Le 27 novembre 1942, la flotte française se saborde en rade de Toulon pour échapper à l'armée allemande qui a, deux semaines plus tôt, franchi la ligne de démarcation et vient d'investir le port. Ce sabordage est ressenti comme un affront par les Alliés anglo-saxons qui auraient préféré que les navires prennent le large et rejoignent le combat contre l’hydre nazie...
Une flotte très convoitée
Les conventions d'armistice du 22 juin 1940 ont placé la flotte française sous l'administration de Vichy, en théorie à l'abri des convoitises tant allemandes qu'anglaises. Mais ces derniers, sous l'énergique direction de Churchill, ne veulent pas prendre de risque et s'emparent de tous les navires à leur portée, notamment à Alexandrie et dans les Antilles. Ils détruisent par ailleurs l'escadre de Mers el-Kébir.
En dépit de ces avanies, la « Royale », cette flotte qui fait la fierté de la France depuis l'Ancien Régime, conserve de très beaux bâtiments à l'abri dans la rade de Toulon, jusqu'à ce jour fatidique où pointent à l'entrée du port les premiers chars allemands...
Le sabordage plutôt que les Anglais
L'amiral Jean de Laborde, qui commande la flotte de Toulon, exclut que la marine française entre au service des Allemands mais, comme la plupart de ses pairs et des officiers de la marine, il refuse avec la même détermination qu'elle se mette au service des Alliés et en particulier des héritiers de l'amiral Nelson, le vainqueur de Trafalgar !
Il donne en conséquence l'ordre de sabordage au petit matin, dès qu'il apprend que les Allemands ont pénétré dans le « camp retranché » de Toulon. Les blindés allemands s'étant heureusement perdus dans les dédales du port, ils ne peuvent arriver à temps pour empêcher le sabordage et s'emparer de la flotte.
En quelques minutes, 90 navires dont 3 cuirassés, 7 croiseurs, 16 contre-torpilleurs... sont détruits par leurs équipages selon un scénario mis au point deux ans plus tôt, lorsque la France fut occupée par les Allemands.
Seuls cinq sous-marins ont le temps de quitter la rade et trois d'entre eux gagnent l'Afrique du nord pour se mettre au service des Alliés et combattre Hitler. Un autre se saborde à la sortie du port et le dernier choisit d'aller en Espagne, pays neutre, pour y être désarmé.
Après le drame de Mers el-Kébir et le sabordage de Toulon, la « Royale » voit son tonnage réduit de moitié par rapport à 1939 et la plupart de ses bâtiments encore en état de naviguer sont aux mains des Anglo-Saxons.
De Laborde considère que son honneur est sauf, la flotte française n'ayant eu à servir ni l'occupant allemand ni l'ennemi héréditaire, l'Anglais. À Londres, le général de Gaulle regrette en son for intérieur qu'il n'ait pas tenté de fuir avec sa flotte vers l'Afrique du nord. Il n'en salue pas moins à la BBC le choix courageux de l'amiral de Laborde et déclare : « Au moment où les navires allaient être saisis par l'ennemi, le réflexe national a joué dans les âmes des équipages et des états-majors. »
À Vichy, le gouvernement collaborationniste du maréchal Pétain perd son dernier atout face aux Allemands et à l'opinion publique. Privé de ses plus belles colonies depuis l'invasion de l'Afrique du nord par les Anglo-Saxons et n'ayant plus qu'un semblant d'autorité sur la métropole après l'occupation de la « zone libre » par la Wehrmacht, ce gouvernement n'est plus qu'un pantin entre les mains de l'occupant.
Après la guerre, l'amiral Jean de Laborde sera condamné à mort et sa peine commuée en détention. En septembre 1951, il sera gracié par le président Vincent Auriol après six ans à la prison de Clairvaux.
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Volpi Rémy (29-11-2022 10:39:05)
Peu importe les détails de cet atroce gâchis, reflet de la fatuité de l'Amirauté. Lutter seuls - en restant à quai - pour ne se donner ni à l'envahisseur ni à ses alliés? Mers-El-Kebir, à l'opposé d'Alexandrie, avait déjà été un absurde suicide. Mais il est vrai que seuls les imbéciles ne changent pas d'avis. Alors oui, la France et son Empire régnera sur le monde au nom de sa mission civilisatrice, protégée par sa Marine de guerre, et également, comme le pensait le général Chauvineau dans son best-seller réédité en février 1940 "Une Invasion est-elle encore possible?", par ses fortifications et sa puissance de feu rendant inexpugnable le territoire sans qu'il soit besoin de s'allier à quelque pays que ce soit. Un peu plus de réalisme, quitte à se départir de ces postures à la Picrochole hautement contre-productives, eût été bienvenu. Cela dit, il est facile de juger après coup de ce qu'il eût été judicieux de faire, surtout quand on en rien appliqué (je parle de votre serviteur). Pour autant, Marc Bloch qui a vécu ces événements parle de "L'Etrange Défaite", tandis qu'avec le recul du temps, Claude Quétel, directeur de recherche au CNRS, parle de "L'Impardonnable Défaite".
