L'histoire de la plus fameuse église de Londres se confond avec la saga du royaume d'Angleterre et de ses familles régnantes.
Depuis l'avènement des Windsor et plus encore depuis l'arrivée de la télévision, l'église collégiale Saint-Pierre, communément appelée « abbaye de Westminster », abrite toutes les grandes cérémonies qui rythment la vie de la monarchie, moments heureux ou malheureux, toujours chargés d'émotion.
La construction de l'édifice actuel débute au XIIIe siècle. Mais une abbaye est attestée à son emplacement dès le VIe siècle, sur le lieu supposé de l'apparition de l'apôtre Saint Pierre, plus vraisemblablement sur les ruines d'un temple dédié à Apollon. Comme elle est située à l'époque à l'ouest de la ville, on prend l'habitude de l'appeler le monastère de l'ouest, « Westminster ».
C'est avec l'arrivée des moines bénédictins, au Xe siècle, que l'abbaye prend de l'ampleur. Elle passe sous protection royale quand le roi Édouard le confesseur, fils d'Emma de Normandie, établit son palais à proximité. Il décide de s'y faire inhumer à sa mort, le 5 janvier 1066, soit une semaine tout juste après la consécration de l'abbatiale, le 28 décembre 1065.
La couronne et l'église sont désormais étroitement liés et cette union prendra tout son sens à travers les sacres des rois d'Angleterre qui auront lieu - presque tous - dans l'abbatiale.
La tradition est inaugurée par Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, qui veut de la sorte s'affirmer comme le successeur du Saxon Édouard le Confesseur.
Il coiffe la couronne le 25 décembre 1066, après sa victoire à la bataille d'Hastings. La cérémonie se dit en français, la langue du nouveau roi, tout comme les laudes royales qui montent sous les voûtes : l'évêque de Coutances, Geoffroy de Montbray, suivi de l'archevêque d'York, demande à la foule si elle reconnaît Guillaume comme son roi, laquelle répond par des vivats.
Au dehors, la tension est électrique : les soldats normands, sur un sol étranger, interprètent mal les acclamations du peuple et prennent pour une émeute de simples débordements festifs. Quelques maisons sont brûlées aux alentours... L'incendie est vite circonscrit.
Sous le règne d'Henri III, en 1245 sont posées les premières pierres de l'église actuelle. Cent ans après la naissance de l'art gothique à Saint-Denis, le roi souhaite rivaliser avec les cathédrales d'Europe et donner au royaume un édifice digne de la patrie du roi Édouard le Confesseur, canonisé en 1161.
Henri III confie le projet à l'architecte Henri de Reyns, avec pour mission de s'inspirer de la cathédrale de Chartres, chef d'œuvre d'art gothique, ou de celles d'Amiens ou de Reims, alors en construction. La veine française se retrouve dans les arcs boutants, les roses des transepts, les chapelles radiales et les meneaux entre les vitraux.
Cent ans plus, tard, la nef est définitivement achevée par Henri Yevele, maître d'œuvre d'Édouard III Plantagenêt, qui choisit d'accentuer un effet théâtral et aérien en lui donnant une hauteur de 31 mètres sur une base de 10 mètres.
La Lady Chapel, édifiée à partir de 1503 par Henri VII Tudor, vient considérablement agrandir l'édifice derrière le transept : célèbre par sa voûte en éventail et ses nervures très légères, elle est fortement influencée par la Renaissance italienne.
Mais il faut attendre le XVIIIe siècle pour que les fameuses tours symétriques de la façade, d'influence gothique, sortent de terre, donnant à l'ensemble une sobre élégance.
En 1296, Édouard Ier place dans la nouvelle église de Westminster la pierre de Scone, symbole de la royauté chez les Écossais qu'il vient de battre. L'abbaye est de cette façon associée à la monarchie anglaise, à ses heures de gloire comme de malheur.
Son histoire prend un tour nouveau sous le règne d'Henri VIII Tudor, lorsqu'il est frappé d'excommunication suite à son mariage secret avec Anne Boleyn.
Le roi, qui jouit d'un pouvoir quasiment absolu, provoque une rupture religieuse avec Rome et un schisme sanglant en faisant voter par le Parlement l'Acte de suprématie qui fonde l'Église anglicane. Il est encouragé en cela par ses conseillers Thomas Wolsey, Thomas Cranmer et Thomas Cromwell. Le monastère est alors dissous et la cinquantaine de moines doivent quitter les lieux manu militari.
Il faut attendre Elisabeth Ière, vingt ans plus tard, pour que la vie religieuse reprenne. La « reine-vierge » va s'affirmer comme le plus grand souverain qu'ait eu l'Angleterre depuis Guillaume de Conquérant. Elle installe prudemment le rite anglican qui fait du souverain le chef exclusif de l'Église d'Angleterre.
Cela lui vaut à son tour d'être excommuniée par le pape et l'oblige à changer tous les évêques. La reine refonde le monastère sous un statut différent en lui donnant le statut d'église collégiale, siège d'un chapitre relevant de la couronne. Dès lors, l'argent ne cessera de se déverser sur l'abbaye, haut lieu de l'Église anglicane, lieu de pèlerinage et nécropole royale de la couronne britannique.
L'abbaye de Westminster est d'abord une nécropole royale, à l'image de la basilique de Saint-Denis en France : on recense plus de 3000 tombes ou cénotaphes (monuments funéraires vides), la plupart des souverains et des grands personnages du royaume étant inhumés dans ses murs, tradition instaurée par Édouard le Confesseur.
