Soigner chez les Navajos

Transmission des savoirs rituels et scientifiques de 1950 à nos jours

Des médecins navajos (hataali) exécutent une peinture de sable.13 septembre 2019. Les Navajos, qui se désignent dans leur langue par le nom de Dineh, sont un des peuples amérindiens encore présents aujourd’hui dans les réserves américaines. Au XVIIIe siècle, dans le sud-ouest des Etats-Unis actuels où ils sont installés depuis le XVIe siècle, leur tradition pastorale entre en conflit avec les colons espagnols et les Mexicains qui apportaient chevaux, chèvres et moutons.

Au XIXe siècle, ils sont violemment combattus par l'armée américaine et, à l'issue d'une très meurtrière « longue marche » (1864), se voient déportés vers le Nouveau-Mexique. Les Navajos sont aujourd’hui près de 400 000 à vivre dans une réserve de plus de 70 000 km² à la croisée de l’Arizona, du Nouveau-Mexique, de l’Utah et du Colorado.

Dans sa thèse, Nausica Zaballos s’est intéressée à la médecine traditionnelle navajo et à sa transmission depuis les années 1950. De la confrontation avec les premiers médecins européens souvent missionnaires à la reconnaissance d’une culture amérindienne à conserver, le chemin fut long…

La médecine traditionnelle des Navajos du Nouveau-Mexique bénéficie-t-elle aujourd’hui d’un enseignement à l’Université?

Pas du tout ! La médecine navajo s’appuie sur des traditions orales et des récits initiatiques. Pour les maîtriser, l’apprenti passe dix à quinze ans auprès d’un homme ou d’une femme médecin, un « hataali », qui possède déjà ce savoir. Le malade doit s’identifier à un « malade initial », personnage d’un récit initiatique, et traverser avec lui les dangers du récit, qui sont métaphoriquement ceux de la maladie, pour finalement accepter et surmonter ses peurs. C’est par ce processus initiatique que le malade atteint la guérison.

Il s’agit de guérir à la fois le corps et l’esprit. La personne malade est avant tout considérée comme une personne en déséquilibre, physiquement, psychiquement ou socialement. Le rôle de l'hataali est de recréer le lien entre le malade et sa communauté. Le malade, physique ou psychique, doit retrouver un état de communion avec tous ceux qu’il sera amené à rencontrer, même ses ennemis, pour être réintégré dans un équilibre social. Les cérémonies de guérison navajos sont appelées « Voies », ce qui souligne la responsabilité du malade dans le processus de guérison. Il doit identifier les situations de son quotidien qui l'ont amené à se sentir mal pour ensuite procéder aux modifications de comportement nécessaires afin de retrouver « hozho », l'harmonie. Après la guerre de Corée ou du Vietnam, la Voie de l'Ennemi était organisée afin que les vétérans surmontent leur traumatisme et se sentent en paix avec ceux qu’ils avaient tués.

Hosteen Klah avec l?une de ses tapisseries inspirées d?une peinture de sable cérémonielle. Photographié à Nava Nouveau-Mexique vers 1927 par Arthur ou Frances Newcomb.  © Wheelwright Museum of the Am

La confrontation entre la médecine occidentale et la médecine navajo a dû être difficile. Y a-t-il eu des processus d’adaptation nécessaires ?

À la fin du XIXe siècle, les médecins, qui étaient aussi principalement des missionnaires jusqu’aux années 1930, rejetaient la médecine navajo. De leur côté, les navajos, massivement touchés par la tuberculose, refusaient les soins et se laissaient mourir.

Face à ce problème, les autorités occidentales ont écrit en 1951, qu’il fallait cesser de stigmatiser les médecins “hataali” et d’associer les croyances locales à des superstitions. Cela a poussé les médecins non-navajos à s’appuyer sur des navajos, qui jouaient un rôle d’intermédiaire, comme la fille du chef navajo Chee Dodge, Annie Wauneka qui, devenue infirmière, parcourait la réserve pour donner des conseils d’hygiène aux familles. Ils ont aussi vulgarisé leur savoir, par exemple en faisant observer des bacilles au microscope.

