Homosexualité et Shoah

Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie

Pour la première fois en France, une exposition organisée par une importante institution culturelle évoque le sort des homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie. Cet événement est organisé par le Mémorial de la Shoah (17 rue Geoffroy-l’Asnier, 750004 PARIS) du 17 juin 2021 au 6 mars 2022.
Mickaël Bertrand, auteur de La déportation pour motif d'homosexualité en France, a établi que 62 Français ont été envoyés dans des prisons et des camps allemands au titre du motif 175 (homosexualité). Il revient ici sur l'exposition du Mémorial de la Shoah. 

De l’insouciance à la persécution

Organisé en 10 étapes, le parcours de cette exposition s’étend sur l’ensemble du XXe siècle et permet de retracer l’histoire mouvementée d’homosexuels et lesbiennes qui ont porté l’espoir d’une émancipation dans les années folles avant de voir s’abattre sur eux le poids d’une homophobie latente, d’abord dans les discours, puis dans les actes, appuyés par un arsenal juridique de plus en plus répressif. 

Le bar Eldorado à Berlin, Bundesarchiv, 1932.L’Europe des années 1920 est en effet considérée comme un eldorado pour les mouvements homosexuels qui se multiplient dans plusieurs pays, et notamment en Allemagne. L’Eldorado est d’ailleurs le nom du plus célébre club homosexuel de Berlin à cette époque.

Personnalités et touristes s’y bousculent pour y voir des spectacles de travestis et participer à ce bouillonnement culturel et festif qui accompagne l’émergence d’une visibilité homosexuelle dans tous les domaines artistiques : en littérature avec la publication du Corydon d’André Gide en 1924, au cinéma avec le film Anders als die Andern de Richard Oswald en 1919, ou encore dans de nombreuses revues et journaux tels que Inversions en France et Die Freundin en Allemagne. 

Cette première partie de l’exposition, nourrie par de nombreux documents, est particulièrement marquée par les travaux de Florence Tamagne, commissaire de l’exposition et maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Lille, qui a consacré sa thèse à l’histoire de l’homosexualité durant l’entre-deux guerres. 

Le paragraphe 175 du code pénal adopté en 1871 et qui pénalise “la débauche contre nature [...] commise entre personnes de sexe masculin ou entre êtres humains et animaux” est certes toujours en vigueur en Allemagne mais un graphique visible dans l’exposition nous permet de constater que cette disposition n’est quasiment plus mobilisée par les juges. D’ailleurs, le Comité scientifique humanitaire du célèbre sexologue Magnus Hirschfeld milite activement pour son abrogation. 

C’est justement l’une des raisons pour lesquelles son Institut de sexologie est attaqué par les nazis, quelques semaines seulement après l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. 

Le mur du souvenir au camp de concentration de Natzwiller-Struthof avec la plaque à la mémoire des victimes de la barbarie nazie, déportées pour motif d’homosexualité, © Claude Truong-Ngoc (Wikimedia Commons).

Histoire et mémoires des déportés pour motif d’homosexualité 

Cet événement est symbolique d’un tournant radical dans le sort des homosexuels et lesbiennes en Allemagne, puis en Europe. En parallèle du saccage de l’Institut Hirschfeld, les clubs sont fermés, les revues sont interdites et les mouvements sont dissous. La subculture homosexuelle qui s’était progressivement développée pendant des années est brutalement détruite en seulement quelques mois. 

Adolf Hitler et Ernst Röhm en 1933, Bundesarchiv.L’élimination d’Ernst Röhm, fondateur de la SA et proche d’Hitler, lors de la « Nuit des longs couteaux » en 1934 constitue également une étape importante dans la répression de l’homosexualité. Bien qu’il soit assassiné pour des raisons politiques afin d’unifier le parti nazi, son éviction est officiellement justifiée par des considérations morales.

Son homosexualité qui n’avait jamais posé de problème jusqu’à présent devient dès lors inacceptable et justifie toute une série de nouvelles répressions : le paragraphe 175 est renforcé en 1935 pour condamner désormais toute expression de désir entre hommes. Un an plus tard, un Office central du Reich pour combattre l’homosexualité et l’avortement est créé au sein du bureau de la police criminelle du Reich. 

