La Russie

Deuxième naissance de la Russie (1371-1618)

La Russie connaît une renaissance spectaculaire aux XVe et XVIe siècles. Auparavant centré sur Kiev, le monde russe va prendre un nouveau départ depuis une ville encore jeune, Moscou.

Le triomphe improbable de Moscou

Cette histoire débute au milieu du XIVe siècle. Toute la région se trouve sous la domination des Turco-Mongols de la Horde d’Or dont la capitale est Saraï sur la Volga. Mais les royaumes chrétiens de l'ouest entament une reconquête rapide des plaines russes depuis le nord sous l’action de deux hommes : le roi de Pologne Casimir III, et surtout le grand duc de Lituanie Algirdas qui parvient à s’emparer de Kiev. La principauté de Moscou, qui est encore une fidèle vassale de la Horde d’Or, parvient à repousser les attaques de la Lituanie.

Tout change en 1371 lorsque le grand-prince moscovite Dimitri Donskoi rompt les liens avec la Horde d’Or. Celle-ci riposte, mais les Moscovites remportent une victoire décisive à la bataille de Koulikovo en 1380 qui conforte leur indépendance.

En 1395, la menace turco-mongole se réduit encore grâce à l’irruption de Tamerlan qui inflige une défaite sévère à la Horde d’Or. La Lituanie et la Moscovie en profitent pour conforter leur expansion. Cette époque est marquée par un renouveau culturel, essentiellement dans le domaine religieux avec la multiplication des icônes et des monastères.

En 1425, la mort du grand-prince Vassili Ier va toutefois enrayer cette ascension : son fils Vassili II n’ayant que dix ans, le pays sombre dans une guerre de succession qui va durer 28 ans. Pendant ce temps, la Lituanie et la Pologne confortent leur puissance en s’unissant. À l’inverse, la Horde d’Or finit par éclater en différents khanats, notamment celui de Kazan à l’est, ceux d’Astrakhan et de Crimée au sud.

Le grand-prince Vassili II, dit Vassili l'Aveugle, finit par récupérer son trône en 1450 et le transmet à son fils Ivan III en 1462. À sa mort en 1462, ses quatre fils se partagent l'héritage en accordant la prépondérance à l'aîné, Ivan III, qui méritera de rester dans l'Histoire sous le nom d'Ivan le Grand.

- Ivan III le Grand :

Le 12 novembre 1472, Ivan III épouse Sophie Paléologue, nièce du dernier empereur byzantin, Constantin XI Paléologue, tué les armes à la main lors de l'entrée des Turcs dans sa ville, quelques années plus tôt, en 1453. Le grand-prince de Moscou adopte du coup pour blason l'aigle à deux têtes du basileus et se pose en héritier des Byzantins et « souverain de toutes les Russies »

Tirand argument de son mariage avec une princesse byzantine, il se proclame aussi « tsar » (une déformation phonétique de « César »), héritier des empereurs romains et des basileus byzantins, dont le dernier, Constantin XI Paléologue, a péri lors de la prise de Constantinople par les Turcs. Pour s’offrir un palais digne de ce nom, il fait reconstruire le Kremlin sous la forme d’un vaste espace fortifié avec ses remparts et ses tours, ses résidences et ses églises.

Ivan III mène dès lors une politique d’expansion systématique aux dépens de ses voisins. En 1478, alors que le khanat de Crimée affaibli tombe sous la suzeraineté de l’empire ottoman, le tsar annexe l’immense république de Novgorod, ce qui lui permet d’agrandir le territoire jusqu’à la Baltique et de s’afficher comme un héritier de la Rus’ de Kiev.

Ivan le Grand « oublie » comme par hasard de faire allégeance à la Horde d'Or et, en 1480, sur les marches de la cathédrale de l'Assomption, rejette officiellement leur tutelle.

1480 : Ivan III déchire la lettre d'allégeance présentée par les émissaires mongols, Alexis Kivshenko, 1879.

En 1502, le khan de Crimée, allié d'Ivan III, s'empare de la capitale des Mongols, Saraï. Et l'année suivante, Ivan III inflige une défaite aux Lituaniens. Tout lui sourit. À sa mort, le 27 octobre 1505, Ivan III le Grand, grand-prince de Moscovie et « Rassembleur des terres russes », laisse un embryon d'État moderne et centralisé à son fils.

