Le 5 juin 1981, une revue médicale fait état d’une forme rare de pneumonie chez des jeunes homosexuels californiens. Il s'agit là en réalité des premiers cas du virus de l'immuno-déficience humaine (VIH) responsable d’une maladie, le sida, dont l’épidémie va causer plus de 30 millions de morts à travers le monde.
Le Centre de contrôle des maladies (CDC) d'Atlanta ne pensait pas que la publication de sa revue scientifique hebdomadaire Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR) du 5 juin 1981 marquerait l’Histoire. Elle fait état de cinq cas de pneumonie rare, la pneumocystose, chez cinq jeunes homosexuels de Californie. Il s’agit là de la première trace médicale du virus responsable de l’épidémie la plus meurtrière de la seconde moitié du XXème siècle. Pour l’heure, le mystère plane encore sur son identité.
« C’est une très, très dramatique maladie. Je pense que nous pouvons dire que c’est assurément quelque chose de nouveau. » note le directeur du service des maladies infectieuses du CDC, James Curran. Surtout que la maladie touche gravement des patients jeunes là où elle s’attaquait avant principalement à des personnes fortement immunodéprimées. Toux, fièvre prolongée, diarrhée, les symptômes sont nombreux.
La rumeur enfle dans les rues de New-York. L’information atteint le grand public le 3 juillet 1981 quand le chroniqueur médical du New York Times publie un court article dans les pages du journal avec pour titre : Cancer rare vu chez 41 homosexuels. Il s’agit d’un sarcome extrêmement rare, le sarcome de Kaposi, responsable d’un cancer de la peau. On entend alors un peu partout parler d’un « cancer gay » ou de « peste rose ».
Le lendemain, la revue du CDC d’Atlanta publie un nouveau numéro faisant état de 26 cas de sarcome de Kaposi aux États-Unis, dont 20 à New-York. Ils sont tous jeunes et homosexuels. Huit malades sont morts.
Fin 1981, un premier cas est signalé en France. Au même moment, les premières données épidémiologiques indiquent que la mystérieuse maladie est d'origine infectieuse et transmissible par voies sexuelles et sanguines.
En juin 1982, elle vient troubler la Gay Pride de San Francisco. Elle en perd sa gaîté quand les représentants des communautés homosexuelles dénoncent au micro cette venerial disease (VD, « maladie vénérienne »).
C’est un réveil brutal pour la génération hippie qui, profitant de la libération des mœurs dans les années 1960-1970, ne se doutait pas qu’un pernicieux virus se réjouissait de la multiplication des contacts humains. Dans les pays occidentaux du moins, car dans le tiers-monde (dico) c’est plutôt du côté de la prostitution et du manque d’hygiène qu’il faut chercher des responsables.
La plupart des chercheurs s’accordent aujourd'hui à dire que le virus VIH à l'origine du sida est d’origine animale. Il serait passé à l’homme par le biais de blessures, soit à la fin du XVIIIème siècle, soit en 1930. En 1983, l’analyse du sérum d’un homme mort au Congo en 1950 révèle l’existence du VIH. L’épidémie aurait donc d’abord été africaine, puis serait passée en Amérique par Haïti avant de devenir mondiale.
La France devance les Américaines dans la course à la recherche. L’infectiologue Willy Rozenbaum crée un groupe de travail sur le sida pour tenter de comprendre cette nouvelle maladie. En janvier 1983, une équipe de chercheurs de l’Institut Pasteur composée de Luc Montagnier, Jean-Claude Chermann et Françoise Barré-Sinoussi, isole le virus. Au mois de mai, ils publient les résultats de leurs travaux dans la revue Science. En mai 1986, le virus est baptisé virus de l'immunodéficience humaine, ou VIH, et la maladie SIDA, syndrome de l'immunodéficience humaine.
Un an après l’équipe de l’Institut Pasteur, le Professeur Robert Gallo, spécialiste américain des rétrovirus, annonce avoir isolé le virus responsable du sida. Il s’agit en réalité de la même découverte, mais le débat sur sa paternité se poursuit jusqu’en 1987 et il faut attendre 2008 pour que Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi obtiennent le Prix Nobel de physiologie ou médecine.
