28 décembre 1043

Robert de Turlande fonde l'abbaye de La Chaise-Dieu

Le 28 décembre 1043, Robert de Turlande prend possession d'une clairière dans les forêts d'Auvergne. Il fonde à cet endroit l'une des plus belles abbayes qui soient, la Chaise-Dieu.

Près de mille ans plus tard, l'abbaye trône majestueusement sur le haut plateau du Livradois, partagé entre de maigres pâtures et de grandes forêts à 1080 mètres d'altitude, cerné au nord par la Sénouire et au sud par la Borne, là où l'Auvergne côtoie le Velay et le Forez. Parfois effrayante mais le plus souvent fascinante, installée au milieu du bourg, elle ne laisse personne indifférent. L'église abbatiale conserve, c'est assez rare pour le souligner, une grande partie de son décor et de son mobilier malgré les déprédations importantes causées par les guerres de religions et la Révolution.

Une abbaye bénie du pape

Robert de Turlande, cadet d'une grande famille d'Auvergne est né en 1001. Peu disposé au métier des armes, il est placé chez les chanoines de Brioude alors chargés de garder le tombeau de Saint Julien et devient lui même chanoine en 1026 puis prêtre. Insatisfait de la vie qu'il mène, il part pour Rome, puis poursuit son voyage pour étudier la règle de Saint Benoît au mont Cassin. De retour en Auvergne, avec quelques compagnons, il prend possession d'une clairière près d'une chapelle ruinée dans les forêts du Livradois le 28 décembre 1043. Un premier monastère voit le jour en 1050 et prend le nom de Casa Dei (La Maison de Dieu). Ce monastère acquiert rapidement une renommée dans toute l'Auvergne. L'abbaye comptera jusqu'à trois cents moines. Robert et Rencon demandent une approbation royale et pontificale, qu'ils obtiennent en 1052.

À la mort de son fondateur en 1067, l'abbaye est déjà célèbre et dotée de riches possessions concédées par de riches et puissantes familles d'Auvergne. À l'annonce de son décès, les pèlerins affluent à l'abbaye pour vénérer sa dépouille. Très vite célébré comme un saint, il est canonisé par le pape Alexandre II en 1070. On célèbre depuis lors sa fête le 24 avril.

Le 18 août 1095, le Pape Urbain II consacre solennellement l'église abbatiale. L'abbaye prend part aux préparatifs de la première croisade prêchée par Urbain II à Clermont où il nomme Adhémar du Monteil, évêque du Puy, Légat apostolique pour conduire les troupes en terre Sainte. L'abbaye consent des prêts aux chevaliers ce qui lui permet d'augmenter son patrimoine. Elle joue un rôle de banquier comme d'autres monastères à cette époque.

Le 7 mai 1342, Pierre Roger de Beaufort est élu pape sous le nom de Clément VI. Il avait été reçu en 1302, à l'âge de 10 ans, à l'abbaye de la Chaise-Dieu. En 1323 il obtient la Licence et la Maîtrise de théologie. Plusieurs fois évêque à Arras, Sens, Rouen, il est nommé cardinal en 1339. Pape à Avignon, il n'oublie pas son abbaye et lui accorde plusieurs bulles de privilèges.

L'abbaye devient «nullius diocesis». Elle est non seulement exemptée de tout impôt mais elle reçoit l'exterritorialité. Le roi de France et l'évêque de Clermont n'ont plus aucun droit ou pouvoir sur l'abbaye. Dès 1107, le pape Pascal II avait confirmé que l'abbaye ne dépendait que du Siège apostolique et que ce privilège s'étendait à toutes ses dépendances. En 1144, Lucius II renouvelait cette protection pontificale, qualifiant l'abbaye de «miroir de la perfection monastique».

Abbaye de la Chaise-Dieu : Ange musicien jouant de la flute (détail du tombeau de Rançon de Montclar). Agrandissement : Chœur de l'église abbatiale, avec le jubé et le tombeau du pape Clément VI.

