21 novembre 2021

Un « iel » de trop dans le dico !

Vous le savez, Herodote.net n'a guère d'affinités avec l'écriture inclusive. C'est donc avec beaucoup de souffrance qu'une fois de plus, il a vu ses (rares) cheveux se dresser sur la tête à l'annonce de la consécration d'un certain « iel »...

Chers lecteurs et lectrices, lectrices et lecteurs, lecteur.trice.s, lectrice.teur.s

Le pronom du scandale, iel (dictionnaire Robert)Non, il ne s'agit pas du « ciel », du « miel » ni même du « fiel » qu'un coup de fatigue nous aurait fait décapiter par mégarde. Nous sommes ici face à un nouveau mot, un intrus que vous arriverez facilement à dénicher dans cette liste, même s'il se cache en s'inspirant de l'apparence de ses congénères : « je - tu - il ou elle - iel - nous... ».

Vous l'avez compris, il s'agit d'un pronom personnel troisième personne auquel le Robert vient d'ouvrir toutes grandes ses portes, du moins dans sa version numérique. Le but de l'irruption en fanfare de cet OVNI ? Proposer un terme qui permette d'« évoquer une personne quel que soit son genre ».

En théorie, la démarche est louable, puisqu'il s'agit de ne pas heurter les personnes s'interrogeant sur leur genre, et de mettre les deux sexes sur un pied d'égalité. Certes, sauf que dans « iel », c'est bien le masculin qui commence et finit le mot et, même, si l'on peut dire, qui enferme le féminin entre ses lettres ! Pire, il consacre dans sa forme même une obsession de l'opposition entre masculin et féminin, et classe dans la catégorie des « indéfinis » les personnes désignées ainsi.

À moins d'inventer un mot nouveau à la façon du « it » anglais, on ne s'en sort pas. Mais de quel droit me désignerait-on comme si j'étais un robot ? Aurait-on honte d'être homme ou femme ? Ou faut-il désormais, avant d'écrire tout texte, s'interroger sur le genre de l'individu désigné ? Parce qu'il était trop simple d'avoir recours à un « ils » indéfini pour désigner un groupe, va-t-il falloir désormais utiliser un « iels » (et oui, la version plurielle existe) pour éviter de compter les personnes de chaque sexe ?

Ce mot ne vous plaît pas ? Choisissez sa variante, « ielle ». Et ne dites pas que c'est un féminin, vous êtes aveuglé par les préjugés et les mauvaises habitudes, ma parole ! On vous propose simplement de choisir l'écriture qui vous semble la plus appropriée. Selon quelle règle ? Aucune idée. Il semble que le français n'en ait plus besoin. Ce sont les petits collégiens qui vont être contents !

Car « iel » est une déflagration : son usage oblige à revoir l'ensemble de la grammaire ! Comment ferez-vous les accords avec ce pronom sujet ? « Iel est passé/passée » ? Belle incitation à faire preuve d'inventivité et de... n'importe quoi ! D'ailleurs, le Robert ne donne pas d'exemple, puisque d'exemple, il n'y en a pas... si ce n'est sur certains réseaux sociaux qui sont, comme on le sait, une référence en matière de bon usage du français.

À travers cette polémique, c'est bien entendu toujours l'accès à l'écriture et la lecture qui est en question. Comment un enfant ou une personne souhaitant connaître notre langue peut-il parvenir à se faire comprendre et, peut-être plus grave ! comprendre ce qu'on cherche à lui communiquer ? Un exemple : « iels sont amicaux.les ». Pas la peine de vous dire que, ne maîtrisant nullement l'écriture inclusive (il faut pour cela une véritable habitude qui demande des heures d'entraînement – autant apprendre à jouer du violon...), je m'y suis reprise à plusieurs fois pour écrire ces trois (ou quatre ?) mots. Quant à comprendre toute une page rédigée ainsi, c'est un défi que je ne souhaite à personne ne lisant pas le mésopotamien ancien.

Mais pourquoi tout ce pataquès ?

Pour le directeur des éditions Robert, il s'agit de refléter la « forte croissance depuis quelques mois » du mot incriminé. Même si cette croissance est discutable en dehors des obsessionnels de l'écriture inclusive, on peut accepter l'argument : chacun peut un beau jour, par une incroyable malchance, croiser un « iel » assoiffé de liberté qui se serait échappé d'un tract.

