24 février 2015

Jours fériés à la carte : le communautarisme en marche

Dans la nuit du 14 février 2015, dans un hémicycle désert, la députée socialiste de La Réunion Ericka Bareigts a fait passer un amendement qui permet aux départements d'outre-mer de remplacer des fêtes légales de la tradition nationale par des fêtes communautaires...

Quarante jours ont passé et déjà est enterré l'« esprit du 11 janvier » avec ses drapeaux tricolores, ses Marseillaise et ses quatre millions de marcheurs.

D'une portée hautement symbolique, l'amendement Bareigts (voir le texte) offre aux Français d'outre-mer la possibilité de remplacer dans leur département certains jours fériés officiels par d'autres, empruntés à des confessions religieuses locales.

Aux dernières nouvelles, ces jours en sursis seraient les lundis de Pâques et de Pentecôte, le jeudi de l'Ascension, l'Assomption (15 août) et la Toussaint (1er novembre). Chacun peut constater qu'il s'agit exclusivement de jours liés à l'héritage catholique de la France.

C'est une défaite magistrale pour les amoureux de la France, de la République et de la laïcité. Il a été rendu possible par la complicité involontaire de quelques « idiots utiles », parmi lesquels des journalistes, des élus et des ecclésiastiques, au premier rang desquels l'évêque de Saint-Denis de la Réunion.

L'évêque, qui s'est maladroitement associé à un groupe de « dialogue interreligieux » sur le sujet, s'en aperçoit maintenant et s'en indigne. Il eut été bien avisé d'y réfléchir avant. À vrai dire, comme beaucoup de membres du haut clergé, de la fonction publique et des médias, il a trop peur d'être désigné comme un suppôt de Satan ou de Le Pen par les communautaristes et n'ose leur refuser quoi que ce soit.

Mais peu importent les états d'âme des ecclésiastiques. L'amendement Bareigts présente un péril autrement plus redoutable que le remplacement du lundi de Pentecôte par l'Aïd el-Kébir musulman. Il ouvre un boulevard aux conflits religieux en métropole même.

De l'assimilation à l'« inclusion »

Notons d'abord que La Réunion, qui porte ledit amendement, compte trois-quarts de baptisés, moins de 10% de musulmans et à peine 10% d'hindouistes. Elle est donc moins diversifiée que la métropole et, à la différence de celle-ci, ne connaît pas d'immigration massive. Ses habitants vivent dans une relative harmonie depuis plus d'un siècle sous l'aile de la République.

Si l'amendement Bareigts est par malheur voté par le Sénat et confirmé par le Conseil constitutionnel, si enfin les musulmans de La Réunion obtiennent que l'Aït el-Kébir soit chômé « en vertu des spécificités religieuses de ce territoire », il suffira de quelques mois pour que le débat se transporte en métropole où la proportion de musulmans est plus élevée et en nette progression.

Pas besoin d'être devin pour imaginer la suite. Les élus se laisseront convaincre de communautariser le calendrier et la presse se fera un devoir d'en convaincre aussi les citoyens.

Par lassitude et sous prétexte d'équité, pour calmer les représentants des différentes confessions, on conviendra d'un jour chômé pour toutes les religions représentatives. Chacun fera pression en multipliant manifestations et sondages, à moins que l'État n'établisse un recensement officiel des pratiquants des différentes religions !...

Avons-nous besoin de cette pomme de discorde dans la France d'aujourd'hui ?

La réponse est évidente pour tous les citoyens sensés mais pas pour certains cercles intellectuels qui, après avoir renoncé à assimiler les immigrants au profit d'une intégration approximative, prétendent aujourd'hui dépasser celle-ci : ce ne sont plus les immigrants qui doivent s'intégrer au pays d'accueil, à ses lois et ses traditions, mais les nationaux qui doivent faire un effort en leur direction en « incluant » leurs pratiques dans l'identité française. L'amendement Bareigts est la première démarche législative dans ce sens.

Il va de soi que cette exigence d'« inclusion » s'adresse exclusivement aux classes populaires, sommées de s'aligner. La bourgeoisie blanche sait quant à elle s'en préserver, se réservant les beaux quartiers, les grandes écoles et les postes de pouvoir et d'influence... y compris à la tête des diocèses.

