1er mars 2020. Jusqu'à aujourd’hui, la recherche historique s’est principalement intéressée aux expositions coloniales dans les grandes villes françaises, notamment à Paris, Marseille et Lyon. Dans sa thèse, Christelle Lozère a fait le pari de décentrer son regard en s’intéressant aux autres villes de province.
Dès 1850, ces « petites patries » organisent des « salons coloniaux » dont le modèle va progressivement se répandre dans toute la France. À travers ces expositions, des amateurs collectionneurs, puis l’État central, vont participer à la diffusion d’un imaginaire colonial.
Les objets des colonies vont alors passer du statut d’objet rare et curieux à celui d’un objet colonisé, façonné par les discours coloniaux de l’époque…
Bordeaux, Nantes, Le Havre, Rochefort, Cherbourg, Nice, Lyon ou encore Rouen ouvrent, dès la seconde moitié du XIXe siècle, leurs expositions industrielles, agricoles et artistiques aux colonies françaises.
Ces manifestations sont d’abord modestes, peu structurées, organisées par une société savante locale autour d’un concours régional dans le but de stimuler en priorité le commerce régional. Elles témoignent également d’un désir de reconnaissance nationale.
L’exposition des produits coloniaux répond à une double nécessité comme à Bordeaux, dès 1850. D’une part, les professionnels veulent identifier et faire découvrir aux consommateurs les produits venus d’ailleurs et notamment des colonies françaises. C’est un vivier potentiel extraordinaire mais sa méconnaissance par le grand public reste un frein au développement du commerce.
D’autre part, les organisateurs des salons veulent aussi témoigner leur soutien à la politique « coloniste ».
De plus en plus structurées, les expositions régionales, qui deviendront progressivement « nationales », « internationales » puis « universelles » et « coloniales », se généralisent dans toute la France. Elles proclament leur filiation avec Paris qui encourage la décentralisation. Le phénomène est si important en province qu’une concurrence naît entre les villes obligeant les organisateurs à se démarquer, à être plus ambitieux en favorisant souvent les effets spectaculaires.
Les enjeux économiques et symboliques de l’internationalisation sont importants. Au début du XXe siècle, les politiques culturelles de Bordeaux, Rouen, Le Havre Lyon, La Rochelle ou encore Marseille rivalisent d’idées pour marquer les esprits, et enclenchent une véritable course au titre de « ville coloniale » de France par la circulation et la vulgarisation de l’image.
Pour les villes portuaires, en particulier, les références aux traditions maritimes et coloniales font ressurgir des images et des symboles du passé. L’identité se présente comme naturelle et héréditaire, en lien avec des positions géographiques privilégiées et des histoires anciennes avec les outremers.
Le succès de l’Exposition universelle de 1889 à Paris et le triomphe de l’Exposition coloniale de Lyon de 1894, avec leurs pavillons coloniaux et leurs « villages nègres », obligent les villes maritimes à ne pas rester en retrait. Face à la multiplication des expositions en province, une nécessité s’impose : elles doivent affirmer leurs identités et leurs savoir-faire maritimes pour se différencier de la concurrence en donnant l’image de villes dynamiques, compétitives, tournées vers l’avenir, le progrès, la colonisation. Bordeaux (1895-1907), Rouen (1896), Rochefort (1898), Nantes (1904) ou Marseille (1906-1922) ou encore La Rochelle (1927) organisent tour à tour leurs expositions proclamant sur leurs affiches leurs vocations coloniales.
Christelle Lozère a soutenu une thèse sur la « Mise en scène de l’objet dans les « salons coloniaux » de province (1850-1896) : vers l’émergence de modèles d’expositions coloniales » en 2009, sous la direction de Dominique Jarrassé à l’Université Bordeaux Montaigne. Sa thèse a reçu le Prix du Musée d’Orsay.
Elle est aujourd’hui maître de conférences en histoire de l’art à l’Université des Antilles (CNRS UMR 8053 LC2S) et se consacre à l’étude du patrimoine artistique des Antilles.
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