Après que les élus flamands ont rompu avec la tradition belge du compromis, le pays est au bord de la scission. Le triomphe des particularismes en Belgique et, demain, dans le reste de l'Europe, pourrait porter un coup fatal à la solidarité entre les peuples de l'Union...
Pour comprendre l'enjeu actuel, lire notre dossier : Mille ans d'Histoire belge
Voilà plus de cinq mois que le gouvernement belge démissionnaire de Guy Verhofstadt se contente d'expédier les affaires courantes.
Les élections législatives du 10 juin ont consacré le succès du parti chrétien-démocrate flamand (CD&V) d'Yves Leterme et de son allié nationaliste flamand, la NVA, partisans pour la Flandre d'une autonomie aussi large que possible. Depuis lors, la Belgique est en attente d'un gouvernement de coalition qui réunirait les chrétiens-démocrates et libéraux francophones et flamands.
Le conflit dépasse le cadre politicien. Il met en jeu la pérennité de la Belgique, minée par le différend linguistique entre néerlandophones (Flamands) et francophones (Wallons et Bruxellois). Les premiers reprochent aux seconds de ne pas faire d'effort pour apprendre le flamand et craignent que celui-ci ne soit pas marginalisé.
La pomme de discorde est l'arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), bilingue français/flamand, mais enclavé en Flandre. Si Bruxelles est majoritairement francophone, ce n'est pas le cas des 35 communes riveraines.
Jusqu'ici, 120.000 francophones de la circonscription néerlandophone de Hal-Vilvorde, à la périphérie de Bruxelles avaient la possibilité de voter pour des candidats francophones bruxellois lors des législatives.
Les Flamands du CD&V d'Yves Leterme jugent cette disposition contraire au fédéralisme belge qui prévoit des régions unilingues (Bruxelles excepté). Le 7 novembre 2007, ils ont voté en commission la scission de l'arrondissement, Bruxelles demeurant seule bilingue.
Le vote a secoué le pays car il rompt pour la première fois avec la tradition belge du compromis (jusque-là, les Flamands veillaient à ne pas user de leur majorité numérique pour imposer leurs volontés aux Wallons).
La paralysie de l'État fédéral contribue à renforcer les prérogatives déjà très étendues des régions.
Les séparatistes, très nombreux du côté flamand, s'accommodent de cette situation qui mène tout droit à l'éclatement de la Belgique en deux entités indépendantes, la Flandre et la Wallonie. Deux ou trois obstacles freinent cette évolution : le roi, dernier symbole d'unité nationale, la dette publique et surtout le statut de Bruxelles.
La capitale abrite les principales institutions de l'Union européenne et l'OTAN. Elle est majoritairement francophone mais enclavée en Flandre ! Sans surprise, c'est là que l'on semble le plus attaché à l'unité nationale. Il n'est que de voir les drapeaux tricolores accrochés aux fenêtres pour s'en convaincre.
Les séparatistes mettent en avant l'exemple de la Tchécoslovaquie qui, le 1er janvier 1993, s'est disloquée de façon civile, sans coup de feu ni éclat de voix, sans même un référendum, en deux États, la république tchèque et la Slovaquie. Ils y voient un exemple à suivre et font remarquer que les conflits entre Flamands et Wallons n'ont - pour l'instant - causé aucun mort.
La Tchécoslovaquie, comme son nom l'indique, est une création artificielle de la Grande Guerre de 14-18, qui a rapproché l'ancien et prestigieux royaume de Bohème, élément central du Saint Empire romain germanique, de la pauvre Slovaquie, région des Carpathes, à la périphérie du royaume de Hongrie. Bien que proches par la langue, ces deux entités se sont tourné le dos pendant près de mille ans, y compris sous le régime de l'Autriche-Hongrie. Leur « divorce de velours » était donc inéluctable.
