Kamikaze

Automne 1944... le Japon lance ses premières missions suicides

Constance Sereni et Pierre-François Souyri nous éclairent sur l'un des aspects les plus troublants de la guerre du Pacifique, le recours aux Kamikaze (Flammarion, 2015, 254 pages, 22€).

Kamikaze

À la fin 1944, quand la défaite est devenue inéluctable, l'état-major japonais a recruté les premières « unités spéciales d'attaque ». Rien moins que des bombes humaines lancées contre les navires de guerre américains.

À défaut de dommages importants, ces jeunes aviateurs délibérément sacrifiés par leur hiérarchie vont provoquer chez l'ennemi une psychose sans précédent.

Les Américains veulent y voir la preuve que les Japonais sans exception sont prêts à se battre jusqu'à la mort et se suicider pour l'honneur du pays et de son Empereur. D'où leur conclusion que la capitulation du Japon, en dépit de son extrême faiblesse, pourrait se révéler très coûteuse en vies humaines (américaines)... à moins d'employer la bombe atomique.

La réalité est infiniment plus nuancée ainsi que le montrent Constance Sereni et Pierre-François Souyri, deux remarquables connaisseurs et historiens du Japon.

C'est le 19 octobre 1944 que le vice-amiral Onishi Tajukiro a décidé de créer sous le nom de Shinpu ou Kamikaze (« vent divin ») un nouveau groupe aérien dont le but serait de permettre à des avions portant une bombe de 250 kg de s'écraser sur les navires ennemis.

Les pilotes sollicités pour cette mission ne l'accueillent pas avec un franc sourire mais avec une triste résignation, sous la pression de la hiérarchie et du groupe, avec la crainte qu'un refus affecte la réputation de leurs proches et les déshonore.

Suicide de rigueur

Cette pression se reflète dans le « code de conduite du combattant » publié en janvier 1941 par le ministre de l'Armée Tojo Hideki : « Il n'y a pas de plus grande honte que de tomber vivant aux mains de l'ennemi... »

L'illustration en est apportée par la bataille d'Attu, un îlot de l'archipel américain des Aléoutiennes. La garnison japonaise qui l'occupe est assaillie par l'ennemi du 1er au 30 mai 1943. Acculée, elle se jette dans un assaut désespéré qui fait 600 morts et blessés chez les Américains. Les Japonais eux-mêmes sont presque tous tués ou se suicident (28 captifs seulement pour 2351 morts). Leur héroïsme est célébré par la propagande et ils sont joliment qualifiés de gyokusai (« joyaux se brisant en mille éclats »).

D'autres combats témoignent d'une égale âpreté. Le 9 juillet 1944, sur l'île de Saipan, les assaillants américains assistent effarés au suicide non seulement des combattants ennemis mais aussi des îliens qui se jettent par familles entières du haut des falaises.

Des jeunes filles saluent les pilotes qui partent pour leur dernière mission

Aviateurs au rabais

Dans l'aviation japonaise, le premier cas de mort volontaire répertorié par les Américains remonte au 26 octobre 1942, quand un pilote à court de carburant choisit délibérément de se jeter sur le pont d'un navire ennemi. Il s'agit d'un cas particulier très éloigné des groupes d'attaque mis en place par Onishi Tajukiro...

Sourire de rigueur pour cette photo de propagande de très jeunes kamikaze sur le départUn certain rituel accompagne les aviateurs sur le départ, avec photo, sourire de rigueur, verre d'alcool et salutations de jeunes filles. L'état-major met à leur disposition les très redoutés avions de chasse Zéro de la firme Mitsubishi.

La première attaque kamikaze a lieu à l'occasion de la bataille de Leyte, au large de l'île de Luçon (Philippines). Elle coule un porte-avions d'escorte rescapé de la bataille de Midway, l'USS St Lô. Mais ce succès nippon est trompeur : le navire a coulé parce que la bombe a touché une réserve de munitions par une extraordinaire malchance.

Par la suite, les attaques suicide donnent des résultats mitigés. Plusieurs dizaines de navires subissent des impacts. Quelques-uns sont gravement endommagés ou coulés, dont les porte-avions d'escorte Ommaney Bay et Bismarck Sea.

L'aéronavale japonaise, toutefois, manque très vite d'appareils et plus encore de pilotes expérimentés. Ces derniers sont réservés pour les opérations périlleuses tandis que l'état-major affecte les débutants ou les mauvais pilotes aux missions suicides.

Dans les derniers mois de la guerre, les kamikazes s'entraînent au sol et ne découvrent le vol aérien qu'à la faveur de leur dernière mission ! Autant dire que leur efficacité devient très aléatoire et ils manquent leur cible plus souvent que de raison.

Au total, indiquent les auteurs, les attaques suicide occasionnent la mort de 2514 kamikazes dont 781 officiers dans la marine impériale et de 1329 dont 621 officiers dans l'armée de terre. Total : 3843. Assez peu somme tout en regard des pertes totales de l'armée japonaise, supérieures à deux millions d'hommes. Tout cela pour un maximum de 50 navires coulés.

Dans leur ouvrage ô combien instructif, Constance Sereni et Pierre-François Souyri ne s'en tiennent pas aux faits mais explorent aussi les motivations véritables de ces pilotes kamikazes, sans négliger la coercition et les mauvais traitements infligés par la hiérarchie. De ce point de vue, les carnets intimes des pilotes demeurent une source de documentation émouvante autant qu'éclairante.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14

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