Repenser les fêtes et les jours chômés

Si l'idéologie n'aveuglait pas nos élus, il leur serait aisé d'améliorer le calendrier des jours chômés dans un sens consensuel et authentiquement laïque ainsi que nous l'avons déjà montré en... 2003 et rappelé en 2011. Avec en prime des avantages pour l'activité économique et la vie sociale !

Rappelons d'abord une circulaire inique en date du 23 septembre 1967 qui fixe dans la fonction publique les « autorisations d'absence pouvant être accordées à l'occasion des principales fêtes religieuses des différentes confessions ».

En vertu de cette circulaire, les fonctionnaires français peuvent solliciter un à trois jours d'absence en sus des jours officiels s'ils se revendiquent de la religion orthodoxe (un jour), de l'Église arménienne (trois jours), de l'islam (trois jours), du judaïsme (trois jours) ou du bouddhisme (un jour).

Les fonctionnaires catholiques, protestants, pratiquants des cultes africains, mormons, athées, agnostiques... n'ont, eux, droit à aucune autorisation d'absence (sauf à se convertir publiquement à l'une des religions précitées).

La neutralité républicaine justifierait l'abrogation de cette circulaire discriminatoire.

Après cela, le souci d'équité entre tous les salariés français justifierait une remise à plat des jours chômés officiels :

- Noël, devenue fête universelle, et la Toussaint, qui permet d'honorer les défunts, débordent largement les milieux chrétiens et ont acquis avec le temps une légitimité aussi solide que le jour de l'An, la fête du Travail (1er mai) et les fêtes nationales du 14 juillet (célébration de l'unité nationale) et du 11 novembre (fin de la Grande Guerre et hommage aux combattants de toutes les guerres).

Il en va autrement des autres jours chômés :

- Les lundis chômés de Pâques et de la Pentecôte permettaient à l'origine de se reposer des célébrations de la veille ! Ils autorisent aujourd'hui des week-ends prolongés et facilitent les retrouvailles familiales à la faveur du printemps. Pratique agréable mais injustifiée tant du point de vue religieux que du point de vue économique et social. Le pays ne perdrait rien à supprimer ces jours chômés et les traditions nationales, culturelles et religieuses n'en seraient aucunement affectées.

- Le jeudi de l'Ascension provoque chaque année un fameux « pont de l'Ascension » qui désorganise l'économie, sature les infrastructures hôtelières et embouteille les autoroutes. Est-il nécessaire qu'il soit chômé ? Les catholiques italiens ne le pensent pas et ont choisi de célébrer l'Ascension le dimanche suivant...

- Le « pont du 8-Mai » présente les mêmes inconvénients que le précédent quand le 8 mai tombe un mardi ou un jeudi. Qui plus est, avec la Fête du Travail du 1er mai, nous avons ici deux « ponts » à quelques jours d'intervalle avec des effets très négatifs sur l'économie et donc l'emploi.

Notons que le 8 mai est seulement chômé en France, et depuis 1981 seulement ! L'anniversaire de la capitulation militaire de l'Allemagne n'est chômé chez aucun des vainqueurs du nazisme, sauf en Russie où il est célébré le 9 mai. Rappelons aussi que le 8 mai ne coïncide ni avec la fin de la Seconde Guerre mondiale (elle s'est terminée le 2 septembre 1945 avec la capitulation du Japon) ni avec celle du nazisme (la capitulation allemande a été de fait signée à Reims le 7 mai 1945). En France, le 8 mai rappelle la répression de Sétif et, avec le 11 novembre, cela fait deux célébrations d'une victoire sur « nos amis allemands ». N'est-ce pas beaucoup !

- L'Assomption de la Vierge, le 15 août, est chômée dans la plupart des pays catholiques mais sa célébration est de plus en plus négligée par les fidèles, vacances obligent. Elle ne perdrait rien à être célébrée le dimanche qui suit le 15 août.

Ainsi le gouvernement pourrait-il remettre en cause les lundis de Pâques et de la Pentecôte, le jeudi de l'Ascension, voire le 8-Mai et l'Assomption, sans heurter les traditions tant religieuses que républicaines de la France.