Le virus se transmet par le sang, les sécrétions vaginales, le lait maternel ou le sperme. Il s’attaque au système immunitaire et l’expose ainsi à toutes sortes d’infections, dont les maladies graves que sont la tuberculose et la pneumonie. Le virus n’est donc pas réservé à telle ou telle catégorie de la population, tout le monde y est exposé et doit se protéger.
Mais quand le philosophe français Michel Foucault meurt du sida en 1984, la stigmatisation est toujours bien présente. Certains évoquent la maladie des 4H pour « hémophile », « homosexuel », « haïtien » et « héroïnomane ».
L’année suivante, en 1985, les premiers tests de dépistage sont mis au point. Il faut attendre le scandale du sang contaminé en France pour que le criblage systématique du sang destiné à la transfusion soit réalisé.
En décembre 1986, 4.500 cas sont recensés en Europe, ce qui correspond à une augmentation de 124% en un an.
Le 20 mars 1987 la Food and Drug Administration autorise la commercialisation de l’azidovudine, l’AZT, dans la lutte contre le sida. Cette substance, synthétisée pour la première fois en 1964, était prévue au départ pour ralentir le cancer mais ses effets secondaires furent jugés inacceptables. S’il n’élimine pas le VIH, cet antirétroviral permet de ralentir sa progression.
La première Journée mondiale du sida, décidée par l’OMS, est célébrée le 1er décembre 1988. Quelques mois plus tard, en juin 1989, le nombre de cas de sida à travers le monde est estimé à 150.000.
Aux États-Unis, la mobilisation des mouvements gays est immédiate, ce qui n’est pas le cas en France. Dans les premières années de l’épidémie de sida, les homosexuels questionnent les scientifiques lanceurs d’alerte qui stigmatisent leur communauté. Mais à partir de la fin de l’année 1984, l’ensemble du mouvement homosexuel français se rallie à la lutte collective contre le sida. De nombreuses associations sont créées dans la période 1982-1985 (Vaincre Le Sida, AIDES, Arcat-sida...).
Un vent de panique souffle sur le monde et gagne même le personnel hospitalier qui n'ose pas approcher les malades. Petit à petit, un travail de fond est réalisé pour lever le voile sur la maladie au travers de campagnes d'information et de sensibilisation auprès du grand public. Des moyens sont dégagés d’un côté et de l’autre de l’Atlantique pour la recherche et le traitement des patients.
En France, la ministre de la santé Michèle Barzach, dans le gouvernement de Jacques Chirac, prend deux mesures fondamentales : la vente libre de seringues pour limiter la contamination chez les toxicomanes et l'autorisation de la publicité sur le préservatif, seul moyen de prévention contre le sida.
Les média et le grand public répondent présents à l’appel pour rejoindre la lutte. Le premier Sidaction, organisé le 7 avril 1994, reçoit un incroyable soutien : six chaînes diffusent en prime-time, pendant plus de 6 heures, une émission d'informations en direct devant 23 millions de téléspectateurs. Les dons s’élèvent à plus de 300 millions de francs (plus de 450.000 euros).
La mobilisation contre le sida s’accélère à mesure que le virus gagne du terrain. En 1994, la maladie se place en première position des causes de décès chez les Américains de 25 à 44 ans. Les célébrités ne sont pas épargnées, comme le chanteur Freddy Mercury qui meurt en 1991 suivi du danseur russe Rudolf Noureev en 1993.
L’année 1996 marque un tournant positif dans l’histoire de la maladie. L’arrivée des trithérapies, qui réduisent fortement la charge virale, fait passer le sida de maladie mortelle à maladie chronique. Mais si la maladie ne tue plus, elle ne guérit pas non plus. Aussi ne faut-il pas que les nouvelles épidémies fassent oublier le sida, qui sévit encore et est devenue endémique dans certaines régions d’Afrique.
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