La caricature

Un coup de crayon qui vaut tous les discours

Chargez ! Cela pourrait être le mot d'ordre des caricaturistes, si l'on détourne l'origine du terme (du latin caricare : « charger, mettre dans un chariot »). Il est vrai que la caricature est une arme qui a fait au fil des siècles de nombreux dégâts sur des individus, des idées ou même des nations.

En France, les attentats de janvier 2015 ont rappelé l'indispensable présence de ces éphémères petits dessins. Souvent tout simples, ils tirent leur force d'être immédiatement compréhensibles par tous et ont donc triomphé à toutes les époques, comme nous allons le montrer... en deux coups de crayon.

François Ravard, dessin hommage à Charlie hebdo, 2015

Homo caricaturis

Le Roi Aménophis IV-Akhénaton, temple de Karnak, vers 1350 avant J.-C., Paris, musée du LouvreQui, le premier, a eu l'idée de représenter son cousin avec un gros nez ? Nous ne le saurons jamais, mais parions que la caricature est née avec le dessin, dans la nuit des temps. Comme les surnoms, elle a pu servir de méthode pour distinguer les individus.

Le principe est simple : prenez un trait physique remarquable, exagérez-le, et le tour est joué ! Et voilà nos Henri le Balafré et autres Berthe au Grand Pied facilement reconnaissables.

Rufus est (Voici Rufus), villa des Mystères, Ie s. av. J.-C., PompéiNotons que la caricature n'a pas toujours pour but de se gausser !

Si les sculpteurs égyptiens se sont ingéniés avec talent à rendre leur pharaon Akhenaton très laid, ce n'était pas dans un esprit de moquerie facile mais pour répondre aux exigences du souverain, soucieux de plus de réalisme que ses aînés.

Chez leurs voisins ou successeurs de l'Antiquité, on trouve plus souvent des représentations de personnages grotesques.

C'est le cas notamment sur les céramiques, en Grèce comme à Rome, comme pour rappeler à leurs utilisateurs les effets déformants de l'alcool qu'ils vont déguster.

Personnage de Sefar, site du Tassili-n-Ajjer, de 12000 à 6000 av. J.-C., Algérie

Mais le genre grotesque n'est pas du goût de tout le monde... Même Aristote y trouve à redire. Le savant se plaint ainsi d'un dénommé Pauson qui s'amusait à peindre les hommes « en pire ».

De quoi parle-t-on ?

Pour se repérer dans la grande forêt de l'humour, quelques précisions s'imposent :

Moisan, caricature du général de Gaulle parue dans Le Canard enchaîné, après 1959La caricature, « ce libertinage de l'imagination » selon Diderot, tient sur un principe simple : il s'agit d'exagérer, de déformer la réalité dans le but de s'en moquer ou de dénoncer. Parmi les caricatures, on distingue les portraits à charge qui déforment l'individu pour le railler, et les caricatures de situation, qui attaquent les comportements de groupes humains.

L'ironie est une façon de se moquer en sous-entendant le contraire de ce que l'on dit.
La satire est une œuvre qui dénonce des individus ou comportements en les tournant en ridicule.
La parodie consiste à reprendre une œuvre ancienne, connue, pour l'utiliser comme support satirique.

C'est ainsi que le dessinateur Moisan, dans Le Canard enchaîné, aimait à représenter le général de Gaulle en s'inspirant des tableaux de Louis XIV.

Tout cela est bien grotesque

Avec le facétieux Moyen Âge, « la pierre devient éloquente » (Champfleury) et la caricature prend l'air.

Les fidèles sont appelés à prier sous les représentations romanes de gnomes difformes et grimaçants censés les dégoûter du mal. Leurs imperfections physiques ne traduisent-elles pas leurs impuretés spirituelles ?

Un peu plus tard, les monstres s'envolent pour devenir gargouilles et créatures fantastiques.

Mais redescendons sur terre, ou plus précisément dans les livres : c'est là en effet que des moines, peut-être victimes d'ennui, vont faire la part belle aux représentations quelques peu cabossées de leurs contemporains.

