La République de Weimar

Mauvaise étoile

Nous avons lu La République de Weimar par Horst Möller (Tallandier, 2011, 9,5 euros).

Cet ouvrage de bon ton laisse une impression rafraîchissante et ouvre de singulières perspectives pour les Français confrontés aux soubresauts de la Ve finissante...

La République de Weimar

L'historien Horst Möller déroule l'histoire d'une République qui traversa bien des heurts entre 1919 et 1933, durée comparable à celle de la IVe République française.

La République de Weimar naquit sur un mensonge, celui du grand état-major allemand du Maréchal Hindenburg et du général Luddendorf, qui firent porter au dernier moment la responsabilité de la défaite sur les civils. Pour obtenir la création d'une démocratie parlementaire, des hommes politiques comme Erzberger acceptèrent de signer l'armistice de 1918 puis le traité de Versailles de 1919, aussitôt dénoncés comme «coup de poignard dans le dos» par les mêmes militaires allemands qui avaient auparavant reconnu en privé la défaite de leurs armées.

Ce tour de passe-passe minera d'entrée de jeu l'image intérieure de la République de Weimar, qui sera le jouet des démagogues de tout poil. Il en résultera une atmosphère hystérique, avec l'assassinat de responsables politiques importants comme le vice-chancelier Matthias Erzberger, le ministre des affaires étrangères Walter Rathenau et le ministre bavarois Kurt Eisner, ou la mort d'épuisement après des campagnes de calomnie du président de la république Friedrich Ebert et du ministre des affaires étrangères Gustav Stresemann.

La République de Weimar dut se garder sur sa gauche, avec l'insurrection des spartakistes qui aboutit à l'assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, et sur sa droite avec les menées subversives permanentes de formations démagogues comme le parti national socialiste d'Adolf Hitler. Trois partis politiques modérés s'associèrent pendant une dizaine d'années pour former des gouvernements de coalition aptes à dégager une majorité au Bundestag, dans une lecture parlementaire normale de la Constitution de Weimar.

Weimar comme la Ve République ?...

Lorsque ni cette coalition centriste ni aucune autre ne furent plus en mesure de recueillir une majorité parlementaire, la République commença à fonctionner cahin-caha avec des chanceliers nommés par le président Hindenburg et gouvernant par décrets, imposant ainsi une lecture présidentielle imprévue de la même Constitution.

Cette dualité de lectures n'est donc pas simplement le fait de l'actuelle Ve République française, mais l'ordre était inversé dans le cas de Weimar avec une lecture normale parlementaire qui devenait présidentielle en cas de blocage, à l'inverse de notre actuelle Constitution.

Les modes de fonctionnement exceptionnels ne sont jamais destinés à perdurer : de même que les périodes de cohabitation françaises constituent des exceptions limitées dans le temps, de même la période présidentielle de Weimar ne dura-t-elle que 3 ans jusqu'à la mort d'Hindenburg, qui permit à Hitler récemment nommé Chancelier de ramasser la mise en évitant de procéder à l'élection d'un nouveau Président.

Hitler avait obtenu sa nomination à la Chancellerie grâce à la montée permanente des résultats électoraux de son parti, bien qu'il n'attînt jamais à lui seul la majorité au Bundestag, dans un atmosphère électorale d'une violence que nous avons peine à imaginer aujourd'hui.

Cette tension résultait d'une crise économique quasi-continue : après la signature du traité de Versailles suivie de la discussion des plans de paiement successifs des réparations (plan Dawes, plan Kellog, etc), l'occupation de la Ruhr et l'inflation galopante puis les conséquences de la crise de 1929 ne laissèrent jamais aucun répit à des gouvernements en butte à un mécontentement général.

Ce que nous appelons aujourd'hui la «société civile» était déchirée par le fait que les millions d'anciens combattants revenus du front, loin d'être honorés comme en France et au Royaume-Uni, étaient considérés comme une gêne car leur existence et leur fréquente misère ne faisaient que rappeler la défaite de 1918. Les partis coalisés pour exercer le pouvoir représentaient avant tout la génération précédente, avec des hiérarques cinquantenaires ou soixantenaires, quand ils n'étaient pas octogénaires dans le cas d'Hindenburg. La génération suivante des anciens combattants, âgés de 30 à 40 ans au début des années 1930, vivait avec l'impression d'avoir été doublement sacrifiée par la guerre puis par la paix qui avait suivi.

Horst Möller explique la montée du parti national socialiste par ce conflit de générations : le parti nazi, créé par des hommes jeunes et non par des dirigeants d'avant-guerre, donnait l'impression de représenter la nouvelle génération et de lui ouvrir enfin la possibilité d'accéder aux responsabilités abusivement occupées par des gérontes.

Voilà qui nous ramène à nouveau aux temps français actuels, avec le débat ouvert par des sociologues comme Louis Chauvel sur le conflit entre la génération des anciens soixante-huitards et celle des tranches d'âge plus jeunes, sacrifiées depuis 15 à 20 ans par la crise économique et qui finissent par trouver leur exutoire politique dans la montée du parti d'extrême-droite français.

L'auteur fut un collaborateur du président de la République allemand Walter Scheel avant de devenir professeur associé à la Sorbonne puis à Sciences Po Paris.

Michel Psellos
Publié ou mis à jour le : 2020-05-09 11:37:09

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