Le 31 août 1980, avec plusieurs jours d'âpres négociations et deux mois de grèves, les ouvriers des chantiers navals de Gdansk concluent un accord sans précédent dans le monde communiste avec le gouvernement polonais.
Sous la conduite de Lech Walesa, un ouvrier électricien charismatique de 36 ans, fervent catholique, père de six jeunes enfants, ils obtiennent la création d'un syndicat libre et indépendant de toute attache avec le pouvoir : Solidarnosc (« Solidarité »).
Chacun se réjouit en Pologne comme en Occident que la crise ait pu être résolue sans qu'intervienne l'armée ni, pire encore, le « protecteur » soviétique. Il est vrai que ceux-ci, empêtrés en Afghanistan, ne sont guère en mesure d'intervenir militairement en Pologne.
Les ouvriers et le pape contre le gouvernement communiste
En décembre 1970, la Pologne est secouée par de violentes manifestations ouvrières consécutives à de brutales hausses de prix des produits alimentaires, de l'ordre de 30%. Le gouvernement envoie les chars et réprime les troubles avec violence. Il s'ensuit plusieurs dizaines de victimes.
Le secrétaire général du Parti ouvrier unifié polonais (PZPR) Wladislaw Gomulka, disqualifié, se retire « pour raison de santé » et laisse la direction du parti et du pays à Edward Gierek.
Le 18 octobre 1978, l'opposition au régime communiste reçoit une impulsion décisive avec l'élection du polonais Karol Wojtyla à la papauté sous le nom de Jean-Paul II. Charismatique et relativement jeune (58 ans), le nouveau pape se rend en Pologne quelques mois plus tard, en mai-juin 1979. Il électrise les foules. Quatre mots font le tour du pays : « N'ayez pas peur ! »
Walesa au pinacle
L'agitation repart le 14 août 1980 dans les chantiers navals Lénine, à Gdansk (ex-Dantzig), sur la Baltique. Elle est lancée par un membre du KOR et quatre ouvriers dont un électricien de 36 ans qui avait été licencié en 1976 pour cause d'agitation syndicale, Lech Walesa.
Les grévistes réclament deux mille zlotys de plus pour tous les salariés et la réintégration d'une opératrice de grue abusivement licenciée à quelques semaines de la retraite, Anna Walentynowicz.
Surprise : le mouvement s'étend aux services publics de la ville et aux autres ports de la Batique, Gdynia et Sopot. Devant la gravité de la situation, Edward Gierek interrompt ses vacances en Crimée.
À 15 heures, les grévistes des chantiers navals obtiennent 1500 zlotys, la réintégration d'Anna Walentynowicz et de Lech Walesa et la création d'un syndicat libre, indépendant du parti gouvernemental. Lech Walesa annonce au mégaphone la fin de la grève. C'est alors qu'il est pris à partie par une conductrice de tram : « Vous nous avez vendus ! » Après une rapide discussion, Lech Walesa reprend son mégaphone et annonce la reprise de la grève en solidarité avec les grévistes de la ville et des autres chantiers : « Il faut accepter le compromis même s’il n’est pas fameux, mais nous n’avons pas le droit de lâcher les autres : nous devons continuer la grève par solidarité jusqu’à la victoire de tous ! »
Le soir même, les délégués de plusieurs sites constituent un comité inter-entreprises, le MKS, afin de coordonner leurs actions.
Le gouvernement procède à des arrestations à Varsovie et dans tout le pays. Parmi les personnes interpellées figure Jacek Kuron. Mais d'autres intellectuels, Bronislaw Geremek et Tadeusz Mazowiecki, se mettent à la disposition des ouvriers de Gdansk.
Le 30 août, les représentants du gouvernement et ceux des grévistes se réunissent pour examiner les 21 revendications du MKS. De lassitude, le ministre Jagielski répond par un laconique « J’accepte, je signe » à chacune des revendications. Le lendemain dimanche 31 août 1980, Lech Walesa triomphe en obtenant aussi la libération de tous les camarades incarcérés. Enfin sont signés à 17 heures, devant les caméras de télévision, les accords qui prévoient en particulier la création d'un syndicat indépendant et libre, Solidarnosc.
Après la séance officielle, l'ouvrier électricien se précipite au-devant de la foule de ses camarades. Il grimpe sur les grilles et brandit le gros stylo coloré avec lequel il a apposé sa signature. Il s'agit d'un gadget comme on en voit dans les boutiques de souvenirs du Vatican, avec le portrait du pape polonais. Lech Walesa, profondément catholique, veut par là signifier que le Souverain Pontife a guidé son bras et inspiré les accords.
Un triomphe fragile
Le 18 septembre 1980, les délégués de l'ensemble des syndicats libres constituent une instance fédérale aussitôt baptisée Solidarnosc et présidée par Lech Walesa. Son logo allait faire le tour du monde. Elle réunit un total de dix millions de militants (sur 38 millions de Polonais) et obtient le 9 novembre 1980 la reconnaissance du gouvernement.
Mais ce triomphe fragile allait très vite engendrer de nouvelles tensions avec le pouvoir, jusqu'à déboucher sur l'« état de guerre », autrement dit la loi martiale.
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