décevant : on attend des menus « historiques » mais au lieu de cela, on a la même malbouffe qu?en surface.

Cher payé pour une Histoire au rabais

Venons-en aux trois attractions de la Cité de l?Histoire pour lesquelles le visiteur aura payé un minimum de 18,99 euros (tarif de lancement), un tarif équivalent à celui du château de Versailles ou du zoo de Vincennes.

La première, Ellipse 360°, nous propose « une immersion complète auprès d?un personnage historique emblématique ! », en l?occurrence Victor Hugo. Nous voilà enfermés pour 35 minutes, debout, avec quelques dizaines de visiteurs, adultes et enfants, dans cet espace elliptique et de faible hauteur (guère plus de quatre mètres).

Et le « spectacle » de commencer. Sur les parois, nous voyons défiler des motifs colorés aux contours schématiques : livres, feuillages, tuiles, neige, etc. ainsi que quelques personnages semblables à ceux que l?on rencontre dans les bandes dessinées, sans guère de rapport avec le thème annoncé.

Là-dessus se greffent deux voix off. Les auditeurs avertis comprennent assez vite qu?il s?agit d?une conversation fictive entre Victor Hugo et sa maîtresse Juliette Drouet à la fin de leurs jours. Et Juliette de débiter la biographie de son « Toto » adoré. Au bout de quelques minutes, j?ai déjà identifié plusieurs erreurs factuelles dans le récit, sans compter des approximations et des incohérences affligeantes. On nous détaille la liaison tempêtueuse de l?écrivain avec Léonie Biard mais on ne nous dit rien du roman Notre-Dame de Paris?

Je guette la sortie qui reste désespérément close. 35 minutes, c?est long. Je plains en mon for intérieur les enfants que leurs tortionnaires de parents ont entraîné dans ce naufrage. Ils ne savent pas que le pire reste à venir?

La deuxième attraction est La Clef des siècles, un parcours dit « immersif » au long de 17 stands supposés raconter l?Histoire de France à rebours, de 1991 aux invasions vikings. Nous avançons par groupes de dix, sans pouvoir sauter les étapes, à raison de deux à trois minutes par stand, 40 minutes au total.

Les seules choses qui soient vraiment historiques dans ce parcours sont les techniques employées, qui remontent aux années 1950 ou 1850 : décors statiques et figures en cire du musée Grévin ! Et toujours les voix off qui débitent un récit sans âme, sans souffle et truffé d?approximations.

Pauvre Napoléon, figure de cire qui regarde en silence tomber la neige à Eylau ! Rien n?est perceptible de la boucherie que fut cette bataille ni de la charge impétueuse de la cavalerie de Murat.

Quelques stands sont animés par des jeunes gens qui débitent toutes les trois minutes le même discours. Voici une jeune femme à la tête couverte d?un camail, une protection en cote de mailles. Supposée représenter Jeanne d?Arc, elle tente de nous convaincre de la suivre au combat. Quel combat ? Dans quel but ? Nous n?en saurons rien.

La noix d?honneur revient au stand de la Seconde Guerre mondiale, réduite à un décor minéral et sombre au milieu duquel on voit ce qui ressemble à une locomotive à vapeur sur le flanc, que l?on suppose avoir été détruite par la Résistance.

Par chance, la troisième et dernière attraction peut être parcourue au pas de charge. Le « couloir du temps » est, comme son nom l?indique, un long couloir au centre duquel s?alignent 26 petits écrans avec sur chacun d?eux une vingtaine d?images.

Vous touchez l?une ou l?autre de ces images et vous la voyez s?afficher sur le mur devant vous en grande dimension et en médiocre définition, avec une date et une ligne de légende. Par exemple (je cite de mémoire) : « -390 : les Gaulois de Brennus investissent Rome »). Je n'ai pas eu l'abnégation d'aller jusqu?au bout des 400 vignettes proposées.

Réalité virtuelle : un filon juteux

Les visiteurs de la Cité de l?Histoire qui veulent prolonger leur plaisir (!) peuvent réserver un autre billet (à partir de 20,99 euros) pour découvrir le spectacle de réalité virtuelle « Éternelle Notre-Dame » (40 minutes).

Cette attraction est visible sous l?esplanade de la Défense ainsi que sous le parvis de Notre-Dame. Elle a été conçue pour Amaclio Productions par l?agence Emissive. Celle-ci n?en est pas à son coup d?essai. Elle a réalisé une attraction du même type sur l?Égypte ancienne : L?horizon de Khéops, que peuvent découvrir les Lyonnais dans le centre commercial de la Confluence.

