Chiisme et politique au Moyen-Orient

Le retour des laïcs

Nous avons lu pour vous Chiisme et politique au Moyen-Orient : : Iran, Irak, Liban, monarchies du Golfe (Perrin, collection Tempus, 8 euros, 188 pages, décembre 2009), par Laurence Louër, docteure en sciences politiques, chercheuse au CNRS.

L'auteur observe l'émergence de logiques nationales dans le monde chiite...

Chiisme et politique au Moyen-Orient

Pour beaucoup d'Occidentaux, la connaissance du chiisme se limite à l'image d'Épinal de l'ayatollah Khomeiny et de son turban noir, archétype du religieux qui exerce un pouvoir temporel.

Dans son livre Chiisme et politique au Moyen-Orient, Laurence Louër évoque de façon très éclairante - quoique parfois un peu pointue pour le lecteur ordinaire - les relations entre sphère politique et sphère religieuse dans les pays majoritairement chiites de la région : Iran, Irak, Liban, mais aussi Oman, Koweït et Bahreïn.

Elle rappelle que c'est Khomeiny qui a systématisé la doctrine du wilayat al-faqih, selon laquelle, dans l'attente du douzième imam qui doit venir à la fin des temps, le gouvernement peut être exercé par les savants religieux (les oulémas). Un point de vue qui ne fait pas l'unanimité parmi les clercs chiites, chez lesquels existe également une tradition quiétiste, pour laquelle le clergé doit se tenir à l'écart de l'exercice du pouvoir.

Au fil des pages, on apprend que les séminaires de Qom (Iran), Najaf et Karbala (Irak) se livrent une forme de compétition en cherchant à imposer chacun leur propre «doxa» chiite, à travers les marja : des clercs proclamés «sources d'inspiration» auxquels les chiites doivent se référer.

La cohabitation de plusieurs marja oblige les communautés chiites des différents pays à se référer à l'un plutôt qu'à l'autre, à al-Sistani ou à Khamenei, par exemple. Khamenei n'est pas connu pour l'étendue de son savoir en théologie, mais il offre aux étudiants des séminaires de Najaf des salaires plus élevés que son rival, pour «gagner des parts de marché» parmi les chiites irakiens, explique Laurence Louër.

Une logique de relocalisation

Aujourd'hui, la chercheuse voit cependant à l'œuvre une logique de relocalisation des mouvements politique chiites dans chacun des pays étudiés. Alors que ces mouvements s'étaient construits sur une dynamique de réseaux transnationaux, en obédience à une marja ou une autre, ils s'inscrivent aujourd'hui surtout dans des problématiques nationales. Une évolution qui contredit l'idée reçue d'une influence grandissante de l'Iran dans la région.

Ainsi, en Irak, le chiite Muqtada al-Sadr n'est pas pro-iranien mais, paradoxalement, un produit du nationalisme irakien de la période bassiste, souligne-t-elle.

Au Barhein, le pouvoir (sunnite) fait tout pour convaincre la communauté internationale qu'il est victime de l'irrédentisme de son grand voisin iranien alors que les mouvements d'opposants chiites protestent surtout contre le caractère non-démocratique du pouvoir et leur marginalisation dans la société

En Arabie Saoudite, les principales zones de peuplement chiite coïncident avec celles qui renferment les réserves d'hydrocarbures. Après la révolution iranienne, les mouvements chiites saoudiens rêvaient d'un État chiite réunissant ces régions et les chiites du Bahreïn. Mais depuis quelques années, ils ont au contraire choisi de soutenir la monarchie wahhabite en place et de lui demander une forme de représentation. Le régime a réagi favorablement et reconnu une place aux chiites en 2003, ce qui n'empêche pas la discrimination à l'embauche de demeurer forte à l'égard de cette minorité.

On assisterait aussi à une « libanisation» du Hezbollah, qui participe à des coalitions gouvernementales depuis 2005, tout en tendant plus à rester un État dans l'État qu'à s'emparer du pouvoir politique.

Sécularisation et millénarisme

D'après l'auteur, la logique à l'œuvre chez les chiites du Moyen-Orient n'est pas seulement celle de l'autonomisation par rapport aux centres traditionnels que sont l'Iran et l'Irak, mais plus généralement une autonomisation du politique vis-à-vis du religieux.

De plus en plus multipolaire, le chiisme serait également en voie de se séculariser et le clivage entre effendis (cadres laïcs d'un mouvement islamiste chiite) et oulémas de s'élargir. L'auteur va même jusqu'à parler de «sunnitisation» des conceptions politiques chiites : pour certains chiites, méfiants à l'égard du clergé, nul n'est besoin d'un gouvernement des oulémas pour que Dieu et le croyant communiquent ! Les avis des marja sont par conséquent de moins en moins considérés comme ayant force de loi.

Toutefois, sécularisation ne signifie pas modération des discours et des actes. La sécularisation et la méfiance vis à vis du clergé s'accompagneraient même d'un regain de millénarisme, sensible par exemple chez Muqtada al-Sadr en Irak et le président Ahmadinejad en Iran, à travers des références au Madhi, le 12e imam occulté par Dieu. Millénarisme et populisme font d'ailleurs souvent bon ménage.

Béatrice Roman-Amat
Publié ou mis à jour le : 2019-04-30 00:36:18

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