Ces nouvelles dispositions se traduisent par une importante augmentation du nombre de condamnations, conduisant des milliers d’homosexuels en prison et parfois en camp de concentration afin d’y être “rééduqués” par le travail. Selon les estimations de plusieurs historiens, environ 50 000 homosexuels ont fait l’objet d’une condamnation par le régime nazi à cette période. Parmi eux, entre 5000 et 15 000 ont été envoyés en camp de concentration, où la plupart périrent en raison des conditions de détention inhumaines malgré l’absence de volonté explicite d’exterminer les homosexuels. 

Si ces chiffres sont aujourd’hui officiellement reconnus, l’exposition consacre ces deux dernières étapes à la longue quête de reconnaissance d’une persécution des homosexuels et des lesbiennes à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans certains pays, le contexte législatif répressif a perduré pendant plusieurs décennies, empêchant les victimes de réclamer une réparation ; dans d’autres cas, les traumatismes ont été tellement profonds qu’ils ont fini par se murer dans le silence avant que de nouvelles générations de militants commencent à s’interroger sur les expériences de leurs prédécesseurs à partir des années 1970 et 1980. 

Une exposition modeste mais rigoureuse

Aussi attendue soit-elle, cette exposition reste modeste et classique dans sa mise en œuvre. Elle est réduite à une salle au troisième étage de Mémorial de la Shoah et se limite pour l’essentiel à des vitrines et panneaux traditionnels, en décalage avec les compétences muséographiques et pédagogiques dont peut faire preuve cette institution en d’autres circonstances. Il n’en demeure pas moins que son contenu constitue un condensé des connaissances actuelles dans ce domaine, parfaitement synthétisé par la rigueur des travaux de Florence Tamagne, Arnaud Boulligny, Suzette Robichon, Jean-Luc Schwab, Frédéric Stroh et Mickaël Studnicki. 

Le triangle rose est l'insigne des prisonniers homosexuels dans les camps de concentration allemands. Agrandissement : tableau du système de marquage pour l'ensemble des prisonniers (1930).Il convient notamment de noter la place importante accordée aux lesbiennes dans cette exposition, alors que ces dernières ont souvent été encore davantage invisibilisées que les homosexuels dans l’historiographie. Certes, à l’exception de l’Autriche, le lesbianisme n’était pas criminalisé et les femmes n’ont pas porté le triangle rose. Cela ne signifie pas cependant qu'elles n’ont pas été persécutées et l’exposition permet de découvrir de nombreux parcours de femmes dénoncées, exilées, humiliées, prostituées, et contractant parfois des mariages blancs pour échapper à une condamnation. 

Ces “parcours de vie” constituent d’ailleurs l’un des autres points forts de cette exposition. Chaque étape est en effet ponctuée de plusieurs notices biographiques permettant d’incarner le propos par l’intermédiaire d’exemples précis d’homosexuels et lesbiennes dont nous pouvons découvrir les visages. Chacun de ces noms, accompagnés d’une courte présentation, contribue ainsi à atténuer l’invisibilisation dont ont été victimes ces acteurs de l’histoire. 

L’historien Frédéric Stroh nous rappelle cependant en conclusion qu’il reste encore beaucoup de travail dans ce domaine. Bien que cette exposition ait l’ambition de proposer un bilan du sort des homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie, l’essentiel du propos se concentre néanmoins sur le contexte allemand, non seulement car il s’agit des territoires pour lesquels nous disposons de davantage de documents, mais aussi en raison du manque d’investissement et de soutien des études de genre et de l’histoire des homosexualités.

De nombreuses erreurs véhiculées pendant plusieurs décennies, notamment autour de la déportation pour motif d’homosexualité à partir des territoires français, s’expliquent pourtant par une démarche comparative avec la réalité allemande quand le contexte juridique et culturel français était totalement différent, mais moins étudié. Il reste dès lors de nombreuses pistes à explorer, notamment autour des homosexuels résistants, collaborateurs et attentistes dont les parcours ont été largement effacés derrière la focalisation des débats sur les homosexuels et lesbiennes déportés. 

Publié ou mis à jour le : 2022-03-23 12:38:21

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