10 février 2011

Affaire Cassez et narcotraficants

Le procès de la Française Florence Cassez met à mal les relations entre la France et le Mexique, deuxième pays latino-américain.

La justice et la diplomatie doivent composer avec la susceptibilité nationale et les enjeux de politique intérieure, au Mexique, où l'on s'irrite de l'arrogance française.

Florence Cassez, condamnée à 60 ans de prison au Mexique, a vu sa peine confirmée le 10 février 2011. L'amparo - ultime recours - de la Française a été rejeté par les trois juges chargés de l'examiner, qui ont confirmé à l'unanimité sa réclusion pour séquestration et possession d'arme à feu.

De ces crimes, nul n'est certain qu'elle soit innocente ou coupable mais d'éminents juristes, au Mexique même, s'accordent sur le fait que l'enquête et le procès ont été entachés de graves irrégularités.

Le président de la République française a heurté les Mexicains en exigeant publiquement le rapatriement de la prisonnière en mars 2009. Il récidive ce 14 février 2011 en lui dédiant les manifestations de l'«Année du Mexique en France» dont il est lui-même à l'origine..

Le gouvernement mexicain, poussé par une opinion très remontée contre les gangs et tout autant indignée des ingérence étrangères, a annulé sa participation à ladite Année. En France, la classe politique, droite et gauche réunies, s'est lancée à la suite du président dans une escalade verbale quelque peu irréelle en pleine période de crise économique et sociale.

Les relations entre les deux pays sont entrées dans une phase de tension qui ravive les mauvais souvenirs du XIXe siècle. Un gâchis inutile dont la prisonnière fait les frais et dont l'explication se trouve dans le souci électoraliste des deux Présidents d'afficher leur «fermeté».

Une arrestation qui arrive à point nommé

Rappel des faits : le 8 décembre 2005, Florence Cassez (32 ans) est arrêtée près de Mexico avec son compagnon, Israël Vallarta, accusé d'être le chef d'un gang de kidnappeurs. Une arrestation que la police fédérale reconstitue le lendemain devant les caméras de télévision. Conséquence de cette «opération de communication» des forces de l'ordre : l'opinion mexicaine met dès lors un visage et un nom, ceux de la Française, sur l'un des fléaux du pays : les «secuestros», ou enlèvements crapuleux.

Et ce, dans un contexte des plus tendus : rongé depuis des années par une criminalité endémique, le pays doit faire face depuis le début des années 2000 à une situation sécuritaire catastrophique provoquée notamment par la recrudescence des violences liées au narcotrafic. Il s'agit d'une conséquence paradoxale de la transition démocratique de l'an 2000, qui a vu la droite libérale arriver au pouvoir après 70 ans de règne du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI).

Le trafic de drogue était auparavant aux mains de quelques cartels puissants liés à des hiérarques locaux. Il fait dans les années 2000 l'objet d'une redistribution des cartes, qui voit apparaître de nouveaux trafiquants, plus violents et mieux organisés que leurs aînés.

Tijuana, Ciudad Juarez, Nuevo Laredo, dans le nord du pays, sont le théâtre d'affrontements sanglants entre le crime organisé et les forces de l'ordre. La presse internationale compare le Mexique de ces années 2000 à la Colombie des années 1980.

Pour compléter ce tableau très sombre, la société mexicaine voit se développer pendant ces mêmes années une véritable industrie des enlèvements crapuleux. Les classes moyennes sont les plus touchées : des enfants aux adultes, des familles entières vivent dans la crainte de se faire séquestrer par des bandes mafieuses.

Il n'est pas rare que les choses tournent mal, et que les personnes enlevées soient torturées, mutilées, ou tuées, malgré le paiement de la rançon demandée. La police (dont certains éléments sont accusés d'être mêlés à ces enlèvements) recense plusieurs milliers de cas par an, mais le véritable bilan est en réalité bien plus lourd, car la majorité des séquestrations ne fait pas l'objet d'une plainte devant les autorités.

