2007

Aide humanitaire et sous-développement

À quoi sert l'aide humanitaire ? s'interroge Sylvie Brunel, agrégée de géographie et présidente d'ACF (Action contre la Faim). Elle a écrit un roman sur les dérives du « charity business » : Frontières (Denoël, 2003). Elle a aussi publié un essai, Famines et politique (Presses de Science Po, 2002), d'où vient l'extrait ci-dessous...

L'aide humanitaire et la défense des droits de l'homme remontent à un bon millénaire avec les actions caritatives de l'Église et les « trêves de Dieu » (pauses dans les guerres seigneuriales). Plus près de nous, on ne saurait oublier Las Casas ou encore l' abbé Grégoire, défenseurs des Indiens et des Noirs. C'est ainsi qu'à chaque époque de notre Histoire, le bien et le mal se sont affrontés dans un combat toujours recommencé.

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, à l'issue de la décolonisation, l'aide internationale s'est beaucoup développée jusqu'à devenir un « charity business ». Qu'il s'agisse d'environnement, de droits de l'homme ou de développement, les organisations caritatives ont adopté les techniques des entreprises marchandes en vue de collecter dons et soutiens : marketing et consommation de masse, planification des objectifs et de la stratégie... Mais leur bilan reste à faire. Aujourd'hui, paradoxalement, l'aide humanitaire apparaît comme un facteur d'accroissement de la misère. Les tyrans et bandits qui règnent sur les pays pauvres se sont en effet aperçus qu'il leur était plus profitable d'entretenir la guerre et la famine que d'oeuvrer contre le sous-développement. C'est ce dont s'inquiète ci-après Sylvie Brunel :

« L'afflux de l'aide internationale que suscite la détresse des affamés renforce encore le pouvoir de ceux qui ont orchestré la famine, en leur permettant de disposer de moyens matériels et financiers considérables. Pour ne pas tarir la manne, il suffit de maintenir la population suffisamment affamée pour que l'aide continue d'arriver, en organisant discrètement les détournements afin de ne pas décourager les donateurs. Il arrive même que, bien qu'ils soient parfaitement conscients et informés de l'utilisation de l'aide à d'autres usages que les besoins des affamés, les bailleurs de fonds institutionnels réagissent en donnant plus encore, afin de saturer d'aide alimentaire la zone frappée par la famine. Leur but est de permettre que même les personnes les plus vulnérables aient accès à une nourriture tellement aisée à se procurer, du fait de son abondance, que sa valeur économique s'effondre. C'est ainsi que, paradoxalement, les régimes les plus manipulateurs, ceux qui occasionnent les souffrances les plus grandes à leur peuple, sont aussi ceux qui reçoivent les aides alimentaires les plus importantes : pour la décennie 1990, le Soudan, l'ex-Yougoslavie de Milosevic ou la Corée du Nord, par exemple.

On comprend aisément pourquoi, pour de nombreux mouvements en quête de moyens financiers et matériels, de pouvoir et de reconnaissance internationale, la guerre est aujourd'hui plus intéressante que la paix. Alors que les moyens financiers de la coopération auraient dû, avec la fin de la guerre froide et les programmes de "bonne gouvernance" mis en oeuvre par les institutions financières internationales pour régler la crise de la dette, appuyer les efforts démocratiques menés dans des pays du Sud, qui ont été fortement incités à revoir leurs méthodes de gouvernement autoritaires ou dirigistes, c'est le contraire qui s'est produit: l'aide publique au développement a été non seulement drastiquement réduite, mais s'est en réalité fait phagocyter par les situations d'urgence, au détriment de cette faim silencieuse que représentent la malnutrition chronique et le sous-développement »
(Sylvie Brunel, Famines et politique, pages 119-120, Presses de Science Po, 2002).

Publié ou mis à jour le : 2020-06-20 10:36:48

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