Lady Sapiens

Qui sont les femmes de la Préhistoire ?

L'homme préhistorique est aussi une femme, Une histoire de l'invisibilité des femmes (Marylène Patou-Mathis, Allary éditions, 2020)300 000 ans se sont écoulés depuis l’apparition de notre espèce Sapiens en Afrique jusqu'à l'invention de l'écriture au Moyen-Orient il y a 5000 ans. Autant dire que cette période de la Préhistoire est bien plus étendue et diverse que notre monde moderne en dépit d’une population mille fois inférieure. Nous arrivons de mieux en mieux à la connaître mais c'est seulement dans les dernières années, par l'analyse des os et des gènes, que les paléontologues ont pu observer ce qui se rapporte spécifiquement aux femmes.

La préhistorienne Marylène Patou-Mathis en a tiré un passionnant essai publié en 2020, L'homme préhistorique est aussi une femme (Allary éditions). Ses travaux et quelques autres ont fait l'objet d'un livre joliment baptisé Lady Sapiens (Les Arènes, septembre 2021) ainsi que d'une émission d’une heure sur France 5 (en différé jusqu’au 29 novembre 2021) et d'une série de 7 courtes vidéos sur la chaîne éducative Lumni

Lady Sapiens (Thomas Cirotteau, Jennifer Kerner, Eric Pincas, Les Arènes, 2021)Les découvreurs de la Préhistoire ont la double caractéristique d’être des hommes et surtout d’avoir vécu au XIXe siècle, quand le statut de la femme avait atteint son point le plus bas, du moins dans le monde occidental.

Ces savants ont donc entrevu les temps préhistoriques avec les préjugés de leur époque, sous la forme de communautés dominées par les hommes, où les femmes s’occupent de la cuisine, de la basse-cour et des enfants (il en aurait été autrement s'ils avaient vécu au Moyen Âge, quand les femmes pratiquaient à peu de chose près les mêmes métiers que les hommes).

Comme pour justifier la domination masculine caractéristique du XIXe siècle bourgeois, les premiers anthropologues ont représenté la femme préhistorique comme un objet à conquérir, le viol étant la forme primitive de la domination. Après tout, nos illustres Romains ne l'ont-ils pas magnifiquement justifié avec le rapt des Sabines ? Friedrich Engels, alter ego de Karl Marx, a développé cette idée dans L'Origine de la famille (1884). 

Nous n'en sommes plus là. Les femmes ayant aujourd’hui à nouveau droit de cité, les paléontologues s'appliquent à retrouver leurs traces dans la Préhistoire. Ils s’efforcent pour cela de faire parler les artefacts en corne, ivoire ou pierre, les peintures murales, les vestiges de foyers domestiques et de sépultures, les ossements… L'analyse de l'ADN permet parfois d'identifier le chromosome XX caractéristique des femmes. Celles-ci sont aussi identifiables à un certain osselet de l'oreille interne ou à l'os iliaque de la hanche. À partir de là, il est possible d'entrevoir leurs conditions de vie.

Ainsi, les squelettes venus de la Préhistoire témoignent d'une grande robustesse des membres supérieurs et d'une forte musculature, ce qui témoigne d'un mode de vie actif chez les femmes comme chez les hommes. On a aussi noté chez nombre de femmes du Paléolithique supérieur des lésions osseuses du bras droit liées à certaines activités comme le lancer du javelot, ce qui tend à montrer que ces femmes devaient participer à la chasse tout comme les hommes.

La Vénus de Renancourt (23000 BP), statuette en craie découverte en 2019 sur le site de Renancourt, près d'Amiens (doc INRAP)Mais certaines lésions au niveau des vertèbres inférieures, relevées sur des squelettes féminins, seraient également caractéristiques du travail en posture agenouillée lié au pétrissage de la farine par exemple, ce qui laisse penser que les femmes pouvaient être spécialisées dans ce travail, assure Lady Sapiens.

Y avait-il donc déjà au Paléolithique supérieur ou plus tôt encore une spécialisation des tâches ? La lecture de ces ouvrages ne permet pas de conclure et l'on peut raisonnablement penser que, comme aujourd'hui, tous les cas de figure pouvaient se rencontrer autour de la Terre.

Dans l'incertitude, rien n'exclut aussi que les peintures pariétales de Lascaux étaient l'oeuvre de femmes tout autant que d'hommes, se plaît à souligner Marylène Patou-Mathis. D'ailleurs, parmi les innombrables mains réalisées au pochoir dans de nombreuses grottes, beaucoup sont de femmes ou d'enfants. Autant dire que la peinture était accessible à tous.

Un mystère continue d'entourer les émouvantes « Vénus » du Gravettien, 29000 à 22000 avant notre temps (BP, Before Present) ? Relèvent-elles d’un culte de la déesse-mère ? S’agit-il d’amulettes propitiatoires destinées à aider l’enfantement, avec les organes de la maternité manifestement exagérés : seins, fesses et hanches (Willendorf, Renancourt) ? Relèvent-elles de l’art pur comme la belle figure de Brassempouy ?

Difficile d’en tirer des renseignements sur le statut des « Européennes » au Paléolithique supérieur. Mais gardons-nous en tout cas d’y voir une représentation réaliste des femmes de l’époque.

