4 février 2024. L'abaissement des frontières a plongé l'agriculture du Vieux Continent dans une crise irrémédiable tout en compromettant la souveraineté alimentaire des Européens et la qualité de leur alimentation. L'agronome Marc Dufumier dénonce l'impasse de cette politique et propose une alternative inspirée par ses travaux de chercheur et de praticien...
Les paysans français ont vraiment de bonnes raisons d’être mécontents. Malgré une loi Egalim qui est censée leur garantir des prix de vente relativement stables et rémunérateurs, la plupart d’entre eux ne parviennent pas à dégager un revenu suffisant pour couvrir les besoins de leurs familles et rembourser les emprunts auxquels ils ont eu recours pour équiper très lourdement leurs exploitations.
Les aides de la politique agricole commune, conditionnées par le respect de normes environnementales et sanitaires, souvent tatillonnes, ne parviennent souvent plus à leur assurer un revenu décent. Et cela explique sans doute très largement pourquoi les agriculteurs présentent un risque de suicide accru de 43% par rapport aux assurés de l’ensemble des régimes de sécurité sociale (note).
Pour contourner la fameuse loi Egalim, la grande distribution et les industries agroindustrielles n’hésitent pas à mettre nos agriculteurs en concurrence avec des importations d’un grand nombre de denrées alimentaires (fruits, légumes, poulets, viandes bovines, etc.) produites à moindres coûts à l’étranger.
D’où le fait que la profession agricole dénonce désormais certains accords de « libre-échange » et réclame une plus grande protection de notre marché intérieur. Mais il nous faut reconnaître que de nombreuses productions standards pour lesquelles nous exportons des excédents sont elles aussi de moins en moins rentables face à la concurrence internationale.
Comment nos blés dont le rendement moyen atteint les 72 quintaux à l’hectare, à des coûts souvent considérables en intrants manufacturés, pourraient-ils être en effet compétitifs avec ceux produits à grande échelle dans les immenses exploitations d’Ukraine ou de Roumanie ? Comment des poulets bas de gamme nourris avec du maïs et du soja brésilien pourraient-il rivaliser avec ceux élevés au Brésil ? Comment de la poudre de lait produite dans le Finistère et destinée à être exportée vers la Chine pourrait-elle devenir concurrentielle avec celle des grands troupeaux laitiers de Nouvelle Zélande où les vaches peuvent être conduites à l’herbage durant presque toute l’année ?
Le constat est accablant : Nos agriculteurs ont été trompés. Ce fut une très grave erreur de les inciter, dans la France des mille et un terroirs, à mettre en œuvre des formes d’agricultures industrielles, avec des subventions accordées en proportion des surfaces disponibles, et non pas en fonction du travail requis.
De façon à répondre aux exigences formulées par les grandes entreprises agroalimentaires et rester compétitifs dans une course incessante à la diminution des coûts et à l’accroissement de la productivité, nos agriculteurs ont été bien souvent contraints de spécialiser et moto-mécaniser toujours davantage leurs systèmes de production, de façon à fournir massivement une gamme limitée de produits standards.
Cela a eu pour conséquence d’homogénéiser et fragiliser exagérément les agroécosystèmes et de causer ainsi de très graves dommages à notre environnement : invasions intempestives d’espèces concurrentes ou prédatrices, épidémies provoquées par de nouveaux agents pathogènes, pollutions chimiques occasionnées par l’usage inconsidéré de produits pesticides et d’engrais azotés de synthèse, érosion de la biodiversité domestique et sauvage, surmortalité d’insectes pollinisateurs, moindre qualité sanitaire des aliments, dépendance accrue à l’égard de l’emploi d’énergies fossiles, émissions croissantes de gaz à effet de serre (gaz carbonique, méthane et protoxyde d’azote) (note), fertilité des sols en déclin, effondrement des nappes phréatiques, etc.
Et nous payons d’ores et déjà très cher ces atteintes à notre environnement : présence d’antibiotiques dans la viande, résidus pesticides dans les fruits et légumes, intoxications alimentaires et respiratoires, prévalence accrue de certains cancers, algues vertes sur le littoral breton, coûts financiers des mesures de dépollution, etc.
Nous savons par ailleurs qu’avec le réchauffement climatique global, les accidents climatiques extrêmes (canicules, sécheresses, inondations, grêles, etc.) vont devenir de plus en plus intenses, et de plus en plus fréquents. Mais rien n’a encore malheureusement été vraiment entrepris pour aider ces mêmes agriculteurs à y faire face. La spécialisation exagérée de leurs systèmes de production a au contraire pour effet de rendre nos paysans de plus en plus vulnérables face à de tels évènements, du fait que leurs revenus peuvent épisodiquement chuter dans des proportions considérables.
