Le musée de l’Orangerie repose dans un havre de paix : le jardin des Tuileries. Mondialement connu pour abriter les Nymphéas de Claude Monet, il est l’écrin de la riche collection d’art moderne Jean Walter-Paul Guillaume. Mais saviez-vous que cette année le musée présente aussi des œuvres surréalistes ? L’exposition « Magritte/Renoir : Le surréalisme en plein soleil », organisée en partenariat avec les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique et plusieurs collectionneurs, nous dévoile une facette fantaisiste du célèbre peintre et dessinateur belge (1898-1967) jusqu'au 19 juillet 2021. Une centaine d’œuvres gaies et colorées côtoient leurs sources d’inspiration : des tableaux de Renoir et de Picabia.
Cap sur l'espoir et la couleur
A l’entrée de l’exposition, un soleil constitué de flammèches jaunes et orange nous accueille. Comme une réminiscence, il nous évoque les vers de Paul Éluard « La terre est bleue comme une orange », ou les astres tourbillonnants de Van Gogh.
Si René Magritte a peint une cinquantaine de tableaux oniriques à la touche impressionniste, c’était dans le but de contrer le poids oppressant du nazisme.
Durant la Seconde Guerre mondiale, de 1943 à 1947, il tente de redonner de l’espoir aux peuples européens à travers des sujets plaisants peints dans des tons pastel : jaune poussin, rose tendre, bleu et vert clairs. Il nomme cette période de son œuvre : « l’art solaire » ou « surréalisme en plein soleil ».
Dans une lettre à son ami Paul Éluard, Magritte écrit : « c’est un charme assez puissant qui remplace maintenant dans mes tableaux la poésie inquiétante que je m’étais évertué jadis à atteindre ». Cette « poésie inquiétante » baigne une période triste de la vie de l’artiste : celle où il doit partir en exil en France loin de son épouse, en raison de son engagement contre le fascisme.
En 1926, il représente sa femme Georgette vêtue d’une robe bleue, portant une parure blanche, le regard fixe, dénué de toute expression. Un halo bleu et mauve entoure son buste, se propageant en ondes. Cette technique donne l’impression au spectateur que Georgette est une figure fantastique sortant de l’au-delà.
Des réinterprétations colorées
Le retour de Magritte en Belgique en 1940 lui redonne le goût de vivre et la sérénité. Il se tourne vers une production plus gaie, s’inspirant du Bouquet de tulipes de Renoir et des coquelicots de Picabia (1940). Le peintre belge propose des réinterprétations de ces bouquets à travers des peintures originales aux titres classiques. Ainsi, dans La leçon d’anatomie (1943), il représente les contours d’un bouquet de tulipes. À l’intérieur, un ciel bleu et un verger. Sous le vase, une tulipe rose repose, deuxième écho à Renoir, tandis que les pans d’un rideau rouge s’ouvrent sur la scène, mettant en valeur la gerbe de fleurs.
Magritte s’ouvre aussi au nu : en 1943, il réalise La Moisson.Ce tableau placé sous le signe du renouveau est librement adapté du Nu couché de Renoir. Chez Magritte, on voit une baigneuse allongée sur un drap blanc posé sur une couverture chamarrée. Ce lit très fantaisiste s’oppose au classicisme de Renoir.
L'artiste surréaliste innove : il représente chaque membre de la jeune femme d’une couleur différente. Tandis que le visage est peint en rouge, le torse est violet, une des jambes bleues... Contrairement au modèle de Renoir, celui-ci ne nous regarde pas : ses yeux sont fermés. La baigneuse semble apaisée, heureuse. Sa tête repose sur sa main gauche, dans un geste de délassement.
À l’arrière-plan, les rideaux de la chambre s’ouvrent directement sur une prairie fleurie, sous un ciel bleu parsemé de nuages. L'écrivain belge Marcel Mariën nous explique que « Magritte, non content de transformer sa baigneuse, emprunte en plus à Renoir sa technique de représentation ».
Plus loin, deux autres modèles vivants nous interpellent : Le Vertige et L’Orient.
Sur le premier portrait, on peut contempler une femme nue à la carnation subtilement rosée et orangée. D’une main, elle s’appuie sur un rocher ; de l’autre, elle tient une rose éclose, symbole de sa jeunesse. Au fond à gauche, une explosion de couleurs nous rappelle les « impressions » de Claude Monet. A droite, une tenture fait écho à celle de L’Orient.
Sur l'autre toile, une jeune naïade se tient debout dans l’eau, dans la même position que sur la peinture précédente : sa tête est penchée sur le côté droit, ses yeux sont fermés et sa main est posée sur un bloc de pierre.
En la regardant, on songe à la Naissance de Vénus de Botticelli, au coquillage près. L’originalité de ce portrait réside toutefois dans le fait que cette scène en mer soit incrustée dans un vase ébréché. Ce dernier est placé sur une table, devant un mur structuré par un pilier.
Conflits autour du surréalisme
En dépit de leur singularité, les nouvelles peintures de Magritte sont loin de faire l'unanimité. L'artiste s’inscrit en effet à contre-courant des théories d’André Breton, chef de file du mouvement surréaliste. Il prône la sensualité, la joie, la lumière, à l'inverse du surréalisme d'avant-guerre, qu'il trouve triste et morose. L'artiste belge affirme à Breton : « Contre le pessimisme général, j’oppose la recherche de la joie, du plaisir (...) Il ne s’agit pas d’abandonner la science des objets et des sentiments que le surréalisme a fait naître, mais de l’employer à d’autres fins que jadis, ou alors on s’ennuiera ferme dans les musées surréalistes aussi bien que dans les autres. ».
André Breton ne partage pas cet avis : il critique d’emblée l’ensemble des oeuvres de son ami. Qu'importe, Magritte ne se décourage pas : en 1946, il distribue son « Manifeste pour un Surréalisme en plein soleil ». Mais les reproches continuent de pleuvoir et, l'année suivante, l'artiste est humilié : on accueille son travail dans la section des « surréalistes malgré eux ». Toutefois, en 1948, un rayon de soleil perce : la Galerie du Faubourg lui fait une proposition. Frustré dans ses ambitions, le peintre belge se venge de ses détracteurs en utilisant des couleurs criardes dans des peintures provocantes qu’il surnomme « vaches ». Ce sont ces tableaux qu'il expose à la Galerie.
Parmi celles-ci, Pom' po pon po pon pon pom pon. Ce tableau représente deux lapins ; le premier, peint en jaune, est assis sous un arbre. Il regarde son ami vert jouer du tambour. Les couleurs du paysage autour d'eux fusent : orange vif, vert, bleu outremer... Dans le coin supérieur droit de la toile, un oignon resplendit de mille feux. Ses rayons jaune et orange ne passent pas inaperçus... Cet oignon évoque une divinité, ultime clin d'oeil ironique d'un artiste qui ne comptait pas se laisser dicter sa manière de penser.
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PHD (11-07-2021 10:55:25)
Exposition à voir absolument... Exceptionnel !