Au contact l’une de l’autre, la médecine occidentale et celle des navajos n’ont pas vraiment évolué. Pourtant, certains occidentaux ont adopté des pratiques traditionnelles navajos, comme l’enterrement du cordon ombilical lors de la naissance d’un enfant. Des phénomènes d’acculturation ont aussi eu lieu dans les églises catholiques, notamment dans les paroisses franciscaines de la réserve, où les prêtres acceptent l’utilisation du pollen de maïs à la place de l’eau bénite pour s’adapter aux cultures locales.

Aujourd’hui, dans certains hôpitaux, il y a des loges de sudation et des espaces sont dédiés aux herboristes et aux hataali. Les patients peuvent bénéficier des deux médecines, considérées comme complémentaires, au même endroit. Des navajos ont aussi été formés comme médecins ou infirmiers à l’occidentale.

Loge de sudation photographiée par Nausica Zaballos au Rehoboth McKinley Hospital.

Comment la médecine navajo est-elle parvenue à perdurer jusqu'à aujourd'hui ?

Dans les années 1960, le désir de défense de la culture navajo grandit dans un contexte de luttes pour les droits civiques et d’autodétermination en matière de santé. Les Navajos exprimèrent le désir de « garder trace » des traditions orales.

La particularité des Navajos est que, dès le XIXe siècle, des étrangers assistèrent à leurs cérémonies, ce qui était interdit chez les Amérindiens pueblos par exemple. Dans les années 1920, l'hataali Hosteen Klah autorisa une femme blanche, Franc Newcomb, à peindre ses peintures de sable éphémères à l’aquarelle.

Ces peintures, autrefois exposées au Wheelwright Museum de Santa Fe sont aujourd’hui propriété du Diné College (université tribale) qui a opéré plusieurs rapatriements d’objets rituels ou de reproductions de motifs sacramentels à la fin des années 1970. À l’instar d’autres tribus qui utilisent la loi fédérale NAGPRA (The Native American Graves Protection and Repatriation Act) de 1990 pour se réapproprier des objets cérémoniels, les Navajos s’inquiètent du mauvais usage qui peut être fait de ces artefacts, considérés comme dangereux en dehors d’une cérémonie de guérison.

La transmission du savoir navajo a donc été difficile et s’est faite au prix de nombreux compromis qui ont divisé la communauté navajo. Avec l’adoption de plus en plus courante d’un mode de vie occidental par les jeunes ayant reçu de force une éducation visant à les assimiler, dans des pensionnats où il était interdit de parler le navajo, les hataali avaient des difficultés à recruter des élèves. Craignant que leur savoir ne disparaisse, certains hataali ont voulu le fixer par écrit, sur des enregistrements audio, ou encore sur des tapisseries plutôt que dans des peintures de sable éphémères.

De même, des écoles ont été créées, comme à Rough Rock avec un programme de formation pour hataali de 1968 à 1983. Une maison d’édition a été mise en place pour expliquer les histoires sacrées. Afin d’être transmise, la culture navajo a dû passer par des formes plus occidentales d’enseignement. Malgré des décennies de génocide culturel, elle perdure, témoignant ainsi de sa formidable vitalité et des capacités d’adaptation du peuple navajo.

Propos recueillis par Soline Schweisguth
L'auteure : Nausica Zaballos

Nausica Zaballos à Monument Valley dans la réserve navajoNausica Zaballos a soutenu une thèse sur la transmission des savoirs rituels et scientifiques dans la réserve navajo sous la direction du Professeur Pierre Lagayette en 2007 à l’université Paris IV Sorbonne (publiée aux éditions L’Harmattan, dans la collection Acteurs de la Science). Par ailleurs titulaire d’un master en histoire des sciences et des techniques (délivré par l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris) et du CAPES, elle enseigne l’anglais dans un lycée parisien.

Sa passion pour le sud-ouest nord-américain l’a amené à concevoir des ouvrages grand public tels que Mythes et Gastronomie de l’ouest américain, un carnet de route gastronomique qui avait séduit les journalistes de l’émission On va déguster (France Inter), ou Contes navajos du grand-père Benally, une balade dans la réserve navajo entre passé et présent destinée aux plus jeunes, paru en 2017 aux éditions Goater.

Pour en savoir plus, son site personnel est accessible ici.

Publié ou mis à jour le : 2020-10-23 13:06:58

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