Clément VI décide en 1344 de faire reconstruire l'abbatiale. L'architecte Hugues Morel, languedocien d'origine, est désigné comme principal Maître d'oeuvre. Il sera secondé dans sa tâche par Pierre Falciat et Pierre de Cébazat. À grand renfort d'ouvriers, on démolit partiellement l'église romane, car il fallait conserver un lieu de culte. Un édifice important comme le laisse entrevoir la comptabilité de l'époque. Le terrain en forte pente dut être nivelé pour recevoir les fondations de l'abbatiale. Les travaux sont rapidement achevés. L'ancienne église gênant la fin des travaux, il est décidé de la détruire définitivement en janvier 1347.

Toute la région participe à la tâche. Les ouvriers et artistes, qui se déplacent de chantier en chantier ignorent les frontières. Le latin ou lingua franca, la langue commune de ces hommes, véhicule non seulement les outils mais aussi le savoir mathématique et géométrique. Les chiffres, tels que pi ou le nombre d'or, sont indispensables à l'édification de constructions religieuses.

Jean de Chandorat, alors abbé, quitte l'abbaye pour administrer l'évêché du Puy, à la demande de Clément VI. Attaché à son abbaye, Jean reviendra une première fois en 1352 pour procéder à la translation des reliques de Saint Robert puis une seconde fois en 1353 pour accompagner la dépouille de Clément VI qui avait souhaité que son tombeau soit placé au coeur de l'abbatiale. Il décèdera en 1356 et sera inhumé dans l'abbaye. La charge d'abbé reste vacante pendant cinq mois et sera confiée à Pierre d'Aigrefeuille.

Les travaux se poursuivent. En 1350, l'église abbatiale est en partie achevée et il ne lui manque que la façade. Pierre d'Aigrefeuille est remplacé par Étienne Mallet. Nommé, à son tour, évêque d'Elne en Roussillon, Étienne Mallet cède la charge à Etienne d'Aigrefeuille, frère du précédent, qui devient abbé. La plupart des constructions en chantier s'achèvent mais il reste la décoration intérieure. Clément VI fait appel à Matteo Giovanetti de Viterbe, son peintre favori, et lui commande huit tableaux. Pour les fresques, Matteo gagne la Chaise-Dieu en 1351 et réalise La vie de Saint Robert, aujourd'hui disparue. La translation des reliques de Saint Robert sous le maître-autel de l'abbatiale semble indiquer la fin des travaux, en 1352.

Clément VI décède le 6 décembre 1352 en Avignon avec le regret de n'avoir pu refaire l'unité de l'Église autour du Saint-Siège romain. Après un long voyage, sa dépouille est déposée dans le choeur de l'église abbatiale, le 8 avril 1353, par l'abbé Renaud de Montclar.

Heures sombres de l'abbaye

Le pape Clément VI avait donné aux abbés et aux confesseurs nommés par lui le droit d'absoudre de tous les péchés. Aussi l'abbaye devient-elle un important centre de pèlerinage durant tout le Moyen Âge et le restera jusqu'à la Révolution. Les travaux de construction de la tour clémentine commencés vers 1355, à l'initiative de Jean de Chandorat qui donna 12.000 florins, s'arrêtent faute d'argent. Il décède en 1378 après avoir lutté, lui aussi sans succès, pour ramener le Saint Siège à Rome.

Les travaux ne seront définitivement achevés que l'année suivante. Puissante tour carrée, d'aspect militaire, entourée de mâchicoulis et percée d'archères, la tour Clémentine sert essentiellement de tour de défense passive. Elle sera utilisée au fil du temps comme donjon, grenier, salle du trésor pour les reliques, ou comme sacristie.

A la fin du XIVème siècle l'abbaye bénédictine de la Chaise-Dieu compte encore trois cents prieurés dans l'ensemble de ses dépendances. Mais son rayonnement tant en France qu'en Europe tend à décliner. Les guerres et les calamités de toutes sortes ne l'ont pas épargnée et ont contribué à la perte de certaines de ses dépendances les plus lointaines d'Italie et d'Espagne.

Le recrutement dans l'ordre bénédictin est de plus en plus difficile et la ferveur chrétienne, en ces temps troublés, a fait place au doute. A la fin de l'année 1377, les moines de l'abbaye élisent André Ayraud à leur tête. Mais le mécontentement prend place au sein de la communauté. Comme l'abbaye enregistre déjà des baisses importantes de ses revenus, André fait mettre en ordre tous les statuts et traités anciens pour les insérer dans un seul parchemin, le Domino.

