26 février 1885

La conférence de Berlin livre le Congo au roi des Belges

Le 26 février 1885 prend fin la conférence de Berlin sur l'Afrique, aussi appelée Westafrica-Konferenz ou Kongokonferenz (Conférence sur le Congo).

Encore très largement inexploré et considéré par les Européens comme une terre sans maître, l'immense continent noir est partagé comme une vulgaire tarte aux pommes... sans que les habitants, pas plus que les pommes, aient leur mot à dire.

Alban Dignat

Le Congo, objet de toutes les convoitises

Léopold II, roi des Belges (1835-1909Une dizaine d'années plus tôt, le roi des Belges Léopold II a organisé à ses frais une conférence de géographie à Bruxelles en vue de faire le point sur l'exploration de l'immense bassin du Congo, au centre de l'Afrique équatoriale.

Presque aussi vaste que les Indes, il est l'un des rares espaces de la planète encore libres de toute ingérence européenne.

Le roi songe à rien de moins que de s'approprier et coloniser ce territoire considéré comme terra nullius (« terre sans maître »). Mais les Français, installés à l'embouchure du Congo, ont aussi des visées sur lui, à commencer par Savorgnan de Brazza qui a conclu le 10 septembre 1880 un premier traité avec un chef de la rive droite du fleuve.

Plus au sud, les Britanniques et les Portugais sont en bisbille à propos de l'arrière-pays des implantations portugaises d'Angola et du Mozambique. Ces implantations médiocres contrarient le projet britannique de relier Le Cap au Caire par un ensemble continu de colonies...

Pour ne rien arranger, les Allemands eux-mêmes commencent à s'intéresser à l'Afrique noire, avant tout pour des questions de prestige. Le 24 février 1884, le Reich place sous sa protection les implantations allemandes du Sud-Ouest africain.

Tout juste deux jours plus tard, le gouvernement de Londres signe avec Lisbonne un traité par lequel il reconnaît la souveraineté du Portugal sur l'embouchure du Congo. Tollé chez les marchands anglais et protestations de Léopold II.

Otto von Bismarck (Schönhausen, 1ᵉʳ avril 1815 ; 30 juillet 1898, Friedrichsruh)Le 24 avril 1884, le chancelier Bismarck s'entretient de l'Afrique avec l'ambassadeur de France Alphonse Chodron de Courcel et, pour la première fois, évoque une concertation internationale sur le sujet afin de mettre tout le monde d'accord.

Après le succès du congrès de Berlin sur les Balkans, en 1878, il ne déplaît pas au chancelier de replacer Berlin au coeur de la diplomatie européenne et mondiale... même si, pour son compte, il se désintéresse totalement des conquêtes coloniales. « Les colonies, avait-il déclaré en 1871, seraient pour nous, Allemands, semblables aux manteaux de zibeline doublés de soie des nobles polonais, qui n'ont pas de chemise pour porter en dessous » (autrement dit, l'Allemagne a mieux à faire que de se doter de colonies, par exemple renforcer ses infrastructures, se doter d'une marine, consolider ses positions en Europe...).

La conférence de Berlin sur l'Afrique (26 février 1885)

La conférence et ses résultats

C'est ainsi que s'ouvre la conférence, le samedi 15 novembre 1884, au palais Radziwill, Wilhelmstrasse, résidence du chancelier Bismarck. Y participent les représentants des puissances directement concernées par le Congo : l'Allemagne, l'Angleterre, la France et le Portugal. Participent aussi la Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne et les États-Unis, ainsi que, pour la forme, l'Autriche-Hongrie, la Suède le Danemark, l'Italie, la Russie et la Turquie ottomane, soit au total 14 États.

D'emblée, les participants, à commencer par Bismarck, se fixent de nobles objectifs comme le désenclavement du continent africain ou l'éradication de l'esclavage et de la traite musulmane.

Le représentant anglais prévient qu'il ne sera pas plus question de traiter du bassin du Niger, domaine réservé de l'Angleterre, que de celui du Sénégal, domaine réservé de la France. L'attention se focalise donc sur celui du Congo, pompeusement qualifié par Bismarck de «  Danube de l'Afrique  ».

La lettre d'invitation à la conférence prévoyant de traiter des « nouvelles occupations sur les côtes d'Afrique », les Anglais proposent d'édicter aussi des règles pour l'intérieur ! Mais l'ambassadeur de France fait observer que cela reviendrait à un partage de l'Afrique, ce qui n'est pas l'objet de la conférence ! Dont acte.