L'agence Emissive est spécialisée dans la réalité virtuelle (VR ou virtual reality pour les thuriféraires de la culture américaine). Cette technologie qui mêle hologrammes et vision 3D (tridimensionnelle) a fait son apparition au Futuroscope de Poitiers, il y a trois décennies. Elle progresse très vite grâce aux progrès de l?informatique et au marché très profitable des jeux vidéo.

À l?entrée, pour Notre-Dame ou la pyramide de Khéops, les postulants se donnent un avatar de façon à pouvoir faire équipe avec leurs accompagnants, puis ils reçoivent un sac à dos truffé d?électronique. En avant pour l?aventure : sans qu?ils sortent de la salle ni même ne bougent, ils plongent avec des lunettes spéciales dans une réalité virtuelle qui les emmène dans le passé. L?effet est, paraît-il, saisissant, mais je n?ai pas eu l?occasion de l?éprouver?

Attendons-nous à ce que se multiplient ces attractions autour de thèmes divers et variés, avec toutefois la crainte que l'argent que lui consacrent les familles ne soit prélevé sur le budget de spectacles plus pédagogiques.

Notons aussi que les monuments traditionnels ne demeurent pas insensibles aux nouvelles technologies. Du château de Fougères (Ille-et-Vilaine) au donjon de Vincennes (Val-de-Marne) et à l'abbaye de Cluny (Saône-et-Loire), ils sont nombreux à proposer en particulier des tablettes de  « réalité augmentée » qui permettent au visiteur, à mesure qu'il se déplace, de voir les lieux tels qu'ils étaient à l'époque de leur occupation effective.

L?Histoire en grande forme, pour les petits et les grands

En France et ailleurs, il existe heureusement beaucoup de lieux (musées, spectacles et monuments) qui proposent une initiation à l'Histoire véritablement vivante, ludique et « immersive », dans des cadres autrement mieux adaptés que La Défense.

Je ne prétends heureusement pas ici en établir la liste exhaustive mais voici quelques exemples tirés de mon expérience et des compte-rendus de l'équipe d'Herodote.net.

J'ai un faible en premier lieu pour l'expérience sans précédent conduite à Guédelon (Yonne). Depuis vingt-cinq ans, archéologues et scientifiques construisent sur un site vierge un château médiéval en employant strictement les techniques de l'époque de Philippe Auguste. Sur ce vaste site bucolique, au coeur de la Bourgogne, les visiteurs peuvent arpenter le chantier et les ateliers environnants. Ils peuvent pour de vrai, sans lunettes 3D ni aucun artifice, plonger au coeur du Moyen Âge. Mieux encore, ils peuvent dialoguer avec les maçons, sculpteurs, artisans... et les interroger sur leurs pratiques : taille des pierres, charpente, fonte du minerai, teinture des tissus, etc. Comme il ne faut pas moins d'une journée pour cette plongée historique, chacun peut se restaurer sur place et tester les mets de nos ancêtres...

Le Puy-du-Fou, en Vendée, propose aussi une plongée dans le passé avec des reconstitutions diverses et des spectacles vivants. Ce parc d'attractions concurrence depuis plusieurs décennies avec succès les parcs venus d'outre-Atlantique. Créé en 1979 par un jeune énarque, Philippe de Villiers, passionné par l'Histoire, amoureux de sa région et d'inclination royaliste, le Puy-du-Fou s'est appliqué à rappeler les souffrances des Vendéens durant les guerres de Vendée avant de déborder sur l'Histoire longue, des Gaulois à nos jours. 

Son approche se veut avant tout ludique et familiale : elle rappelle aux enfants (et à leurs parents) qu'ils ont un passé et des aïeux qui ont, bien avant eux, vécu, aimé et souffert. Cette prise de conscience est un premier pas indispensable à chacun d'entre nous, avant d'aborder de façon plus sérieuse l'étude de l'Histoire. 

Dans l'Oise, au nord de Paris, le parc Astérix participe quelque peu de cette approche avec ses spectacles vivants, son village médiéval, ses tailleurs de pierre, etc. Certes, c'est avant tout un parc d'attractions qui s'est donné pour objectif de concurrencer le Disneyland voisin. Il y est arrivé et c'est tout à son honneur en multipliant les références au passé de la France, à la grande différence du parc venu d'Hollywood qui reste, lui, figé dans le contemporain.