Soit. Comme cette maison d'édition est indépendante, elle fait entrer qui elle veut dans son dictionnaire, surtout quand cela lui permet de se faire de la publicité. La preuve avec cette polémique à laquelle nous participons. Mais qu'elle prenne garde : si elle veut rester « la référence de la langue française » comme il est dit sur son site, elle ne doit pas céder aux sirènes des bien-pensants et du mouvement « woke » (dico). Tiens, d'ailleurs, ce mot qu'on voit partout n'est pas dans son dictionnaire...

Telle linguiste nous dit que la langue doit évoluer. Mais n’évolue-t-elle pas sans cela ? Parmi les ajouts récents, « distanciel », « truffade », « psychiatriser » et même l'affreux « cluster » sont là pour nous rappeler que notre langue est toujours bien vivante et accueillante. Ces ajouts résultent de façon naturelle de l'usage populaire.

Mais ici, avec « iel » et l'écriture inclusive, nous ne sommes pas dans le naturel mais dans son exact contraire, dans l'artificiel, dans une manipulation sortie de quelques cerveaux avides de changer les mentalités de leurs congénères par la contrainte. Souvenons-nous de George Orwell et de sa dénonciation de la novlangue ! Manipuler la langue, c'est manipuler les esprits.

Si nous n’y prenons garde, dans dix ans nous serons tous obligés de « ieliser » nos phrases comme le font déjà ces étudiants et enseignants d'université qui, pour se faire bien voir du groupe, forcent leur nature et tirent gloire d’employer l'écriture inclusive et de parler « woke ».

Quitte à passer pour d'affreux réactionnaires, résistons au troupeau des béni-oui-oui. Même si cette polémique peut sembler ridicule, ne lâchons pas prise, au risque de perdre notre langue, notre liberté et notre âme.

Isabelle Grégor
Publié ou mis à jour le : 2021-11-23 12:42:15
Loïc (09-03-2024 09:57:21)

Aucun mot n'a de sens en lui-même. Il a le sens que nous lui prêtons en fonction du contexte et de nos apprentissages. Quand nous lisons ou entendons "droits de l'homme", nous comprenons immédiatem... Lire la suite

Bernard (29-12-2021 12:10:31)

Toutes les périodes de décadence ont eu des conséquences sur le langage, du moins au sein de l'oligarchie intellectuelle. Il suffit, pour ne citer qu'un ou deux exemples, de rappeler les "Inc(r)oya... Lire la suite

Philippe (29-11-2021 09:43:12)

L'école produit aujourd'hui en masse des néo-bacheliers handicapés de la langue maternelle. Quelque chose me dit que ce n'est pas l'écriture inclusive qui va corriger les carences d'un enseignem... Lire la suite

Marie-José (28-11-2021 12:19:05)

Merci Isabelle GREGOR de m'avoir rassurée quant à mon "état mental" ! Depuis que les "grammairiens du crépuscule robertien", sous de fallacieux prétextes égalitaristes, ont jeté aux orties les... Lire la suite

lebewohl (22-11-2021 13:54:31)

Si je peux me permettre, il eût été préférable, dans une chronique consacrée à la langue, d'écrire "eh oui" plutôt que "et oui"... ;-)

Patrice (22-11-2021 09:41:47)

Je ne comprends pas toute cette paranoïa autour de ce mot. Il reflète une évolution à la fois sociologique et linguistique qui doit être inscrite dans le dictionnaire afin que chacun se retrouvan... Lire la suite

PH52 (22-11-2021 09:07:05)

Excellent texte !

On remarquera (accessoirement) qu'il est sans doute plus facile de créer "Iel" que d'établir l'égalité réelle...

Anselme (21-11-2021 19:21:07)

Me référant à un mail adressé à M. Larané, rappellerai-je que les lettres...ont un genre? En effet, le célèbre instituteur Édouard BLED, dans son "Cours supérieur d'orthographe" des années ... Lire la suite

jmb (21-11-2021 18:15:24)

Après tout, le Robert fait ce qu'il veut ! Mais ce n'est pas une autorité ! La seule autorité en matière de langue depuis Richelieu, c'est l'Académie Française !

Peter pan (21-11-2021 17:50:41)

Ne sommes-nous pas entrés dans le monde du « il faut faire plaisir à tout et n’importe qui »? l'époque est inquiétante .

Verveine84 (21-11-2021 17:05:19)

Je ne savais pas que les historiens étaient tellement réfractaires à la marche du monde. Cela me rappelle ceux qui voulaient détruire la Tour Eiffel sous prétexte qu'elle défigurait Paris... Mai... Lire la suite

Anne-Marie (21-11-2021 16:32:50)

On ne peut qu'approuver l'article d'Isabelle Grégor, merci à elle d'avoir su critiquer de façon claire et courageuse ce prétendu enrichissement de notre langue qui, à mon avis, va contre son gén... Lire la suite

Constant (21-11-2021 15:46:49)

Merci pour la justesse de votre article.
Le grand amoureux de la langue Française, qu’était Alain Rey , doit se retourner dans tombe en voyant la dérive de ce qui fut sa création.

