Le 30 janvier 1889, au palais du Hofburg, à Vienne, l'impératrice Élisabeth, dite « Sissi », apprend que son fils Rodolphe s'est tué dans la nuit, dans un pavillon de chasse de la forêt viennoise, à Mayerling. Elle doit annoncer la tragique nouvelle à son mari, François-Joseph Ier (59 ans), empereur d'Autriche et roi de Hongrie.
L'archiduc Rodolphe (31 ans) était le seul garçon du couple et l'héritier de la couronne des Habsbourg.
Malheureux prince
Rodolphe (22 ans) a été marié le 10 mai 1881 à Stéphanie de Belgique (17 ans), fille de Léopold II, roi des Belges. Ce mariage arrangé et sans amour avec une princesse sans tempérament l'amène à collectionner les maîtresses. La fréquentation des lupanars lui vaut de contracter une maladie vénérienne grave.
Après deux ans de mariage, le couple a néanmoins une fille, Élisabeth-Marie. Celle-ci mènera jusqu'à sa mort, en 1963, une vie sentimentale agitée, multipliant les liaisons adultérines et, pire que tout, affichant son soutien aux sociaux-démocrates autrichiens.
En attendant, sa mère Stéphanie, contaminée par son mari, devient stérile.
L'empereur François-Joseph tient son fils à l'écart des affaires. Rodolphe, par défi autant que par conviction, se pique de libéralisme.
Il commet des articles anonymes dans un journal de l'opposition et se prend à espérer une évolution de l'empire austro-hongrois vers davantage de démocratie et de fédéralisme. Proche de Georges Clemenceau, il est favorable à un rapprochement avec la France.
Ses prises de position lui valent de violentes disputes avec son père. Celui-ci ne l'en aime pas moins mais souhaite maintenir son pays dans l'alliance avec l'Allemagne de Guillaume II.
Prématurément vieilli par la maladie, l'interdiction qui lui est faite de divorcer et la crainte de ne pouvoir avoir de fils, Rodolphe songe au suicide. L'une de ses anciennes maîtresses, devenue sa confidente, fait part de ses craintes à l'entourage de l'empereur mais n'est pas écoutée.
Après une ultime dispute avec son père, Rodolphe se rend au pavillon de chasse de Mayerling avec sa jeune maîtresse de 17 ans, Mary Vetsera, qui, semble-t-il, serait enceinte de ses oeuvres. Les domestiques les retrouveront le lendemain dans leur chambre. Sans vie.
On suppose que Mary aurait insisté pour accompagner son amant dans la mort. Rodolphe l'aurait alors tuée d'un coup de pistolet avant de s'allonger à côté d'elle et se tirer une balle dans la tête.
François-Joseph obtient du pape Léon XIII que son fils soit inhumé chrétiennement dans la crypte impériale des Capucins, et non à l'écart comme l'église catholique l'impose à tous les suicidés.
L'empereur fait aussi l'impossible pour cacher la présence de Mary Vetsera aux côtés de son fils afin de préserver la réputation de celui-ci. Cette dissimulation va longtemps alimenter des rumeurs fantasques sur l'hypothèse d'un double meurtre pour des raisons politiques.
Deuils en série
La mort de Rodolphe aggrave l'état psychique de sa mère, Sissi.
Il faut dire que son cousin Louis II de Bavière est mort noyé trois ans plus tôt, à 40 ans, dans des circonstances mystérieuses après avoir été déclaré aliéné par les médecins !
Aussi l'impératrice est-elle portée à croire que son instabilité psychique et le suicide de son fils résultent d'un mal propre à sa famille, les Wittelsbach de Bavière. La malheureuse sera assassinée à Genève par un anarchiste, neuf ans plus tard, lors de l'une de ses innombrables fugues loin de la Cour.
Suite à la mort de Rodolphe, c'est désormais à l'archiduc François-Ferdinand, neveu de l'empereur, qu'il revient d'assumer l'héritage des Habsbourg. Il ne deviendra jamais empereur. Un terroriste brisera sa vie à Sarajevo en 1914.
La tragédie de Mayerling, affaire privée d'une famille durement éprouvée par le sort, s'inscrit ainsi dans la marche de l'Europe vers les horreurs de 1914-1945.
Le drame de Mayerling (1964, 120 minutes, Stellio Lorenzi, La Caméra explore le temps), source : INA
L'Histoire retient le nom de trois personnalités qui se sont suicidées en entraînant dans la mort une maîtresse ou une femme dans la fleur de l'âge, deux fois plus jeune qu'eux : outre l'archiduc Rodolphe de Habsbourg-Lorraine, le cinéaste Max Linder, mort en 1925, et l'écrivain Stefan Zweig, mort en 1942.
Bibliographie
Cette tragédie a inspiré le cinéaste Anatole Litvak (Mayerling, 1936) avec Danielle Darrieux et Charles Boyer, et, plus près de nous, Terence Young (Mayerling, 1968), avec Catherine Deneuve et Omar Sharif.
Sur les dernières décennies de la dynastie des Habsbourg, je recommande le livre très chaleureux et très complet de l'historien Jean-Paul Bled : François-Joseph (Fayard, 1987).
Notons aussi le livre de Jean des Cars : Rodolphe et les secrets de Mayerling (Perrin, 2007), dans lequel le journaliste-écrivain évoque l'hypothèse d'un assassinat politique sur la base de confidences tardives de l'ex-impératrice Zita. Rodolphe aurait été tué du fait de ses penchants francophiles et anti-allemands.
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Osmane (28-01-2024 13:52:38)
ces remarques sont toutà fait opportunes
Michaël (30-01-2008 08:11:28)
...Je serais quant à moi plus prudent avant de parler de suicide. Si en effet Rodolphe était fragile, emmener sa maitresse dans la mort semble malgré tout fondamentalement étranger à son caractè... Lire la suite