Dans cette vidéo, je me propose de retracer les grandes migrations des peuples d’Afrique subsaharienne en me basant sur la linguistique et en m’aidant de la génétique.
Commençons par un état des lieux actuel. Les peuples d’Afrique peuvent être regroupés en grandes familles linguistiques qui témoignent de liens souvent très anciens. En Afrique du nord et dans la corne de l’Afrique se trouvent les Afro-Asiatiques qui débordent sur la péninsule arabique. J’en ai déjà fait une vidéo à part entière et je les mettrai donc un peu de côté ici. En Afrique subsaharienne, ce sont les Nigéro-Congolais qui forment le groupe dominant. Ils témoignent de migrations massives qui ont concerné l’ensemble de cette aire et ils incluent notamment les Bantous. Les autres groupes linguistiques sont les Nilo-Sahariens au nord, les Khoisans et les Indo-Européens au sud, et les Austronésiens dans le cas particulier de Madagascar.
Passons à la situation génétique : je vais me concentrer sur l’haplogroupe Y qui est le plus adapté aux échelles de diffusion des langues.
L’haplogroupe A est le plus ancien du monde : il est apparu il y a 180000 ans, lorsque Homo Sapiens n’était pas encore sorti d’Afrique, et c’est pourquoi on ne le trouve que sur ce continent. Même chose pour l’haplogroupe B, qui est très mélangé au A du fait de son ancienneté. On voit que ces 2 haplogroupes sont surtout associés aux Nilo-Sahariens et aux Khoisans, qui forment donc comme une mémoire de temps très reculés.
L’haplogroupe dominant en Afrique est toutefois le groupe E, apparu plus tardivement il y a 70000 ans, sans doute au niveau des plateaux éthiopiens. Il se subdivise en 2 sous-groupes principaux : le E1b1b au nord, qui est étroitement lié aux peuples afro-asiatiques ; et le E1b1a au sud, qui est lié aux Nigéro-Congolais. Ils témoignent de migrations amorcées vers la fin de l’époque glaciaire.
Après cet état des lieux, je vous propose maintenant de retracer l’histoire de ces migrations en démarrant au cœur de la dernière glaciation. Ça correspond à une époque très aride : le Sahara est infranchissable en dehors de la vallée du Nil. Quant à la forêt dense de l’équateur, elle est peu propice aux grands déplacements. L’endroit le plus favorable aux fortes densités de population se trouve au niveau des plateaux éthiopiens, à la fois bien arrosés et épargnés par les maladies tropicales grâce à l’altitude : c’est là qu’émerge le groupe E.
Il existe alors 2 bandes de savanes favorables aux migrations : l’une vers l’ouest et l’autre vers le sud. Il reste peu de traces d’éventuelles migrations vers le sud ; en revanche, il y a clairement eu plusieurs migrations vers l’ouest.
Ca commence en direction du nord de l’Ouganda : c’est là qu’un groupe E2 se sépare du E1. Le E1 poursuit ensuite jusqu’à l’atlantique où il donne naissance au E1a, distinct du E1b qui émerge en Ethiopie.
Ce E1b se diffuse lui-même vers l’ouest, peut-être vers 20000 av JC. Peu après apparaissent les 2 sous-groupes qui subsistent aujourd’hui : le E1b1b en Ethiopie, où on parle le proto-afro-asiatique ; et le E1b1a sur les abords du haut Niger et du haut Sénégal, où on parle le proto-nigéro-congolais.
Ce sont d’abord les Afro-Asiatiques E1b1b qui descendent le Nil et s’étendent sur les rives de la Méditerranée, peut-être dès 12000 av JC. Puis le reverdissement post-glaciaire leur permet de traverser le Sahara du nord au sud. Vers 6000 av JC, cette nouvelle pression depuis le nord accélère la migration des Nigéro-Congolais E1b1a, qui s’étendent bientôt du Sénégal au Cameroun.
Le bouleversement suivant est lié à la domestication du mil autour du moyen Niger au cours du IIIe millénaire avant JC. Vers 2000 av JC, l’agriculture se diffuse de proche en proche, notamment au sein des Nigéro-Congolais. En parallèle, l’assèchement du climat a rouvert la route de migration traditionnelle. Grâce à leur supériorité démographique permise par l’agriculture, les Bantous commencent à supplanter les populations de chasseurs-cueilleurs implantées plus à l’est et ils atteignent l’Ouganda vers 1000 av JC. Ils amorcent aussi un mouvement plus lent vers le sud en pleine forêt aux dépens des Pygmées.
Cette migration des Bantous connaît une soudaine accélération vers 500 av JC avec l’adoption de la métallurgie du fer. Les Bantous s’étendent alors vers le sud sur toutes les terres propices à l’agriculture, essentiellement aux dépens des Khoïsans. Vers 500 ap JC, ceux-ci se retrouvent confinés dans les régions les plus sèches moins favorables aux cultures.
L’Antiquité tardive correspond à un pic de froid et de sècheresse. C’est sans doute ce qui pousse certains Nilo-Sahariens du Soudan à migrer vers la vallée du Nil au IVe siècle. Ils contribuent à ruiner le royaume de Méroé de culture égyptienne et ils y fondent de nouveaux royaumes. Ce sont les ancêtres des Nubiens actuels.