Dans ce contexte, le simulacre d'arrestation de Florence Cassez arrive à point nommé : la police fédérale y voit l'occasion de redorer son image, régulièrement ternie par des scandales de corruption et des reproches d'impuissance.

Depuis sa prison, Florence Cassez proteste contre cette mise en scène et sa récupération politique. Le 5 février 2006, Genaro Garcia Luna, chef des forces spéciales de la police, responsable de son arrestation, s'exprime en direct à la télévision. La Française intervient dans l'émission par téléphone, dénonce la supercherie et force Garcia Luna à avouer le montage !

Les Mexicains n'ont pas le monopole de ce genre de procédé ; que l'on se souvienne de l'«affaire des Irlandais de Vincennes» sous la présidence Mitterrand ou plus près de nous, sous la présidence Sarkozy, des faux «terroristes de Tarnac».

La crédibilité de la police mexicaine est atteinte. Mais Florence Cassez se fait un ennemi personnel... qui deviendra quelques mois plus tard ministre de l'Intérieur, le personnage le plus puissant du gouvernement du président Felipe Calderon.

Pendant son incarcération, le compagnon de la jeune femme reconnaît quant à lui les faits qui lui sont reprochés tout en niant que Florence Cassez ait eu connaissance de ses crimes. La Française est malgré cela condamnée.

Combats de coqs

En France, son sort suscite peu de commentaires jusqu'à la visite d'État de Nicolas Sarkozy au Mexique, en mars 2009. Les conseillers du chef de l'État l'incitent à aborder le sujet le plus discrètement possible.

Le 9 mars 2009, faisant fi de ces recommandations, le président français consacre plusieurs minutes de son intervention devant le Sénat mexicain à l'affaire Cassez. «On m'avait dit de ne pas en parler, ce qui me donne une envie forte d'en parler», lance-t-il à la surprise générale. Couac diplomatique ? «Je ne suis pas l'homme de l'impunité», tempère-t-il aussitôt, avant d'évoquer la Convention de Strasbourg, signée en 1983, qui prévoit le transfèrement des détenus emprisonnés dans les pays signataires, dans leur pays d'origine. Un comité d'experts des deux pays est chargé d'envisager l'application de ce texte à l'affaire.

Nicolas Sarkozy quitte le Mexique avec l'espoir que la prisonnière pourra être transférée dans son pays afin d'y purger sa peine. Pour s'assurer les faveurs de Mexico, il programme une «année du Mexique en France» pour 2011. Mais quelques mois plus tard, Felipe Calderon, soucieux de donner des gages à son opinion publique dans sa lutte contre «l'impunité», change d'avis : la jeune femme devra purger sa peine au Mexique. La Française ne voit plus d'autre recours que dans l'amparo.

Fin 2010, le ciel semble s'éclaircir : l'un des juristes les plus respectés du pays, Ignacio Morales Lechuga, ancien ministre de la justice (1991-1993) pointe les irrégularités dans l'enquête et défend publiquement son droit à un procès équitable, sans se prononcer sur sa culpabilité. L'Église catholique lui apporte également son soutien. Mais cela ne suffit pas à obtenir l'amparo.

Reste la pression diplomatique : le président Nicolas Sarkozy décide de dédier l'«année du Mexique en France» à sa concitoyenne présumée innocente. La riposte est immédiate : le Mexique se retire desdites manifestations. Pour Paris, le fiasco diplomatique est total.

Le pays peut-il se permettre une attitude offensive vis-à-vis du Mexique, puissance économique émergente ? L'affaire Cassez, à l'évidence, n'a pas fini d'empoisonner les relations entre les deux pays.

Franck Robert, correspondant à Mexico
Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14
LePontissalien (14-02-2011 21:36:54)

Je suis l'affaire depuis de longues années, l'article est un très bon résumé et je pense qu'aucun élément d'importance n'a été omis. Courage Florence...

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