Le 30 septembre 2012, la guerre civile frappe le vieux souk d'Alep, l'un des plus vastes d'Orient avec ses 1 500 échoppes. Le cœur historique de la deuxième ville de Syrie (deux millions d'habitants) est en grande partie détruit par les flammes.
Quatre ans plus tard, le 22 décembre 2016, la ville est reprise par les troupes du dictateur Assad après avoir été réduite en poussières par l'aviation russe (note). Entretemps, c'est un patrimoine inestimable qui a sans doute disparu à jamais...
Aux sources de la civilisation
Alep, avec Damas, revendique le titre de « plus ancienne cité habitée au monde de façon continue ». Il est vrai qu'elle apparaît dans les archives des Hittites il y a 4 000 ans sous le nom de Halap. Elle vit passer nombre de conquérants, des Assyriens (VIIIe s. av. J.-C.) à Alexandre (IVe s. av. J.-C.), sans oublier les Grecs puis les Romains qui la négligèrent.
Une importante communauté chrétienne s'y développe avant que les Arabes s'y installent en 637. En 962, les troupes byzantines de Nicéphore Phocas saccagent la ville. Elle est deux siècles plus tard relevée par Nour el-Din. L'émir turc qui donne aux vieux quartiers leur configuration actuelle. Le Moyen Âge voit l'apogée de la cité devenue la capitale du fils de Saladin qui en fait une des principales places marchandes de la région.
En 1516, c'est au tour des Ottomans de s'y implanter. Sous leur tutelle, Vénitiens, Français et Anglais s'invitent dans ce lieu commercial stratégique. Ces nations finissent par s'en désintéresser au profit de leurs colonies, marquant ainsi le déclin de la ville de nouveau fragilisée par un important séisme en 1822.
L'arrivée du chemin de fer en 1906 lui permet de garder ses liens avec l'Europe et de se lancer dans la modernité avec plus d'ardeur que sa rivale, Damas. Depuis l'indépendance de la Syrie en 1946, Alep se présente comme la capitale du nord avec une population de près de deux millions d'habitants, vivant essentiellement de la production de coton.
La citadelle
Au cœur de la ville se dresse l'ancien tell de la cité néo-hittite (Xe s. av. J.-C.).
Ce monticule artificiel de près de 40 mètres de haut supporte aujourd'hui la citadelle médiévale, chef-d'oeuvre de l'architecture militaire et gardienne de la ville.
On dit qu'Abraham fit à cet endroit une halte pour traire sa vache rousse. Plus sérieusement, les Séleucides y érigent une première place forte au IVe s. av. J.-C..
L'empereur romain Julien y procède à un sacrifice religieux peu avant de trouver la mort au combat.
À la fin du XIIe s., le fils et successeur du sultan Saladin consolide la citadelle et l'entoure d'un fossé large de 30 mètres. Pour empêcher tout assaut, il fait recouvrir les pentes inclinées de larges dalles glissantes, retenues par des restes de colonnes antiques.
Meurtrières, angles droits des couloirs et autres chemins de ronde complètent le dispositif sur lequel se brisèrent tous les efforts des Francs. Certains cependant y pénétrèrent, mais couverts de chaînes : ce fut le cas de Renaud de Châtillon, prince d'Antioche, qui y passa seize années de sa vie. Les Mongols en vinrent cependant une première fois à bout au XIIIe s., avant que Tamerlan ne la détruise en 1400.
La vieille ville
Classée au patrimoine mondial de l'UNESCO, la vieille ville d'Alep, avec son labyrinthe de venelles, est devenue un terrain de bataille dans la guerre civile, en 2012. Il en est résulté des dommages immenses pour ses monuments patrimoniaux.
Depuis le XIIe siècle, sur plus de 10 kilomètres d'allées en contrebas de la citadelle, les petites boutiques du vieux marché s'alignent suivant leur spécialité dans un désordre très organisé.
Le marché d'Alep (souk en arabe, bazar en persan) est un bel exemple de l'organisation des anciens quartiers commerciaux dans les villes arabes.