Vénus impudique (13000 BP), ivoire de mammouth, découverte en 1863 (abri de Laugerie-Basse, Eysies-de-Tayac, Périgord)Actives, obligées de beaucoup marcher et se nourrissant assez peu, celles-ci devaient avoir une silhouette longiligne et plutôt musclée sans rien à voir avec ces « Vénus ». Sans doute étaient-elles plus ressemblantes à la « Vénus impudique », figure adolescente filiforme du Magdalénien, 18000 à 12000 BP, première statuette féminine découverte en France (abri de Laugerie-Basse, Les Eysies-de-Tayac, Périgord).

Un fait paraît certain : si « primitifs » qu'ils fussent, nos lointains aïeux n'en étaient pas moins des hommes et des femmes soucieux de plaire et séduire. À preuve les coiffures tressées avec soin (Brassempouy, Renancourt) ou encore  le grand nombre de bijoux, bracelets, colliers... à base de coquillages, d'ivoire de mammouth ou autre.

Sur la « femme au renne » du Magdalénien, qui représente une femme enceinte sous un renne, gravée sur un bois de cervidé, on croit ainsi reconnaître un bracelet de cheville !

Femme au renne, gravure sur un bois de cervidé, environ 13000 BP, découverte en 1867(abri de Laugerie-Basse, Eysies-de-Tayac, Périgord)La coquetterie, tant féminine que masculine, pouvait aussi se nicher dans les peintures corporelles, comme on le voit encore aujourd'hui dans certaines tribus aborigènes... ou chez les adeptes du tatouage. On a relevé des traces d'usage d'ocre en Afrique dès -300 000 ans ! L'ocre, qui a des vertus abrasives et prophylactiques, pouvait être utilisé aussi bien pour tanner les peaux que pour peindre les parois, les objets... ou les corps.

Aiguille à chas du Paléolithique supérieur (museum de Toulouse)L'usage de vêtements, qui remonte à au moins 120 000 ans, a assuré une meilleure résistance au froid aux populations des régions septentrionales. C'est qu'elles n'avaient plus de pilosité corporelle pour les en protéger, celle-ci ayant disparu il y a bien un million d'années. 

Mais l'invention de l'aiguille à chas (notre aiguille à coudre), survenue en Chine et en Sibérie il y a 40 000 ans, a proprement révolutionné le vêtement en permettant de coudre bord à bord des textiles ou des peaux. Le vêtement a pu ainsi devenir une manière de différentiation sociale, clanique et sexuelle. Mais il ne nous en reste de témoignage que sur certaines figurines et gravures.

Venons-en aux relations sociales et sexuelles et écoutons à ce propos Marylène Patou-Mathis : « On constate que, depuis au moins 300 000 ans, les humains préhistoriques ont des comportements sociaux complexes, il est donc fort peu probable que la perpétuation des clans ait pu reposer uniquement sur le rapt de femmes. Aujourd'hui, cette hypothèse est rejetée par de nombreux archéologues et ethnologues qui lui préfèrent celle de l'échange ». Cette thèse de l'échange avait déjà été entrevue par l'anthropologue Claude Lévi-Strauss. On pense aujourd'hui, à la lumière des analyses génétiques, qu'elle ne se limitait pas à l'échange de femmes. Les hommes, aussi bien que les femmes, pouvaient être conduits à prendre un conjoint dans un groupe voisin, une manière d'assurer la bonne entente entre les uns et les autres, la coopération et l'entraide étant plus profitables que la violence et la compétition, au moins chez les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique.

Tout change, semble-t-il, avec la sédentarisation et l'agriculture, ce qui donnerait raison à notre Jean-Jacques Rousseau, thuriféraire du « bon sauvage » et pourfendeur du droit de propriété, source de toutes les abominations ! Laissons le dernier mot à Marylène Patou-Mathis : « Les premières traces de violences collectives semblent apparaître avec la sédentarisation des communautés, qui débute il y a environ 14 000 ans, et augmenter au cours du Néolithique, période marquée par de nombreux changements environnementaux (réchauffement climatique), économiques (domestication des plantes et des animaux qui permet un surplus de denrées alimentaires - attesté par leur lieu de stockage), sociaux (apparition des élites et des castes et leur corollaire, la hiérarchisation et les inégalités) et de croyances (aapparition de divinités et de lieux de culte) [...]. On constate que les femmes et les enfants en seraient les premières victimes ».

Fabienne Manière
Publié ou mis à jour le : 2021-10-07 09:07:54

Voir les 4 commentaires sur cet article

Mimi (13-10-2021 04:38:40)

Bravo aux rédacteurs(trices) dont je demeure un lecteur fidèle et assidu . MERCI

xuani (06-10-2021 16:51:14)

Merci pour e bel article Madame Manière. Une question: a-t-on des indications sur le rôle des enfants dans les sociétés paléolithiques? Je pose cette question, parce que pas mal de découvertes ... Lire la suite

gmpennes (06-10-2021 14:06:33)

Très interessant. A noter l'apparition récente de la violence par la juxtaposition de la sédentarisation et les changements climatiques

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