Une alternative laïque et consensuelle

Bien évidemment, l'opinion publique, indépendamment des convictions religieuses de chacun, verrait d'un mauvais oeil la fin de ces « avantages acquis » !...  Aussi le gouvernement pourrait-il, en contrepartie de la suppression de ces jours fériés, octroyer à l'ensemble des salariés du public et du privé autant de jours de repos à la date de leur choix - mais détachés des congés payés pour ne pas rallonger ceux-ci indûment.

Autrement dit, l'ensemble des salariés du secteur privé comme du secteur public se verraient accorder quatre ou cinq « jours de congés mobiles » en contrepartie de la suppression des jours chômés des lundis de Pâques et de la Pentecôte, de l'Ascension, du 8-Mai et de l'Assomption (et bien sûr de l'abrogation de la circulaire du 23 septembre 1967).

Ils auraient pour seule obligation de déposer leur demande de « jours de congés mobiles » auprès de leur employeur avec un préavis suffisant (six mois ?) pour ne pas gêner leur service et sans avoir à se justifier.

Dans l'hypothèse où le taux d'absence, tel jour, handicaperait l'activité (au-delà de 20% des salariés ?), le chef d'entreprise serait en droit d'imposer un jour férié à l'ensemble de ses salariés en le prélevant sur leurs congés mobiles ou leurs congés payés.

Ainsi, chrétiens des différentes confessions, musulmans, juifs, bouddhistes, hindouistes, agnostiques et autres, chacun pourrait se libérer pour les fêtes familiales et religieuses de son choix sans avoir de compte à rendre sur ses convictions ou ses occupations privées. Et pour le coup, l'on échapperait aux rituelles complaintes sur les hécatombes des « ponts » et les blocages de l'activité.

Craignons hélas que le bon sens et l'harmonie nationale ne soient pas au premier rang des préoccupations de nos élus et gouvernants.

Publié ou mis à jour le : 2024-06-12 18:55:05
Maryse (22-06-2015 11:49:31)

Un petit rectificatif à l'article. Il est écrit que le 8 mai est "fête nationale chômée depuis 1981 seulement". Le 8 mai est un jour férié et non chômé, effectivement depuis 1981 mais il l'était antérieurement jusqu'à la mandature de Valéry GISCARD D'ESTAING.

Marcel CACAUD (12-03-2015 16:12:25)

je suis 100% d'accord avec l'auteur, par ailleurs et pour répondre à Claudine, je ne vois pas pourquoi sur un site historique on ne pourrait pas émettre des opinions ? Bien sûr il ne s'agit d'en faire une tribune !
Historiquement vôtre.
Marcel Cacaud

raymond (02-03-2015 17:41:54)

Notons encore que le 15 août on fête l'Assomption.

Claudine D (01-03-2015 16:28:00)

Sur le fond, je suis à peu près d'accord sur les aménagements proposés. Mais je croyais d'Hérodote était un site consacré à l'histoire! Est-ce bien la place ici pour un article polémique sur l'actualité la plus proche? Je verrais davantage cela sur un forum de discussion au sujet de l'actualité. Faire de l'histoire nécessite du recul par rapport à l'évènement, de la réflexion sur les causes de ce que l'on veut discuter, un élargissement du champ de cette réflexion, toutes choses qui sont absentes ici.
cet article n'est pas un article d'histoire mais un article polémique. J'attends mieux de la part d'Hérodote.

Herodote.net répond :
Question délicate. À quel niveau devrions-nous fixer la limite entre l'Histoire et l'actualité ? À la mort de De Gaulle ? Plus tôt ? Plus tard ?
L'historien Thucidyde a écrit l'Histoire de la guerre du Péloponnèse avant même qu'elle fut terminée et Jacques Bainville s'est signalé par des écrits visionnaires sur l'Allemagne nazie...
Sans prétendre imiter ces illustres aînés, il nous semble juste et utile de débattre des sujets d'actualité dès lors qu'ils se rapportent à notre identité et aux valeurs auxquelles nous croyons et qui fondent l'Histoire. À quoi sert d'apprendrel'Histoire si nous ne pouvons en servir pour éclairer le présent ?