Une autre migration exceptionnelle a lieu un peu avant ces évènements : profitant des courants commerciaux dans l’Océan Indien au début de notre ère, des Austronésiens venus de Bornéo atteignent Madagascar et les Comores. Ils y apportent leur langue, le malgache. Très vite, le commerce avec le continent favorise l’arrivée de populations bantoues sur l’île, qui adoptent le malgache.
Ce phénomène s’intensifie considérablement au IXe siècle : le monde arabo-musulman revitalise le commerce dans l’océan indien, et des marchands arabes et perses s’implantent sur la côte orientale de l’Afrique. Les populations bantoues locales s’impliquent massivement dans ce commerce avec les Arabes, ce qui crée l’unité du monde swahili. Le swahili devient même majoritaire aux Comores où il devient le comorien.
En dépeuplant l’intérieur des terres du Kenya, le commerce d’esclaves par les Arabo-Swahili a pu favoriser la migration de peuples nilo-sahariens depuis le sud-Soudan dans la 1ère moitié du 2e millénaire. C’est l’origine des Masaï, entre autres.
Enfin le monde arabo-musulman permet la mise en place du commerce transsaharien, notamment grâce à l’introduction du dromadaire. L’or d’Afrique de l’ouest devient l’un des enjeux de ce commerce. Les gisements du Mali permettent la formation du premier empire subsaharien au XIIIe siècle. C’est l’origine de l’expansion des peuples Mandé. Ça favorise aussi le déplacement des peuples nomades, en particulier les Peuls qui nomadisent du fleuve Sénégal jusqu’au fleuve Niger au début du XVe siècle. Puis le développement de l’empire Songhaï pousse certains d’entre eux vers le pays haoussa, puis jusque dans l’actuel Cameroun vers 1600.
Pendant ce temps-là, les Arabes venus d’Egypte s’installent de plus en plus massivement au Soudan. Ils y supplantent les Nilo-Sahariens, sauf dans certaines poches résiduelles.
A cette époque, les Portugais se sont implantés sur les îles du Cap Vert et de Sao Tomé, auparavant inhabitées. Ils y amènent de nombreux esclaves depuis le continent pour cultiver les plantations, tant et si bien que les Nigéro-Congolais deviennent rapidement majoritaires sur ces 2 archipels.
C’est en 1652 que les Hollandais fondent la colonie du Cap en tant qu’étape commerciale. L’immigration s’intensifie au siècle suivant, et les colons tendent à supplanter les populations locales dans les régions sèches, moins densément peuplées : ça se fait donc surtout aux dépens des Khoïsans dont le territoire reflue encore. Le néerlandais évolue jusqu’à devenir l’afrikaans. Puis au XIXe siècle, la colonisation britannique donne de plus en plus d’importance à la langue anglaise.
On va terminer cette vidéo en faisant le bilan aujourd’hui : les Khoïsans ne subsistent plus qu’au Botswana et en Namibie. Quelques peuples apparentés habitent aussi en Tanzanie, ce qui est un indice de l’immense domaine qu’ils occupaient avant l’expansion bantoue.
De même, les Nilo-Sahariens étaient sans doute beaucoup plus répandus avant les expansions afro-asiatique et nigéro-congolaise : les Songhaï implantés sur le fleuve Niger en constituent une sorte de témoignage.
Par ailleurs, il faut aussi mentionner les Pygmées qui occupaient toute la forêt équatoriale : il n’en reste plus que des tribus isolées au Congo, qui ont adopté les langues avoisinantes mais ont conservé leur haplogroupe B originel jusqu’à aujourd’hui.
Parlons maintenant de Madagascar. Le malgache originaire de Bornéo y est prépondérant, mais la situation génétique est plus complexe : la population a 70% de ses ancêtres originaires de l’Afrique bantoue, avec un haplogroupe E1b1a très dominant. Un peu plus de 20% des ancêtres viennent d’Indonésie ou de Malaisie, et correspondent donc aux Austronésiens originels. Enfin moins de 10% correspondent aux marchands venus d’Arabie et d’Iran.
A eux seuls, les Bantous occupent plus de la moitié de l’Afrique Subsaharienne. Ils incluent un grand nombre de peuples dont les plus connus sont les Swahili et les Zoulous. Au niveau génétique, il se divisent en deux zones : la plus grande partie possède une proportion notable d’haplogroupe E2 qui est prédominant en Ouganda. Ça confirme que la migration bantoue s’est largement faite par cette région : le E2 est absent chez les Bantous situés plus à l’ouest.
Les autres Nigéro-Congolais se subdivisent en plusieurs familles qui englobent elles-mêmes de nombreuses langues. L’arbre linguistique place les premières divergences plutôt vers le haut Niger ou le haut Sénégal : on y trouve à la fois les langues mandés, dogon, atlantique et voltaïco-congolaises. Les langues atlantiques ont ensuite atteint l’océan à l’ouest tandis que les langues voltaïco-congolaises se propageaient vers l’est en 2 vagues parallèles. C’est la branche méridionale qui finira par donner naissance aux Bantous.
Pour finir là-dessus, il faut signaler que certaines langues kordofaniennes au Soudan appartiennent aussi au groupe nigéro-congolais, ce qui laisse présager des migrations depuis l’ouest difficiles à dater.
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