Rien de tel avec les Flamands et les Wallons. Bien que de langues différentes (comme les Canadiens, les Suisses, les Indiens et bien d'autres peuples de par le monde), ils partagent le même destin depuis le haut Moyen Âge. Ils ont brillé ensemble dans le commerce, l'industrie et les arts. Ils ont combattu ensemble les Capétiens puis les Habsbourg d'Autriche.
Même si une majorité de Belges s'opposent encore à la séparation des deux régions, celle-ci apparaît de plus en plus probable sous la pression de minorités déterminées (l'indépendance des États-Unis, le renversement de la monarchie française en 1792 et la révolution bolchevique de 1917 furent aussi le fait de minorités déterminées !).
Cette séparation aboutirait à la création d'un État flamand, très riche... et très industriel. Autour du port d'Anvers, sur une superficie équivalente à deux départements français, il abriterait six millions d'habitants, soit la plus forte densité de l'Union européenne à part Malte !
La Wallonie (3 millions d'habitants) et Bruxelles (1 million d'habitants) auraient le choix soit de se transformer en un autre État indépendant et, pourquoi pas ? un district européen dans le style de Washington DC, soit de se rattacher à la France. Un mouvement « rattachiste » plaide dans ce sens.
Il n'est pas sûr que les Wallons et même les Flamands y trouvent leur compte.
Partie intégrante de l'Union européenne, pour le meilleur et pour le pire, les Flamands devront continuer de faire acte de solidarité avec les membres les plus pauvres, y compris la Wallonie... L'aide aux États du littoral méditerranéen et l'entrée de la Turquie sous-développée, que nous promettent nos éminents dirigeants, leur feront paraître légère l'aide qu'ils accordent aujourd'hui à leurs concitoyens francophones.
Du fait de leur démographie - 2% de la population de l'Union européenne -, les Flamands ne pèseront plus d'aucun poids dans les décisions de la Commission européenne... Ils se consoleront avec leurs propres ambassades et leur drapeau devant le siège de l'ONU !
L'affaire ne se limite pas à la Belgique. Une dislocation de celle-ci relancerait les velléités indépendantistes d'autres régions européennes pour les mêmes raisons : nationalisme exacerbé et refus de solidarité avec les concitoyens plus pauvres.
Par un effet domino, dans les deux ans qui suivraient la naissance d'une Flandre indépendante, on verrait sans doute surgir une Catalogne indépendante puis, peu après, un Pays basque et une Écosse indépendants. Ces trois régions sont, après la Flandre, les plus engagées dans la voie de l'autonomie et de l'indépendance.
La dislocation des États historiques qui ont fait l'Europe s'arrêterait-elle là ? Pas sûr. En Italie comme en France, les mouvements régionalistes seraient encouragés à pousser les feux. Au final, c'est toute l'Europe qui se disloquerait et perdrait ses fondements : la paix et la solidarité.
Les indépendances nouvelles consacreraient la victoire du communautarisme et l'échec de la tentative amorcée il y a un demi-siècle de faire vivre ensemble des peuples de langues et de cultures différentes. Mauvais présage...
« Pour la Belgique comme pour l'Europe, la question, au fond, se résume ainsi : sommes-nous capables de vivre et de travailler ensemble avec nos différences ? Sommes-nous capables de reconnaître ce qui nous unit comme plus important que ce qui nous sépare ? Si Flamands et Wallons - qui partagent beaucoup - n'y parviennent pas, on ne pourra pas être optimiste pour l'avenir de l'Europe », écrit l'éditorialiste de La Croix, Guillaume Goubert (21 septembre 2007).
Dans le même sens, Le Monde (11-12 novembre 2007) écrit : « Obnubilée par ses aspirations régionalistes, la Flandre n'a pas voulu prendre en compte le symbole que représente la Belgique : carrefour des langues et des cultures, le pays a longtemps fait figure de véritable laboratoire pour l'Union européenne et les valeurs qu'elle promeut ». Ajoutons que la Belgique a été, avec Paul-Henri Spaak, pionnière de la construction européenne et du traité de Rome dans les années 1950.