TellorFrance (27-02-2015 20:35:25)

Je suis d'accord sur le principe, supprimer les jours fériés liés aux célébrations religieuses catholiques dans un état laïque aurait un sens.
Ceci dit, on y tient à nos jours fériés, et les remplacer par des jours subordonnés au bon vouloir des patrons comporterait le risque évident qu'a très court terme ils ne soient remis en cause -économie libérale oblige. La comparaison entre les jours fériés par pays (toujours en notre défaveur) fait partie de l'argumentaire des économistes bien intentionnés pour les supprimer et si aujourd’hui l'on s'abrite -en toute hypocrisie il est vrai!- derrière la liberté du culte, qu'en serait-il demain s'ils étaient laïcisés ?

xerxes (25-02-2015 13:46:57)

Pour tous les élus et les élites de droite ou de gauche de la République Française, la seule chose qui compte aujourd'hui c'est d'aller à la soupe "républicaine", et donc ils sont prêts à toutes les compromissions pour être élus ou réélus. L'avenir de notre pays ruiné, livré à la canaille qui tient le haut du pavé et attaque les forces de l'ordre, envahi par des hordes de barbares arriérés qui nécessitent des militaires armés aux portes des écoles. L'amendement Bareigts, conséquence de l'incommensurable démagogie d'un pouvoir arrivé aux affaires par le mensonge, déshonore notre pays.

Jean MUNIER (25-02-2015 13:18:10)

Dans les D.O.M. il y a déjà des dates différentes pour commémorer la seconde (et définitive) abolition de l'esclavage (avril 1848). Je suppose que c'est l'arrivée par bateau du décret. Différencier des fêtes par département au moment où le pouvoir veut les supprimer à terme n'est pas très cohérent.Il y aussi les départements concordataires 57 67 68 et la Guyane avec le catholicisme religion d'état depuis CHARLES X, M. Raffarin a voulu , avec accord des évêques, supprimer le lundi de Pentecôte , mais les fidèles ont aussitôt protesté (retraite religieuse , congrès etc..)

Jacques (25-02-2015 11:19:34)

Vous avez raison de dénoncer cette attaque sournoise contre la laïcité; il faut espérer que le Sénat et le Conseil Constitutionnel vont la faire avorter. Par contre, dans la liste de jours chômés que vous proposez de supprimer, seul le jeudi de l'Ascension me paraît évident. Il est vrai que le moi de mai est "sinistré"certaines années, mais les jours de congé supplémentaires en mai sont très appréciés des jardiniers amateurs. Au-delà de considérations pratiques, les jours chômés doivent être l'occasion du plus grand rassemblement possible des citoyens sur les valeurs de la République. Dans le contexte actuel, le mieux est de ne toucher à rien.

Herodote.net répond :
Nous ne proposons pas la suppression des jours fériés précités mais leur remplacement par des jours de congés "mobiles" ou "à la carte",

Si vous souhaitez continuer de cultiver votre jardin le lundi de Pentecôte ou le 8 mai, il vous suffit de poser ce jour de congé "mobile" auprès de votre employeur suffisamment à l'avance:-)

Plukif (25-02-2015 09:34:22)

Proposer une alternative au communautarisme est souhaitable. Dommage que ce soit un prétexte pour s'en prendre aux "laïcards" - qualificatif peu flatteur pour les défenseurs de la laïcité, à la commémoration de la défaite du nazisme le 8 mai ce qui a tout de même un sens(et non de l'Allemagne en tant que telle). Quant à remplacer les célébrations religieuses par une nouvelle dévotion aux chefs d'entreprise et à l'économisme en tant qu'idéologie, ce serait en effet la traduction concrète d'une nouvelle forme de domination.

alainpierre (25-02-2015 09:21:48)

La suppression du 11 novembre comme jour férié, plutôt que celle du 8 mai qui marque la défaite du nazisme m'apparaît plus convenable, malgré les tueries de Sétif. Ceci dit, en ces temps de pusillanimité il vaut peut-être mieux ne toucher à rien pour échapper au pire.

Fischer (25-02-2015 02:54:04)

J'ai lu votre article. Je suis tout a fait d'accord avec vous!
J'ai bien compris une chose, les politiques ne sont pas là pour fairent des lois dans le bon sens et l'harmonie. Ils mettent en pratique comme dis le proverbe. Diviser pour mieux régner.

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