1802

À l'univers entier...

Le 10 mai 1802, le métis Louis Delgrès adresse à l'univers entier « le dernier cri de l'innocence et du désespoir ». Par cette proclamation affichée sur les murs de Basse-Terre, en Guadeloupe, il lance un appel à la fraternité universelle, par-dessus les barrières de races [récit de l'événement].

À l'univers entier, le dernier cri de l'innocence et du désespoir

C'est dans les plus beaux jours d'un siècle à jamais célèbre par le triomphe des Lumières et de la Philosophie, qu'une classe d'infortunés qu'on veut anéantir, se voit obligée d'élever la voix vers la postérité, pour lui faire connaître, lorsqu'elle aura disparu, son innocence et ses malheurs. Victime de quelques individus altérés de sang qui ont osé tromper le gouvernement français, une foule de citoyens toujours fidèles à la Patrie se voit enveloppée par une proscription méditée par l'auteur de tous ses maux.

Le Général Richepance, dont nous ne connaissons pas l'étendue des pouvoirs, puisqu'il ne s'annonce que comme général d'armée, ne nous a fait connaître son arrivée que par une proclamation, dont les expressions sont si bien mesurées que, alors même qu'il promet protection, il pourrait nous donner la mort sans s'écarter des termes dont il se sert. A ce style, nous avons reconnu l'influence du contre-amiral Lacrosse, qui nous a juré une haine éternelle. Oui, nous aimons à croire que le général Richepance, lui aussi, a été trompé par cet homme perfide qui sait employer également le poignard et la calomnie.

Quels sont les coups d'autorité dont on nous menace ? Veut-on diriger contre nous les baïonnettes de ces braves militaires, dont nous aimions à calculer le moment de l'arrivée et qui naguère ne les dirigeaient que contre les ennemis de la République ? Ah ! plutôt, si nous en croyons les coups d'autorité déjà frappés, au Fort de la Liberté, le système d'une mort lente dans les cachots continue à être suivi. Eh bien ! nous choisissons de mourir plus promptement.

Osons le dire : les maximes de la tyrannie la plus atroce sont surpassées aujourd'hui. Nos anciens tyrans permettaient à un maître d'affranchir son esclave, et tout nous annonce que, dans le siècle de la Philosophie, il existe des hommes, malheureusement trop puissants par leur éloignement de l'autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d'hommes noirs, ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l'esclavage.

Et vous, premier Consul de la République, vous guerrier philosophique, de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut-il que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d'où partent les conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer ! Ah ! sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence ; mais il sera plus temps, et des pervers auront déjà profité des calomnies qu'ils ont prodiguées contre nous pour consommer notre ruine.

Citoyens de la Guadeloupe, vous dont la différence de l'épiderme est un titre suffisant pour ne point craindre les vengeances dont on nous menace (à moins qu'on ne veuille vous faire un crime de n'avoir pas dirigé vos armes contre nous), vous avez entendu les motifs qui ont excité notre indignation.

La résistance à l'oppression est un droit naturel. La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause. Elle est celle de la Justice et de l'Humanité. Nous ne la souillerons pas par l'ombre même du crime.

Oui, nous sommes résolus de nous tenir sur une juste défensive, mais nous ne deviendrons jamais agresseurs. Pour vous, restez dans vos foyers ; ne craignez rien de notre part. Nous vous jurons solennellement de respecter vos femmes, vos enfants, vos propriétés et d'employer tous les moyens à les faire respecter par tous. Et toi, Postérité, accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits.

Le Colonel d'Infanterie, commandant en chef de la force armée de la Basse Terre.

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Publié ou mis à jour le : 2022-05-10 18:09:31

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