Maurice (21-11-2021 15:39:14)

Il paraît qu'un enfant de 6e sur deux lit avec difficulté ... Qu'en est-il en grammaire ? Ça va être coton d'expliquer l'usage de "iel" aux enfants... Ah, je remarque que ce mot m'est signalé ... Lire la suite

JPG (21-11-2021 15:26:47)

NON ! Le dictionnaire Robert n'a pas pour "mission d'éclairer le lecteur" en accréditant de prétendus usages .. En réalité, le petit Robert se vautre dans la publicité à des fins purement comme... Lire la suite

indien (21-11-2021 15:08:23)

Méfions nous de certaines minorités qui veulent nous imposer (et le mot est faible) leur point de vue et qui bénéficient de la complaisance de certains médias.

JS (21-11-2021 15:05:53)

Heureusement que les gens intelligents et lucides, comme ceux qui écrivent dans Hérodote, refusent le dictat des fous furieux qui veulent nous imposer ces billevesées. Bravo à vous !

Philippe (21-11-2021 14:54:16)

Le refus des discriminations, inattaquable dans son principe, ne devrait pas anéantir le discernement, dont il ne saurait se passer. Et pourtant si ! Quand la course exhibo-narcissique à la singular... Lire la suite

Jacmé (21-11-2021 14:26:05)

Je suis terrorisé! Comme si il ne suffisait pas que nous entendions, tous les jours, à la T.V. ou à la radio, les barbarismes, solécismes, impropriétés, etc. des quasi analphabètes qui ont la c... Lire la suite

marmot (21-11-2021 14:12:01)

Robert, marche sur la tête et nous donne la migraine intellectuelle, en évoquant le prénom de "personne non défini" !!

Klemperer (21-11-2021° (21-11-2021 14:03:10)

Orwell, bien sûr, mais aussi LTI = Lingua Tertii Imperii (La Langue du Troisième Reich) de Victor Klemperer

galette 13 (21-11-2021 13:20:34)

OK pour introduire tous ces mots "usuellement utilisés" (hélas) par Médias et Informatiques!! de grace "iel"... ça ressemble à quoi ?ça évoque "qui" ?

Loignon (21-11-2021 12:44:19)

Je gage que, s'il on consultait les éditions successives des dictionnaires qui balisent la langue française, on constaterait que des mots en "sortent" tout comme d'autres y entrent. Et c'est l'usage... Lire la suite

Pit (21-11-2021 11:43:56)

Qu'elle est jolie !... Qu'il est beau !... Qu'iel est bizarre !
On en parle Monsieur Robert ? Mais "on" (disait mon grand-père au sujet du pronom indéfini) est un con !...

jmpoux (21-11-2021 11:38:08)

Bonjour, je vous recommande cette excellente analyse des correcteurs du Monde : https://www.lemonde.fr/blog/correcteurs/2021/11/18/le-iel-ne-peut-attendre/ Elle rejoint la vôtre : un coup de pub nau... Lire la suite

Gramoune (21-11-2021 11:24:10)

En attendant, le mot "iel" n'est que dans version "online"
du Robert.. Attendons de le voir apparaître dans la
version papier, donc imprimée.

asabengurtza (21-11-2021 11:21:45)

La comparaison avec le "it" anglais, qui inonde les débats depuis la crise délirante du Robert, n'a aucun sens car ce neutre ne concerne jamais un humain, me semble-t-il.

Brivot Pierre (21-11-2021 11:14:42)

Résumons : nous sommes en présence d’une des innombrables facettes de la putréfaction de notre société, de notre culture et de notre Civilisation. Patience, il doit rester encore d’autres ri... Lire la suite

Didier Chateau (21-11-2021 10:39:16)

Décidément, ce pronom a mauvais genre… Certains « progressistes » argumentent que le pronom neutre existe dans la langue de Shakespeare. D’une part, je fais remarquer que la langue couramment... Lire la suite

Alfred4708 (21-11-2021 10:24:00)

Il existe déjà un prénom à vocation neutre : "on". Je sais bien qu'on dit que "on, c'est c***", mais à mon avis, ça l'est moins que "iel". Conclusion : cette prétendue innovation n'est qu'une ... Lire la suite

bombatox (21-11-2021 10:20:56)

Merci à Isabelle GRÉGOR d'avoir su si clairement et simplement déconstruire cette horrible invention du IEL !

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