- Vassili III :

Celui-ci, Vassili III, n'aura de cesse de renforcer son pouvoir autoritaire et autocratique. En 1522, il s’empare de Smolensk et conclut un armistice avec le roi Sigismond Ier de Pologne. Sous son règne, le moine Philothée, revendique officiellement pour Moscou le statut de « troisième Rome ». L’expression apparaît dans une « missive contre les astronomes » rédigée vers 1520.

N'ayant pas d'enfant après vingt ans de mariage, le tsar divorce et se remarie, mais fait aussi incarcérer ses frères pour éviter qu'ils ne lui succèdent.

D'Ivan le Terrible au « Temps des troubles »

À la mort de Vassili III, le 3 décembre 1533, les liens de la Moscovie avec l’Occident se limitent à la présence de quelques marchands vénitiens ou hanséates. Cela va changer avec son fils et successeur, qui lui succède à 4 ans sous le nom d'Ivan IV.  Son enfance se déroule dans une ambiance d’assassinats sous la régence d’un conseil de boyards, et il en acquiert une personnalité particulièrement sombre et sanguinaire qui lui vaudra le surnom de « Terrible ».

Le 16 janvier 1547, alors qu'il n'a que seize ans, le souverain met fin à la régence de sa mère Hélène et du conseil de boyards et se fait couronner par le métropolite de Moscou Macaire avec le titre de « tsar », repris à son grand-père Ivan III. Après quoi, il épouse Anastasia Romanov, issue de l'une des principales familles aristocratiques de Moscou. C'est d'elle que sera issue la seconde (et dernière) dynastie russe.

- Ivan le Terrible (1533-1584) :​

Ivan IV entreprend alors d’accroître son pouvoir aux dépens des boyards comme du clergé orthodoxe.  Puis il se lance à la conquête du redoutable khanat de Kazan, sur la Volga. La ville est prise le 2 octobre 1552 et ses habitants réduits en esclavage. Pour célébrer la prise de Kazan, le tsar fait construire une cathédrale à Moscou qui demeurera un symbole de l’architecture moscovite. L’esplanade située entre cette cathédrale et le Kremlin deviendra la Place Rouge.

Ivan IV en finit enfin avec les derniers royaumes mongols de la Russie méridionale en s'emparant aussi du khanat d'Astrakhan, sur la Volga inférieure.

Cosaques russes du Terek, Les peuples de la Russie, Emelian Korneïev, 1812. Agrandissement : Paysans d'Ingrie, gravure de Gustav-Teodor Pauli, 1862.Dans les steppes du bas Don, les Cosaques, cavaliers semi-nomades, tant russes que tatars (turco-mongols), par-dessus tout avides de liberté, font allégeance au tsar de façon toute formelle. Ils vont en partie se slaviser, formant des communautés de paysans-guerriers très mobiles et largement autonomes qui rendront service au tsar en faisant obstacle aux entreprises militaires du khanat de Crimée.

Ces Cosaques participent à la colonisation de la Sibérie, à l'initiative d'entrepreneurs, les Strogonov, qui financent des expéditions exploratoires. En 1584, le Cosaque Ermak s’installe ainsi dans le bassin de l’Irtych, au-delà de l’Ob, au cœur de la Sibérie. C'est le début de la poussée russe vers l'Asie. Elle est le fait d'aventuriers, de marchands de fourrures et de paysans qui fuient le servage sans que les souverains y soient pour quelque chose.

De la sorte, en un demi-siècle, de 1533 à 1584, l’empire s’étend de manière considérable, en particulier vers la mer Noire et l’Asie, passant de 2,8 à 5,4 millions de km2 !

Mais le tsar a moins de succès à l’Ouest. L’année 1558 constitue une charnière de son règne. À cette époque, la Livonie s’est détachée de l’État teutonique et semble constituer une proie facile. Ivan le Terrible tente de s’emparer du pays, mais cela provoque la réaction de la Suède, du Danemark-Norvège et de la Pologne-Lituanie qui s’inquiètent de cette expansion rapide.  

En 1578, Ivan IV est défait par le roi de Pologne Étienne Ier Bathory en 1578 et la Russie perd tout accès à la Baltique. En parallèle, le khanat de Crimée, vassal de l’empire ottoman, mène des razzias qui les conduisent jusqu’à Moscou en 1571.

