15 août 1550

La controverse de Valladolid

Le 15 août 1550 s'ouvre dans la somptueuse chapelle du collège Saint-Grégoire de Valladolid, au nord-ouest de l'Espagne, une controverse appelée à faire date. Elle a été voulue par l'empereur Charles Quint, également roi d'Espagne.

Un demi-siècle après la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb, le vieux souverain a décidé, par un acte de piété sans précédent, de suspendre les entreprises de conquête en Amérique aux résultats de cette rencontre entre d'éminents religieux.  

À Valladolid, qui est encore l'une des deux capitales de l'Espagne avec Tolède, ils vont débattre sur le point de savoir s'il est légitime de convertir les Indiens d'Amérique par la contrainte et de les soumettre au travail forcé. Le débat est présidé par l'envoyé du pape Salvatore Roncieri.

Contrairement à une légende tenace, il ne s'agit en aucune façon de décider si les Indiens (ou Amérindiens) ont une âme. La question a été tranchée par l'affirmative dès les premiers voyages de Christophe Colomb, la reine Isabelle de Castille elle-même en ayant jugé ainsi et réclamé que les Indiens soient traités en hommes libres. Le pape Paul III lui-même allait renouveler ces injonctions dans la bulle Sublimus Deus du 2 juin 1537 : « Nous considérons les Indiens comme de vrais êtres humains, capables de recevoir la foi chrétienne (...) et nous exigeons qu'ils ne soient pas privés de leur liberté ». N'en faisant qu'à leur guise, les conquistadors espagnols allaient allègrement contourner ces injonctions et asservir les Indiens de mille manières...

Codex Mendoza illustrant les deux parties au débat : l'architecture des Aztèques (rationalité des indigènes Indiens) opposée à leur pratique courante des sacrifices humains (indigènes barbares), XVIe siècle.

Les Indiens ont certes une âme, mais peuvent-ils assurer leur salut sans le baptême ?

La controverse va se prolonger pendant un mois et demi et reprendre l'année suivante pendant un mois à la mi-avril 1551. Elle oppose le chapelain de l'empereur, Frère Juan Ginès de Sepulveda (60 ans), au vieux dominicain Bartolomeo de Las Casas (76 ans), ex-évêque du Chiapas (Mexique) et auteur d'une Très brève relation sur la destruction des Indes.

Le premier, fin lettré et partisan de la conquête, est un théologien émérite. Il a combattu avec brio les thèses luthériennes dans un ouvrage intitulé Democrates. Dans un deuxième ouvrage, Democrates alter, il a prétendu débattre aussi de la colonisation des Amériques et de la conversion des Indiens, sujets qu'il ne connaît cependant que par ouïe-dire. 

Il défend l'idée que les Indiens sont des êtres cruels et met en avant leurs sacrifices humains. Il souligne la nécessité de les soumettre par humanité, afin de sauver au moins les victimes de ces rituels macabres et de leur assurer également le salut par le baptême.

Son contradicteur rappelle les souffrances infligées par les colons aux Indiens. Il soutient surtout que la pratique des sacrifices, si choquante soit-elle, procède d’un sentiment religieux. On offre à son Dieu ce qui est le plus précieux, or « rien dans la nature n’est plus grand ni plus précieux que la vie de l’homme ou l’homme lui-même » (note).

Avec cette approche discutable des sacrifices humains, Las Casas est le premier Européen à mettre en avant « la relativité de la notion de barbarie » (note). Mais lui aussi n'en pense pas moins que les Indiens, comme l'ensemble des hommes, ne peuvent assurer leur salut éternel hors du baptême.

L'empereur, ému par la plaidoirie de Las Casas, tentera, mais en vain, de sévir contre les abus en Amérique. Protégés par l'éloignement, les colons d'Outre-Atlantique auront beau jeu d'ignorer les injonctions impériales.

Tout juste ont-ils saisi au vol une suggestion malheureuse de Las Casas. Celui-ci, du temps où il était planteur aux Amériques, considérant que les Indiens des plateaux n'étaient pas aptes au travail dans les plantations, avait proposé de bonne foi de recourir à des travailleurs africains. Il eut plus tard le loisir de regretter cette malheureuse suggestion !

Fabienne Manière
Publié ou mis à jour le : 2023-08-23 13:06:10

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