Caricature de Mahomet, dans Pierre le Vénérable, traduction du Coran, vers 1143, Paris, BnfDiscrètement griffonnées dans un coin à partir du XIIIe s., ces « marges à drôleries » se veulent parodiques, voire franchement irrévérencieuses.

Elles se moquent des chasses à courre, des rapports hommes-femmes et même, dans un livre de 1202, du pape !

La religion n'est en effet pas épargnée par les apprentis artistes, puisque déjà en 1143 on a vu apparaître les traits de Mahomet dans un coin de la première version latine du Coran...

Caricature de Philippe IV Le Bel dans Gervais du Bus, Roman de Fauvel, XIVe s., Paris, BnF

Assez de beauté, vive la laideur !

L'homme de la Renaissance aime être élégant, admire la statuaire antique et cherche Dame Beauté en tout. Mais trop, c'est trop ! C'est aussi à cette époque que des artistes comme Jérôme Bosch ou Léonard de Vinci couvrent leurs papiers ou tableaux de portraits d'êtres contrefaits.

Certes, ils s'amusent, mais la perfetta difformità est aussi un moyen d'étudier, de façon légèrement moins académique, la diversité des apparences et expressions humaines. Comment connaître l'Homme si l'on cache ses imperfections ? Comment apprécier la beauté sans l'opposer à la laideur des visi monstruosi (visages monstrueux) ?

À la recherche du reflet inversé du Beau idéal, les frères Carrache, à Bologne, finissent par se lancer dans le rittrato caricato (petit portrait à charge) qui donnera son nom à la caricature. Ils trouvent leur inspiration dans les traités de physionomie qui prétendent que les traits du visage dévoilent la nature profonde de l'homme. Et l'imprimerie, inventée en 1438, n'a plus qu'à jouer son nouveau rôle : diffuser massivement le résultat. De gentiment moqueurs, les portraits vont vite devenir féroces. Lâchez les fauves !

Léornard de Vinci, Études de portraits grotesques avec une caricature de Dante, 1492, Windsor Castle, Royal Library

« Des images méchantes »

À cette époque, il y a une personne qui a bien compris la force de ce tout nouveau moyen de communication : Martin Luther...

Lucas Cranach l'Ancien, Le Pape chevauchant une truie, dans Martin Luther, Sauritt des Papst, 1545Avec le concours de Cranach l'Ancien à la plume, le réformateur attaque en effet férocement la papauté dans ses pamphlets illustrés d'images infâmantes, héritées des bestiaires du Moyen Âge, qui s'ingénient à transformer en monstre la personne à atteindre.

On diabolise à tout va ! Plus besoin de s'inquiéter de la ressemblance avant de déformer les traits, il suffit d'ajouter quelques attributs comme une couronne ou un sceptre pour savoir de qui il est question.

Venue des pays du Nord, cette tradition des gravures allégoriques fait de la caricature une arme politique.

Alors que la Réforme, après 1517, prend de l'ampleur, ces « images méchantes », selon l'expression allemande (bösen Bilder), vont vite faire des dégâts. Une des premières victimes est Henri III, le dernier Valois, objet d'une ardente campagne de caricatures qui va conduire à l'assassinat de ce « nouvel Hérode » (1589). Quelle efficacité !

Le roi moqué, le roi chassé

Jean-Baptiste Bouchet, Le Bichon poudré : caricature d'un petit marquis, XVIIe siècle, Paris, BnFSous l'Ancien Régime, l'image du souverain en place était largement diffusée pour assurer sa légitimité. Quelle aubaine pour ses ennemis ! Il suffit de déformer cette image pour en faire un instrument de critique.

C'est ainsi qu'à l'époque de la Ligue puis de la Fronde, les traditions italienne et hollandaise de la caricature se rejoignent. Notre Roi-Soleil devient ainsi sur les affiches et libelles un soleil obscurci par une malencontreuse éclipse.

Marchands d'estampes et colporteurs diffusent, sans autorisation de vente, des dessins qui moquent les maîtresses royales ou les petits marquis, devenus de mignons « bichons poudrés » (...).

Publié ou mis à jour le : 2020-05-09 11:38:32

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