Après trois mois et demi de négociations et seulement huit réunions plénières, qui ont laissé du temps pour les réceptions, bals et autres divertissements, les participants signent enfin l'« acte général » de la conférence.

Cet acte définit des zones de libre-échange dans le bassin du Congo. Il proclame la liberté de navigation sur les grands fleuves africains, le Niger et le Congo. Il arrête aussi quelques principes humanitaires contre la traite des esclaves ainsi que le commerce de l'alcool et des armes à feu. Enfin et surtout, il reconnaît à Léopold II, roi des Belges, la possession à titre privé d'un vaste territoire au coeur de l'Afrique noire, qui sera baptisé « État indépendant du Congo » !

Léopold II comblé

Drapeau de l'État indépendant du Congo (XIXe siècle)Le principal bénéficiaire de la conférence de Berlin est donc le roi des Belges, qui a consacré sa fortune personnelle à l'exploration et à l'occupation de l'Afrique centrale et voit ses efforts récompensés.

Son « État indépendant du Congo », avec son drapeau bleu avec étoile d'or au centre, est reconnu sans tarder par les États-Unis. Léopold II promet aux grandes puissances de l'ouvrir à leur commerce. Lui-même va s'efforcer de tirer de sa colonie un maximum de ressources (caoutchouc...), au prix du travail forcé. À sa mort, il lèguera le Congo à la Belgique mais celle-ci ne l'acceptera qu'à son corps défendant.

Caravane des porteurs d'une troupe coloniale et indigène allemande (Schutztruppe) au Kilimandjaro, Rudolf Hellgrewe, vers 1900.

Un continent à l'encan

La conférence de Berlin  ne suscite qu'indifférence en Europe où l'opinion publique se désintéresse dans son immense majorité des conquêtes coloniales mais elle s'avère capitale pour le continent noir, dont le taux d'occupation par les Européens va passer en une dizaine d'années de 10% à 90%.

A chacun sa part (conférence de Berlin de 1885), caricature françaiseLes États européens déjà présents sur le littoral africain vont, dans les jours et les années qui suivent la conférence de Berlin, régler par des traités bilatéraux le sort de l'arrière-pays.

Ainsi, dès le lendemain de la clôture de la conférence, le 27 février 1885, l'Allemagne, qui ne pouvait faire moins, jette son dévolu l'Afrique orientale (Kenya, Tanganiika et Rwanda-Urundi) en complément des territoires acquis dans l'année écoulée : Sud-Ouest africain, Togo et Cameroun.

La France se voit reconnaître la possession de vastes territoires en Afrique de l'ouest. Le chancelier Bismarck espère, mais à tort, qu'elle se résignera ainsi à la perte de l'Alsace-Lorraine.

Quant à l'Angleterre, elle s'aménage la possibilité de constituer un axe continu du Caire au Cap, de la Méditerranée à la pointe sud du continent, selon l'ambition de Cecil John Rhodes, fondateur de la compagnie De Beers et Premier ministre de la colonie du Cap de 1890 à 1896. Elle réalisera brièvement ce rêve avec l'annexion de l'Afrique orientale allemande après la Grande Guerre de 14-18.

Bibliographie

On peut lire sur la conférence et son contexte l'ouvrage de Christine de Gemeaux et Amaury Lorin : L’Europe coloniale et le grand tournant de la Conférence de Berlin (1884-1885) (Paris, Le Manuscrit, 2013) ainsi que celui d'Henri Wesseling : Le partage de l'Afrique, 1880-1914 (Paris, Denoël, 1991).

Publié ou mis à jour le : 2023-02-24 14:50:38

Voir les 6 commentaires sur cet article

Guiot (26-02-2019 19:38:16)

Je constate par les commentaires que beaucoup de gens sont encore victimes de l'entreprise de désinformation des pays jaloux de la Belgique et déçus de leur désintérêt lors de la conférence de ... Lire la suite

Jérôme Chiffaudel (21-08-2013 18:01:32)

Les pays arabes sont musulmans. L'islam et le christianisme ont beaucoup de points communs essentiels, néanmoins la repentance, liée au pardon, est une notion très chrétienne. Donc attendre un... Lire la suite

armandrichard@neuf.fr (27-02-2013 12:04:01)

Je partage tout à fait l'avis de M. Colombani. J'ajouterai que la colonisation, si elle a créé le travail forcé, elle a libéré les populations noires de l'esclavage, comme au Tchad ou au Congo. ... Lire la suite

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