Autant dire que la situation politique de la Belgique concerne tous les Européens et en premier lieu les chefs d'État et de gouvernement qui siègent au Conseil de l'Union. Il appartient à ceux-ci de soutenir les modérés dans la recherche d'un compromis et d'avertir les ultras qu'ils mettront tout en oeuvre contre le cancer du nationalisme et du communautarisme.
On entend d'ici les objections des tartuffes : l'Europe ne doit pas intervenir dans les affaires intérieures des États membres ; elle doit respecter le suffrage universel !...
Quand, en 2000, le populiste Jörg Haider est entré dans le gouvernement autrichien, Vienne a été mise au ban de l'Union européenne et menacée de sanctions diverses.
Plus près de nous, les Français et les Néerlandais, consultés par référendum, ont rejeté à une écrasante majorité le traité constitutionnel européen. C'était au printemps 2005. Deux ans après, le même traité ressurgit sous l'appellation de « traité modificatif », avec les mêmes composantes à l'exclusion de quelques incongruités (références au drapeau, à l'hymne, à la devise et aux valeurs de l'Europe !). Cette fois, plus question de référendum (sauf en Irlande). Les dirigeants européens, dans leur infinie sagesse, se satisfont d'une ratification par la voie parlementaire.
Ces exemples montrent que les dirigeants européens n'hésitent pas à intervenir dans les affaires intérieures des États membres et savent, quand l'enjeu en vaut la peine, contourner le suffrage universel.
Le sort de la Belgique en vaut-il la peine ? À en juger par le silence assourdissant des instances européennes, on est en droit de croire que non.
ll est vrai que le séparatisme flamand ne met pas en cause la seule chose qui semble compter aux yeux de nos dirigeants, héritiers indignes de Jean Monnet et Paul-Henri Spaak : la libre circulation des capitaux et des marchandises et la « concurrence libre et non faussée ». Que pèsent à côté de ces valeurs-là l'héritage de Charles Quint, Rubens, Memling, Thyl l'Espiègle et Hergé... ?
La pomme de discorde de l'arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), bilingue français/flamand, mais enclavé en Flandre, divise encore et toujours la Belgique. Le gouvernement d'Yves Leterme a dû démissionner et des élections législatives anticipées sont organisées le dimanche 13 juin 2010.
Dans une Union européenne moribonde, au bord du collapsus économique, avec des dirigeants aux abonnés absents, le triomphe prévisible des séparatistes flamands fait écho aux succès électoraux d'un parti anti-immigrationniste aux Pays-Bas et des ultranationalistes en Hongrie...
Un « vent mauvais » souffle sur le Vieux continent. Auprès de la tornade qui s'annonce, les Katrina et autre Xinthia feront l'effet de doux zéphirs. À la différence de ces dernières, cette future tornade aura été la conséquence du choix des citoyens, qui n'auront pas su ni voulu se défaire des politiques et des dirigeants défaillants...
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Voir les 18 commentaires sur cet article
Montreal (07-08-2009 04:10:47)
1) La richesse de la Flandre s'est développée principalement après 1940. Est-ce que la décision des nazis de libérer tous les prisonniers capables de parler une langue germanique (à part une cen... Lire la suite
Jeanine (21-07-2008 17:03:50)
Bonjour! Je viens de lire les commentaires différents que vous publiez, mais personne ne parle de ce que deviendrait Bruxelles... Imagine-t-on BXL "rattaché" à la France? Moi, je suis wallone, avec... Lire la suite
Jules Boulard (21-05-2008 22:39:32)
Le consensualisme politique appliqué en Belgique durant plusieurs générations, différent des principes dits démocratiques de la majorité, a permis un équilibre, fragile certes, mais pertinent e... Lire la suite