Pour rester dans le domaine ludique, comment ne pas évoquer les reconstituants, ces bénévoles qui n'aiment rien tant que de revêtir les habits et uniformes de leurs ancêtres et rejouer leurs guerres, batailles et épopées. Tous les deux ou quatre ans, à l'automne, les reconstituants du Premier Empire et des guerres napoléoniennes se retrouvent par exemple au Jubilé impérial de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), dans la ville et le parc de la Malmaison, résidence de l'impératrice Joséphine, pour des défilés, simulations de combats, etc. Le public peut alors à son aise échanger avec les participants sur leur passion et tout apprendre des uniformes, de l'armée, des conditions de vie des grognards, etc., etc.

Les musées et monuments ne sont pas en reste. Le somptueux Hôtel de la Marine, au coeur de Paris, permet aux amateurs de découvrir un splendide décor du XVIIIe siècle, avec dorures et moulures tout en se faisant guider à l'oreille par ses hôtes de l'Ancien Régime. Attractif mais plutôt cher (17 euros) et inapproprié au jeune public. 

D'une facture plus classique, le Musée du vin de Champagne et d'archéologie régionale, à Épernay (Marne), a bénéficié d'une nouvelle muséographie qui rend passionnantes ses salles consacrées à la Préhistoire comme aux Gaulois et bien sûr au champage. Même les enfants peuvent y trouver leur compte grâce à des commentaires clairs et accrocheurs ainsi que des jeux et des petites animations ludiques. À Lyon (8e arrondissement), le Musée Lumière, installé dans la demeure et l'usine des inventeurs du cinéma, ne manque pas de séduction pour tous les publics avec de nombreuses animations et vidéos qui racontent les images animées en remontant bien avant les frères Lumière.

Au nord de Lyon, en Saône-et-Loire, le musée et le site de Bibracte permettent à chacun, petit ou grand, de découvrir avec délectation un oppidum gaulois du Ier siècle avant J.-C. « dans son jus »... ainsi que de goûter une authentique cuisine gauloise. Le site avait tant plu à l'ancien président François Mitterrand qu'il avait un temps envisager de s'y faire inhumer !

Revenons à nos arrière-grands-parents avec le Musée de la Grande Guerre du pays de Meaux (Seine-et-Marne), inauguré en 2011. Voilà encore un musée qui a réussi l'exploit de se rendre accessible aux plus jeunes comme à leurs parents. Dans le même esprit mais sur un thème opposé, nous aurions pu citer aussi le Musée Olympique de Lausanne (Suisse, canton de Vaud), à la gloire des jeux et du sport.

Que l'on nous pardonne les nombreux oublis qui démontrent qu'il y a de meilleures façons d'illustrer l'Histoire et de la faire aimer par les enfants que des jeux vidéo ou des images sur fond sonore.    

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2023-02-28 09:10:42
GERVAIS (10-02-2023 18:51:16)

Bonsoir, j'ai visité " cette cité de l'histoire" ce jour. Et bien j'en suis sorti bien déçu. Cher et je n'ai rien appris. Demain musée de l'homme au palais Chaillot, je suis sûr que j'en so... Lire la suite

hadrien (08-02-2023 09:52:36)

Sans avoir été voir , j'approuve cet article ,avec réserve pour le Puy du Fou , je dirai que cela ne m'étonne pas ! Si on veut faire de l'histoire "immergée " et voir, comme dit G.Duby ,les époq... Lire la suite

Yannick (02-02-2023 09:56:23)

Difficile de ranger le Puy du fou dans les spectacles historiques : quatre historiens de profession et de haut niveau en ont publié un livre titré "Le Puy du faux", qui, tout en saluant la beauté e... Lire la suite

Philippe MARQUETTE (01-02-2023 11:38:52)

Votre article a deux qualités, la première est de prévenir ce qui semble être une arnaque historique, l'autre est d'indiquer qu'il existe d'autres façons de visiter l'Histoire, plus authentiques.... Lire la suite

alain (01-02-2023 09:46:29)

En matière de reconstitution notez la bataille de Castillon en Gironde.Herodote.net répond :Grand merci pour votre rappel. Il est d'autant mieux apprécié que nous connaissons bien cette manifestat... Lire la suite

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