De ce fait, la paranoïa d’Ivan le Terrible ne cesse de grandir. En 1564, hanté par la crainte d'une rébellion, le tsar tente de consolider son pouvoir en instituant le régime de « l’opritchnina », avec des territoires soustraits aux boyards, nobles russes, et dirigés par des hommes de main du tsar, les redoutables « opritchniki ». Lui-même en vient même à tuer son fils aîné dans un accès de colère le 16 novembre 1581. 

L’empire n’en développe pas moins ses échanges avec les Occidentaux, y compris les Anglais. Le tsar fait appel à des experts étrangers et envoie de jeunes nobles se former à l’étranger, démarches qui seront reprises par tous les grands tsars de Russie.

De nombreux paysans russes se montrent attirés par la colonisation des terres nouvellement conquises, avec l'espoir d'y bénéficier de la liberté. Mais Ivan IV restreint leur liberté de circulation pour complaire aux boyards et aux propriétaires terriens qui lui fournissent les ressources dont il a besoin pour la guerre. 

- Boris Godounov (1584-1605) :

À la mort d’Ivan IV, en 1584, son fils Fedor (Théodore) règne sous la tutelle de son beau-frère Boris Godounov. Il meurt à son tour en 1598 sans fils ni héritier, son jeune frère Dimitri étant lui-même mort en 1591 dans des conditions mystérieuses. C'est la fin de la dynastie des Riourikides qui était au pouvoir depuis l’arrivée des premiers Varègues à la fin du IXe siècle.

Le régent Boris Godounov en profite pour se faire élire tsar par le zemski-sobor, assemblée mise en place par Ivan III pour succéder à l’ancienne assemblée de boyards (nobles), la Douma.

Boris Godounov bénéficie du soutien de l’Église car il a obtenu en 1589 du patriarcat de Constantinople la création d’un patriarcat russe autocéphale, sans lien de subordination avec l’ancienne métropole. Plus gravement, il se concilie aussi les nobles, incapables de faire fructifier leurs terres, en interdisant en 1603 aux paysans de quitter le domaine sur lequel ils sont nés. Ainsi le servage s'introduit-il en Russie sous sa forme la plus extrême alors qu'il a depuis longtemps déjà disparu de presque tout l'Occident !

- Le « Temps des troubles » :

La Russie prend une forme originale, éloignée des standards occidentaux, avec un souverain autocratique, une administration virtuelle et une absence de contre-pouvoirs efficaces, des nobles turbulents et une paysannerie misérable.

Après une terrible famine en 1601, la Russie entre dans le « Temps des troubles » en 1603. Un usurpateur soulève alors les foules en se présentant comme Dimitri, le frère et héritier du précédent tsar. Deux ans plus tard, à la mort de Boris Godounov, le faux Dimitri s’empare de Moscou. Mais il périt l’année suivante. Le boyard Vassili Chouïski s’empare du trône et appelle à son secours les Polonais quand un deuxième faux Dimitri menace son pouvoir.

La Pologne-Lituanie et la Suède profitent du chaos pour envahir le pays, ce qui double la guerre civile d’une guerre extérieure qui va durer 13 ans. Résultat, en 1611, les Polonais, catholiques ô combien détestés des Russes, occupent Smolensk et Moscou, cependant que les Suédois s’emparent de Novgorod.  En 1617, la Russie reperd les bords de la Baltique au profit de la Suède, puis doit abandonner la région de Smolensk à la Pologne-Lituanie.

Il s’ensuit un sursaut national et religieux en 1613 avec l’intronisation d’un nouveau tsar, le jeune Michel Romanov. Ses descendants vont guider l'empire jusqu'à sa chute finale en 1917 et va en faire la première et la plus vaste puissance coloniale des temps modernes…

Vincent Boqueho
Les représentants du zemtsvo de Moscou supplient Michel Romanov d'accepter la couronne (miniature ancienne)

Publié ou mis à jour le : 2023-12-11 09:54:37
Osmane (11-12-2023 12:59:32)

Excellent article qui éclaire une péride très mal connue en France,les liense de la Russie avec Byzance , le péril turco mongol qui a duré 3 siecles et la résistance russe qui a évité ce péri... Lire la suite

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