Le 20 juin 1894, Alexandre Yersin isole à Hongkong le bacille de la peste. Ce médecin militaire d'origine suisse, formé à l'Institut Pasteur, va ensuite employer son énergie et ses compétences au service des Vietnamiens, ce qui lui vaut encore aujourd'hui d'être très populaire dans ce pays...
Jeune homme anticonformiste
Le jeune homme est né le 22 septembre 1863 dans une famille puritaine du canton de Vaud. Il s'intéresse très jeune à la flore et à la faune, avant de se déterminer à étudier la médecine, d'abord à Marbourg, puis à Paris.
Engagé comme préparateur par Roux, il effectue à l'Institut Pasteur une thèse sur la tuberculose tout en contribuant à l'isolement de la toxine diphtérique. Faisant preuve d'une indépendance d'esprit singulière pour l'époque, il suit également le cours de bactériologie de Robert Koch, ancien rival de Louis Pasteur, à l'Institut d'hygiène de Berlin.
Alexandre Yersin acquiert en 1889 la nationalité française avec le soutien de Louis Pasteur.
Mais, épris d'aventure et mal à l'aise à Paris, il obtient l'année suivante de se faire engager comme médecin de bord par la Compagnie des messageries maritimes. « Je ne serais pas fâché de quitter Paris car le théâtre m'ennuie, le beau monde me fait horreur, et ce n'est pas une vie que de ne pas bouger », écrit-il avant son départ.
C'est ainsi qu'il arrive en Indochine, que la République française vient tout juste de coloniser. Il s'amourache du petit port de Nha Trang (Annam) où il reviendra à la fin de sa vie, et prend un congé pour explorer les hauts plateaux de Cochinchine et d'Annam.
Il rencontre les tribus Moïs des montagnes et découvre un plateau dont il signalera les vertus climatiques au nouveau gouverneur général de la colonie, son ami Paul Doumer. Celui-ci y établira la station de repos de ?à L?t (ou Dalat).
En 1894, il installe un embryon de laboratoire à Nha Trang. C'est alors qu'une épidémie de peste ravage la Chine méridionale. Le chercheur est aussitôt mandaté par le gouvernement français et l'Institut Pasteur pour enquêter sur les sources du mal.
Alexandre Yersin se rend à Hongkong où l'a précédé une équipe japonaise sous les ordres du professeur Kitasato, rival de Pasteur. Il va communiquer avec eux sur ses travaux mais c'est à lui qu'en définitive reviendra le mérite de la découverte.
Pourvu de moyens dérisoires et avec la complicité d'un prêtre italien, Yersin disséque des cadavres et prélève des bubons. Dans une paillotte de Hongkong (voir ci-dessous), il les analyse avec son précieux microscope et fait des tests sur des cochons d'Inde.
Le 20 juin 1894, après trois semaines d'efforts, il réussit à identifier et isoler le responsable de ce fléau immémorial qui terrorise les hommes de toutes conditions et de tous pays. Il s'agit d'un microbe très résistant qui porte depuis lors le nom de son découvreur : le bacille de Yersin (« Yersinia pestis »).
À la demande de l'Institut Pasteur, le médecin se voit aussitôt décerner la Légion d'Honneur.
Le bacille existe à l'état naturel chez certains rongeurs d'Asie et peut être transmis par l'intermédiaire de puces à des rats et, de là, à l'homme... Les puces sont rebutées par l'odeur des moutons et des chevaux, de là le fait que les bergers et les palefreniers n'étaient pas contaminés par la maladie.
Revenu à Paris l'année suivante, Alexandre Yersin met au point avec Calmette et Roux un vaccin et un sérum contre la peste. De retour à Canton, grâce à l'intervention de l'évêque catholique de la ville, il obtient de pouvoir tester le sérum sur un séminariste promis à la mort.
Après la piqûre, le malade tombe de sommeil puis se réveille guéri ! C'est un triomphe. Alexandre Yersin devient instantanément célèbre dans le monde entier.
Un Franco-Suisse aimé des Vietnamiens
Le médecin porte dès lors ses efforts sur le développement des Instituts Pasteur fondés à Hanoi, Saigon, Nha Trang et Dalat (sérums, vaccins, travaux d'hygiène). Yersin choisit Dalat pour y établir des sanatoria.
Ses initiatives lui valent de devenir le premier doyen de la faculté de médecine de Hanoï en 1902, à l'initiative du gouverneur Paul Doumer.
Mais il renonce bientôt aux honneurs pour défendre les intérêts du peuple annamite fort méprisé et exploité, vivant au sein de la population dans le village de Soui Dau, près du port de Nha Trang (Annam).
Faute de savoir collecter des fonds auprès des bonnes âmes, il décide de gagner lui-même de l'argent et se lance dans la plantation d'hévéas avec des semis indonésiens de l'arbre à caoutchouc. Dès 1904, il vend ses premières récoltes aux frères Michelin, à Clermont-Ferrand.
Après la Grande Guerre, il développe aussi les plantations de quinquina, l'arbre à quinine (un médicament destiné à prévenir le paludisme). Il élève aussi des chevaux pour la fabrication de sérum et implante des races de vaches laitières. Il en vient enfin à cultiver des fleurs sur le plateau annamite.
Alexandre Yersin n'en continue pas moins à soigner les habitants des environs. Selon les termes d'une lettre écrite vers 1890 : « demander de l'argent pour soigner un malade, c'est un peu lui dire la bourse ou la vie ! »
Le médecin meurt le 28 février 1943, pendant l'occupation japonaise. C'est à peu près la seule figure de l'époque coloniale qui n'a pas cessé d'être vénérée au Viet-Nam, où toutes les villes ont un lycée à son nom.
Dans un documentaire d'Alain Tyr (2004), un vieil habitant de Nha Trang témoigne : « De toute ma vie, je n'ai pas vu Jésus-Christ, je n'ai jamais vu le Bouddha, ni le Brahmane. J'ai seulement vu le docteur Yersin, en chair et en os ».
Paradoxalement, la Suisse et la France (dont il avait adopté la nationalité) l'ont en revanche bien délaissé...
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Voir les 8 commentaires sur cet article
vintotal (19-06-2024 19:25:39)
Vous vouliez probablement parler de « Nha Trang » et de « Da Lat »?
JRB (19-06-2024 14:50:36)
Nombreux sont les médecins oubliés. Médecin sous-aide, Alexandre Ollivier, s'innocule en 1810 la "pourriture d'hôpital" et est sauvé par une cautérisation opportune. Il réitère son expérien... Lire la suite
BONHOURE (29-03-2020 13:37:25)
Les médecins militaires français eux ne l'ont pas oublié et ont édité un livre sur sa vie, il y a quelques années.