Les promesses de l’agroécologie
Il existe fort heureusement des systèmes de production agricole relevant de l’agroécologie qui permettraient d’ores et déjà à nos agriculteurs de s’assurer des revenus résilients sans avoir recours à des produits pesticides et des engrais azotés de synthèse.
Il s’agirait bien sûr en premier lieu d’avoir recours à un plus grand nombre de variétés végétales et races animales tolérantes aux ravageurs et agents pathogènes locaux. Mais pour vraiment adapter notre agriculture aux dérèglements climatiques en cours, il faudrait aussi et surtout diversifier davantage les activités au sein même des fermes.
À l’opposé de la monoculture ou des élevages en batteries, les systèmes de production agricole qui parviennent à associer divers types d’élevages à la mise en œuvre de rotations et assolements diversifiés sont ceux qui assurent une plus grande résilience des revenus, du fait de ne « pas mettre tous les œufs dans le même panier ».
La multiplication des cultures avec des plantes dont les dates de semis et de récoltes interviennent à des périodes différentes de l’année a pour avantage de faire en sorte qu’elles ne soient pas toutes pareillement affectées en cas d’accidents climatiques extrêmes (canicules, sécheresses, mais aussi : grêles, gelées, inondations, etc.).
Avec une telle diversification, les organismes les plus susceptibles de nuire aux cultures ou aux troupeaux ne pourraient plus proliférer subitement comme une traînée de poudre, du fait des barrières imposées par d’éventuels concurrents ou prédateurs.
Ainsi pourrait-on ne pas devoir éliminer les pucerons avec des insecticides si les syrphes et les coccinelles venaient à en limiter la prolifération. De même pourrait-il en être de même avec les limaces si les champs parvenaient encore à héberger des carabes et des hérissons. Quant aux larves du carpocapse (les vers de la pomme), elles seraient aisément neutralisées si les haies champêtres hébergeaient des mésanges bleues et des chauves-souris s’attaquant aux papillons de nuit.
La bonne nouvelle est que ce sont ces mêmes systèmes de production diversifiés qui peuvent aussi contribuer à l’atténuation du dérèglement climatique avec de moindres émissions de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote) et une séquestration accrue de carbone dans la biomasse et l’humus des sols. À l’opposé des principes mêmes de l’agriculture industrielle qui incitent nos agriculteurs à recourir toujours davantage aux engins motorisés, aux produits pesticides et aux énergies fossiles. Mais cela, il est vrai, au prix d’un travail plus soigné et bien plus important.
Cette agriculture peut donc être intensive en emplois. Mais encore faut-il que les paysans qui la mettent en œuvre puissent être correctement rémunérés par les pouvoirs publics pour leurs services environnementaux d’intérêt général. Le surcoût en travail ne doit en effet surtout pas être totalement à la charge des consommateurs. Car seules les couches sociales les plus aisées seraient alors en mesure de s’assurer une alimentation de grande qualité nutritionnelle et sanitaire.
Pourquoi les populations aux revenus modestes n’auraient-elles pas aussi le droit d’y avoir accès, du fait que les bons produits en question seraient vendus plus chers ? Le paiement des services environnementaux d’intérêt général doit logiquement être réalisé par les contribuables. Et les paysans ainsi correctement rémunérés seraient en mesure de modifier leurs systèmes de production avec pour effet de fournir des volumes accrus de bons produits. Cette offre accrue deviendrait alors accessible au plus grand nombre.
Il est donc urgent de modifier radicalement notre politique agricole commune : Ne plus accorder de subventions en proportion des surfaces exploitées et rémunérer plutôt le surcroît de travail qu’exigent ces formes d’agricultures artisanales relevant de l’agroécologie, bien respectueuses de notre santé et de notre environnement. Mais qu’est-ce qu’on attend ?
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Voir les 18 commentaires sur cet article
Gramoune (21-02-2024 15:40:12)
Cet article est la copie-conforme de ce qu'on peut trouver dans des journaux de droite comme de gauche. Et comme partout, on évite d'aborder les OGM et les nouveaux "ogm" car ces semences là ne nÃ... Lire la suite
Cécil Artheaud (08-02-2024 05:47:55)
Entièrement d'accord avec Daniel Adam-Salamon, l'agriculture moderne est le pur produit du capitalisme dont le seul et unique but est le profit. J'ajoute que la réforme de l'agriculture dans le sen... Lire la suite
Neveux (07-02-2024 15:08:49)
Approche intéressante avec un mécanisme d’aide mais on reste sur un système de subvention avec des effets pervers.
Faut-il aider le producteur ou le consommateur ?