Installés au cœur des cités antiques, ils étaient constitués de toiles tendues sur les anciens monuments puis furent remplacés par des boutiques en dur qui ont fait disparaître la belle ordonnance grecque ou romaine.
Au IX s., les Qarmates, membres d'une secte chiite, organisèrent ces ensembles en veillant à la qualité des produits et créant des taxes.
L'ordre, malgré les apparences est partout : au plus près de la mosquée se trouvent les activités les plus pures (orfèvres, vendeurs de tissus ou livres).
Puis viennent les produits moins nobles : épices, alimentation puis tannerie.
Les boutiques, minuscules, se ferment par un volet de bois qui sert de comptoir.
Elles s'alignent le long de ruelles très étroites qui ne permettent souvent que le passage d'ânes ou de petites charrettes qui se faufilent dans cet univers de couleurs et de saveurs.
Au cœur de la vieille ville, elle a été voulue par le calife omeyyade Souleiman au VIIIe s. mais la majeure partie de la construction date des Mamelouks, au XVe s.
Elle a été bâtie dans l'enceinte de la cathédrale, qui avait elle-même pris la place de l'agora romain.
Son minaret carré de 45 mètres de haut est un des chefs-d'oeuvre de l'art seldjoukide.
Le caravansérail désigne dans le monde oriental l'auberge où s'arrêtent voyageurs et marchands, avec, autour d'une cour carrée, les locaux pour les ballots de marchandises et les bêtes, et à l'étage les chambres.
Ce caravansérail monumental du XVIIe s., parfaitement conservé, rappelle qu'Alep était avant tout un site commercial. On peut noter, sur les deux fenêtres de sa façade, d'un côté une croix et de l'autre le haut d'un minaret. La légende raconte qu'elles sont l'oeuvre de deux artisans, l'un chrétien et l'autre musulman. Elle rappelle que la Syrie, sous l'autorité des califes, a toujours connu une grande diversité religieuse.
Construit au XIVe s., le bâtiment resté intact présente dans les anciennes cellules des malades une exposition sur la riche histoire de la médecine arabe.
Construit à partir du XVIIe s. par les marchands chrétiens maronites et arméniens enrichis dans le commerce du textile, ce quartier se compose de petites ruelles dallées et passages voutés.
Si la pistache a participé à la fortune d'Alep, c'est le savon qui a fait sa gloire. Connu depuis l'Antiquité, son usage a été développé par l'Islam qui fait de la propreté du corps une de ses priorités.
Toujours en activité, les savonneries font la réputation d'Alep depuis l'époque ayyoubide, au XIIe s. À la veille de la guerre civile, elles produisaient encore 25 000 pièces par jour (6 tonnes).
Composé d'un savant mélange d'huile d'olive, d'eau, de soude et de laurier bouilli dans d'énormes chaudrons, le savon est coulé sur le sol des fabriques où il demeure plusieurs mois, le temps que la pâte durcisse et se couvre d'une croûte verte empêchant la déshydratation du mélange. L'ensemble est ensuite débité en pains qui vont de nouveau sécher pendant neuf mois. Ils étaient alors autrefois vendus aux enchères dans le souk as-Saboun (« marché du savon »).
Bâtiment moderne sans charme, le musée archéologique d'Alep a pourtant une importance considérable : il renferme les trésors archéologiques de la région, en particulier des villes de Mari (XXXe s. av. J.-C.), d'Ebla (XXIV s. av. J.-C.) et d'Ougarit (XIIIe s. av. J.-C.) qui sont aux sources de la civilisation.
Une partie des vestiges du temple araméen de Tell Halaf (Xe s. av. J.-C.) y sont également visibles.
Ils sont d'autant plus précieux que la majorité des découvertes, en particulier les statues colossales en basalte, a été détruite ou gravement endommagée dans des bombardements à Berlin en 1943. À partir de milliers de débris, certaines ont été reconstituées et se trouvent aujourd'hui au musée de Pergame (Berlin).
On peut lire sur le sujet Ross Burns, Monuments de Syrie, guide historique (Ross Burns, éd. Dummar, 1998) et l'excellent livre d'Henri Stierlin : L'Art de l'Islam, Méditerranée (Gründ).
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