Attali contre Le Goff

Un nouveau Moyen Âge ?

Mai 2000 : faut-il craindre un nouveau Moyen Âge comme le suggère Jacques Attali ?

Les faits

Dans un entretien accordé au quotidien parisien Libération, le 5 mai 2000, Jacques Attali, brillant dilettante de la pensée et de l'Histoire, se hasarde à pronostiquer : « Nous entrons dans une période de nouveau Moyen Âge ».

L'ancien conseiller du président François Mitterrand pense moins à un retour au temps des cathédrales qu'à l'époque beaucoup plus lointaine où se désagrégeait l'Empire romain d'Occident. Il écrit : « Nous connaissons déjà un exemple de ce qui pourrait arriver : la Somalie. Des bandes tribales s'affrontent sans aucun pouvoir pour les séparer (...). Nous vivons en ce moment la période flamboyante de la fin de l'empire (...). Ce Moyen Âge bunkérisé est déjà là : ce sont les guerres locales, les banlieues qui s'isolent, les riches qui s'isolent, les touristes qui se font prendre en otage. »

Ses propos ont suscité l'ire de l'historien Jacques Le Goff. Le médiéviste s'est fendu d'une réponse dans le même quotidien, le 15 mai, en regrettant que la « vieille notion du Moyen Âge comme âge de ténèbres » ait survécu aux travaux de recherche des historiens contemporains.

Jacques Le Goff déplore aussi la propension à évoquer un possible « retour de l'histoire », comme s'il était concevable que se reproduisent à l'identique les phénomènes humains.

Commentaires

L'analogie entre notre époque et ce que l'on croit avoir été la fin de l'empire romain est un thème récurrent de la pensée européenne depuis un bon siècle. Elle nourrit utilement nos analyses en offrant des points de comparaison et en ouvrant des champs de réflexion.

La connaissance de l'Histoire peut nous aider à apprécier la portée de certains phénomènes politiques. C'est ainsi que les institutions nationales et européennes, hypertrophiées, rigides... et de moins en moins respectées peuvent susciter quelques points de comparaison avec le passé ; moins avec le Moyen Âge ou l'Empire romain d'Occident qu'avec l'Empire byzantin, bureaucratique et autoritaire.

Par analogie avec la fin de l'empire romain, les bouleversements démographiques et humains dans l'Europe contemporaine peuvent susciter quelques inquiétudes (migrations, dénatalité, révoltes, appauvrissement de la périphérie de l'Europe...) mais gardons-nous du catastrophisme.

Sur un plan social et économique, le Bas-Empire a pu se traduire aussi en certains lieux par une amélioration relative des conditions de vie des populations les plus modestes. Voir à ce propos les recherches de l'historien Henri-Irénée Marrou : Décadence romaine ou Antiquité tardive ? (Points/Seuil).

Jacques Le Goff a sans doute raison de souligner que l'Histoire ne réemprunte jamais les mêmes chemins. Le plus sûr enseignement que nous pouvons en tirer est que rien n'est jamais écrit.

Que ne recense-t-on toutes les erreurs de pronostic des dernières décennies ? marginalisation de la race noire (au début du XXe siècle), diminution de la population française (dans les années 1930), victoire finale du soviétisme (dans les années 50)... Réjouissons-nous de ces incertitudes et de ces erreurs. Elles nous écartent du désespoir comme d'un optimisme exagéré.

Joseph Savès
Attali, disciple d'Althusser et de Sulitzer

L'essayiste Jacques Attali appartient à une génération qui a été sevrée au biberon du marxisme (Althusser...) et tous ses travaux s'en ressentent, qui placent l'économie au centre des motivations humaines, de L'Anti-économique (1975) à sa Brève histoire de l'avenir (2006). Ce dernier essai est une mise à jour new look de la vieille analogie entre le déclin de l'Occident contemporain et la fin de l'empire romain sur fond d'invasions barbares.

Jacques Attali, auteur prolixe, a industrialisé l'écriture à la manière de Paul-Loup Sulitzer, auteur de best-sellers ! Dans chaque ouvrage, il affiche dès les premières pages l'idée qui l'a inspiré : par exemple, « la propriété cache la peur de la mort » (Du propre au figuré, 1988). Ensuite, en guise de démonstration, il enfile des annotations encyclopédiques, distrayantes mais sans aucune articulation entre elles ni aucun semblant de démonstration.

Ainsi, dans Du propre au figuré, il énumère des centaines d'observations anthropologiques puis enchaîne avec les querelles de succession des petits-fils de Charlemagne mais oublie de parler des moines mendiants du XIIIe siècle (Dominicains et Franciscains), pourtant au coeur de la problématique sur la propriété ! Comme ses autres essais, ce livre reste conforme à une approche marxisante de l'histoire. Ainsi voit-on un Ordre marchand succéder à un Ordre impérial puis un Ordre féodal...

Dans Une brève histoire de l'avenir, Jacques Attali emprunte au grand historien Fernand Braudel (sans l'avouer) sa théorie des « économies-monde », tout en l'adaptant à ses a priori. Ainsi, considérant que seul un port peut dominer le monde, il exclut de sa liste d'économies-monde la Florence du XVe siècle !... Mais qu'importe l'indigence du contenu quand le flacon est si bien présenté ?

Jacques Attali a écrit entre autres une pièce de théâtre sur la Nuit de Cristal : Du Cristal à la fumée. À la demande du président Nicolas Sarkozy, il a aussi supervisé un Rapport sur la croissance (2008) qui prône un alignement de la société française sur le modèle américain (désengagement de l'État, développement des fonds de pension, de la retraite par capitalisation et du crédit hypothécaire etc).

 

Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14
jean-marc (15-03-2018 22:26:53)

Attali a toujours été prêt à dire n'importe quoi pourvu qu'on parle de lui:le matin pour annoncer:Nous entrons dans une période de nouveau Moyen Âge" et l'après-midi pour nous dire que nous en... Lire la suite

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