FREDI83 (28-11-2017 00:44:48)
Pour être un peu plus précis sur le déroulement :
Vers 04h30 les Allemands entrent dans le Fort Lamalgue et arrêtent l'amiral Marquis, Préfet maritime.
Pendant ce temps son chef d'état major le contre-amiral Robin, présent aussi à Lamalgue, parvient à transmettre au major général de l'arsenal, le contre-amiral Dornon, l'ordre de sabordage qu'il retransmet aussitôt à l'amiral Laborde à bord du Strasbourg.
La première intrusion des troupes allemandes dans l'arsenal s'effectue à 4h50 à la porte Nord (Port-marchand). C'est dans ce secteur que sont tirées les premières rafales de mitrailleuses sur les sous-marins comme le mentionne le rapport de la Haute Cour de Justice.
A 5h25 la porte de l'arsenal principal est à son tour enfoncée par les blindés allemands. Le Strasbourg, bâtiment amiral des Forces de Haute Mer, lance par radio l'ordre général de sabordage répercuté également par signaux optiques.
Le branle-bas sonne alors brusquement sur tous les navires bientôt suivi de l'ordre d'évacuation. Ne restent à bord que les équipes de sabordage préalablement désignées et constituées.
Pendant ce temps, les chars allemands ne parviennent pas à se repérer dans l'arsenal et vont perdre de nombreuses minutes avant d'atteindre leurs objectifs ; permettant ainsi aux équipes de sabotages de remplir leur mission.
En quelques minutes de multiples explosions vont secouer les bâtiments présents dans l'arsenal, au point que les toulonnais croiront en un terrible bombardement et pour certains en un tremblement de terre. Certains navires, comme les croiseurs Algérie, Marseillaise ou Dupleix, brûleront pendant plusieurs jours.
Du coté du Mourillon, cinq sous-marins bravent les ordres de sabordage et parviennent à franchir les passes du port militaire au prix des pires difficultés (champs de mines magnétiques, bombardements allemands).
Deux rallieront Alger, le Casabianca et le Marsouin, un ralliera Oran, Le Glorieux. L'Iris ira trouver refuge à Barcelone tandis que la Vénus préférera se saborder en grande rade. Un seul bâtiment de surface, le Leonor Fresnel, du Service des Phares et Balises, ralliera Alger, après s'être échappé des Salins d'Hyères.
Sur le Strasbourg, l'amiral de Laborde refuse de quitter son navire, il ne comprend toujours pas pourquoi Hitler a renié sa parole, celle de ne rien entreprendre contre la flotte française. Il faudra un ordre personnel du maréchal Pétain pour qu'il accepte d'abandonner le bord. En acceptant ce sacrifice, la Marine a respecté son serment de 1940, ne jamais livrer la Flotte a des mains étrangères.
Le bilan au soir du 27 novembre fait état de 90 % de la flotte sabordée, dont la totalité des Forces de haute mer. Tous les grands bâtiments de combat sont coulés et irrécupérables. Certains seront par la suite renfloués mais ne feront jamais que de la ferraille.
Ce sont au total 235 000 tonnes sabordées dont 3 cuirassés, 7 croiseurs, 15 contre-torpilleurs, 13 torpilleurs, 6 avisos, 12 sous-marins, 9 patrouilleurs et dragueurs, 19 bâtiments de servitude, 1 bâtiment-école, 28 remorqueurs et 4 docks de levage.
Seuls 39 bâtiments seront capturés, tous de petit tonnage sans grande valeur militaire car sabotés, endommagés, ou pour certains désarmés.
Pour les Allemands, l'opération Lilas se solda donc par un échec, dû au retard du second groupe allemand (celui venant de l'Ouest), à la qualité des " liaisons marines » et à la parfaite mise au point des consignes de sabordage. Coté français, il serait bien prétentieux de parler de " brillante opération », dans ce désastre qui voit la disparition d'une des plus belle flotte que la France ait jamais comptée. Tout fut perdu, fors l'honneur...
N'oubliez pas...
Anonyme (14-02-2012 08:35:53)
L'Amiral Jarry mon grand-père a participé au sabordage il avait déjà vécu le drame de Mers-El-Kébir Pauvre Flotte Française si durement éprouvée....