En 1383, l'Anglais est en Velay et en Auvergne. Quand le pays n'est pas étouffé par la guerre, il est saigné par les exactions répétées du Duc de Berry. En 1390, un seul constat, l'Auvergne et le Velay sont ruinés. André Ayraud fonde des aumônes et fait donner du pain à tous les pauvres. Pour mettre l'abbaye à l'abri, il fait renforcer les murs d'enceinte, les munit de fortins et de fossés. Il meurt en 1420 avec la réputation d'un «grand homme de bien».

Abbaye de La Chaise-Dieu. Agrandissement : l'abbatiale.

L'abbaye possède toujours nombre de dépendances, abbayes, monastères de moniales et prieurés mais toutes ne sont pas d'égale importance. Souvent peu peuplées, mal entretenues et mal gérées, leur prospérité est en déclin. Les guerres ou les révoltes qui entraînent le pillages et les épidémies de toutes sortes, achèvent d'affaiblir l'abbaye mère. Malgré toutes ces difficultés, une grande partie de la population du village de la Chaise-Dieu travaille pour l'abbaye. Enfants ou vieillards, religieux ou laïcs, tout le monde participe aux diverses tâches nécessaires à l'entretien et à la vie du monastère. La région, en cette fin de Moyen Âge, retrouve un peu de quiétude.

L'élection du successeur d'André Ayraud est quelque peu houleuse. Malgré de multiples protestations, le pape Martin V confirme l'élection de Hugues de Chauvigny. En 1426, celui-ci prend des mesures contre un incendie qui ravage durant trois jours le village de la Chaise-Dieu. Hugues règnera sur l'abbaye durant 45 années.

La fresque célèbre de la Danse macabre pourrait avoir été réalisée pendant son abbatiat, inspirée par les horreurs de l'époque. Mais, peu actif, il ne peut endiguer le déclin de l'abbaye et en août 1465, résigne en faveur de Renaud, son neveu. Renaud de Chauvigny de Blot, infirmier de l'abbaye était un personnage en vue, conseiller du roi, baron de Blot et sénéchal d'Auvergne. Pas plus actif dans son abbatiat que son oncle, il ne reste pas ou peu dans les mémoires. Il décède le 9 mai 1491.

Le dernier abbé régulier, élu librement par la communauté, sera Jacques de Saint-Nectaire. Jacques passe pour un abbé artiste et se distingue par un vrai goût des arts. Il fait venir des ouvriers, de France et de Flandre, pour remettre en état le réfectoire, le cloître, les bâtiments conventuels, la salle capitulaire et l'infirmerie. Il fait aussi refaire la toiture de l'abbatiale endommagée par la foudre en 1497. On lui doit peut-être les stalles de chêne sculptées, encore visibles dans le choeur de l'abbatiale. Il est aussi le commanditaire des draps imagés (tapisseries) du choeur qui représentent des scènes de l'Ancien Testament, réalisées entre 1516 et 1518.

Le concordat de Bologne entre le pape Léon X et François Ier place l'abbaye au même rang que les autres églises de France, dans la main du roi. Jacques de Saint-Nectaire meurt le 24 octobre 1518. Désormais, l'abbé de la Chaise-Dieu est nommé par le roi. Une nouvelle ère commence pour l'abbaye, qui sera bien différente des précédentes. Plusieurs abbés commendataires se succèdent sans toutefois laisser un souvenir impérissable. La plupart d'entre eux ne résident pas à l'abbaye. Quelques-uns sont restés célèbres dans l'histoire, mais pour d'autres raisons : Armand Du Plessis, duc de Richelieu, Jules Mazarin, Armand de Rohan Soubise ou Louis René-Edouard de Rohan Guémené connu comme le protagoniste de l'Affaire du collier de la Reine et dernier abbé de la Chaise-Dieu.

La Révolution met un terme à la présence de moines bénédictins et vend une partie des bâtiments comme biens nationaux. Seule l'église abbatiale conserve son statut de lieu de culte et devient église paroissiale. Depuis quelques années, la communauté Saint Jean s'est installée à la Chaise-Dieu, assurant une présence religieuse et apostolique sur ces hauts plateaux du Livradois.

Patrick Rossi
Publié ou mis à jour le : 2022-12-20 15:36:51

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