Ce chiffre élevé s'explique également par une pratique lucrative instaurée par le chapitre qui consistait à monnayer le droit d'être enterré dans le célèbre édifice, ce qui provoqua un afflux de demandes... et remplit les bas-côtés de l'abbatiale.
On trouve là de remarquables gisants, comme celui datant du XIIIe siècle du roi Henri III, ceux d'Henri VII et son épouse Elisabeth d'York, ou encore celui en marbre blanc d'Elisabeth Ière ou de sa grande rivale Marie Stuart, qu'elle fit décapiter en 1587 pour complot avant de donner la couronne à son fils, premier roi d'Angleterre et d'Écosse.
Mais Westminster sert également de Panthéon national en rassemblant les statues ou les ossements des plus remarquables des Britanniques.
Dans le Poets'Corner (coin des poètes), on peut admirer des monuments à la gloire de Geoffrey Chaucer, William Shakespeare, Lord Byron, Rudyard Kipling ou encore le visage de Haendel, d'après son masque mortuaire. Les savants Isaac Newton, Charles Darwin, Lord Kelvin, Ernest Rutherford y reposent aussi, de même que Rowland Hill, inventeur du timbre-poste, ainsi que l'explorateur David Livingstone.
Parmi les chefs de gouvernement, on relève la présence des deux Pitt, père et fils, ainsi que de William Ewart Gladstone et Clement Attlee, tandis que Winston Churchill doit se contenter d'une plaque commémorative.
La dépouille du dictateur Cromwell ne séjourna que quelques brèves années dans l'auguste abbaye royale. Repose aussi à Westminster le héros de la Nation corse, Pascale Paoli. Dans le transept nord, Benjamin Disraeli, grand défenseur de la politique coloniale sous l'impératrice Victoria, fait face à la tombe de son rival William Gladstone. La Nation reconnaissante rassemble souvent les ennemis d'hier dans le même repos éternel...
C'est au XXe siècle que Westminster devient le théâtre de grandes émotions populaires qui contribueront à sa légende. C'est le siècle où l'essor des techniques audiovisuelles permettent à chacun, en Angleterre et ailleurs, de suivre hommages et cérémonies depuis son domicile, faisant converger vers l'abbaye des millions de regards et renforçant ainsi le symbole de l'identité britannique.
L'un des premiers événements est l'inhumation au début du XXe siècle du Soldat inconnu.
Pas de caméra, mais déjà une foule immense comme Westminster en connaîtra désormais beaucoup. Les funérailles ont lieu le 11 novembre 1920, date anniversaire de l'armistice.
Le roi George V et ses fils marchent derrière le cercueil qui contient les restes d'un soldat recueilli sur les terres de France et traversent Londres dans un silence imposant.
La dépouille est déposée dans l'abbatiale puis recouverte de terre provenant des champs de bataille et qu'on avait transportée dans une centaine de sacs. Selon le Times, ce fut « la plus grande effusion de larmes que l'Angleterre ait jamais connue ».
La monarchie, qui a toujours eu le souci de s'afficher (montrer la couronne, c'est asseoir son pouvoir), comprend vite les bénéfices qu'elle peut tirer de ces grandes manifestations collectives autour du souverain en s'appuyant sur les nouveaux outils de communication de masse. Ce qui suppose l'agrément du haut clergé...
En 1923, le doyen de Westminster invoque « la décence » et met son veto à la retransmission radiophonique du mariage du duc d'York Albert (dit Bertie, le futur « roi bègue » George VI) avec Elisabeth Bowes-Lyon. Il craint en effet que la cérémonie soit écoutée dans des « lieux impies » comme les pubs, ou pire encore...
Les choses évoluent avec le couronnement du même Albert, devenu George VI, le 12 mai 1937 : le sacre donne lieu pour la première fois à un assez long film, soigneusement coupé, qui sera diffusé aux actualités cinématographiques.
Mais il faut attendre le 2 juin 1953 et le sacre d'Elisabeth II pour que les caméras retransmettent pour la première fois en direct à la télévision une cérémonie se déroulant au cœur de Westminster, devant des milliers d'invités de marque.
Depuis près de mille ans, le sacre est un événement majeur de l'Histoire britannique.
Ce 2 juin 1953, tandis qu'une pluie fine tombe sur Londres, le monde subjugué découvre une jeune fille de 27 ans ceindre la couronne selon un rite ancestral et mystérieux, assise sur la fameuse King Edward's Chair.
La cérémonie du sacre obéit à un ordo très précis fixé au XIXe siècle : l'identification de la souveraine, son serment, l'onction, la remise de l'épée, du globe, de l'anneau et du sceptre, enfin le couronnement proprement dit puis l'hommage des pairs du royaume, à savoir les Lords.
Pour l’onction, la reine porte une simple chemise de lin blanc sans manches qui symbolise le dénuement et la pureté de son âme devant le Créateur. C'est le Colobium sindoni. L'onction, trop sacrée pour être filmée, se déroule en présence des seuls témoins, dans le sanctuaire de Westminster, près du tombeau de saint Édouard. L'archevêque de Cantorbéry oint le front de la souveraine avec une huile sainte préparée quelques mois plus tôt sur le mont des Oliviers à Jérusalem.
Après ce rituel qui fait d'elle l'intercesseur de son peuple auprès de Dieu, elle endosse la Supertunica, robe en tissu épais, brodée d’or, qui lui sera retirée avant la sortie de l’abbaye de Westminster.
Elle reçoit les éperons « regalia », l'épée, deux sceptres dont l’un surmonté du plus gros diamant du monde, le « Cullinan », un orbe qui figure la Terre et la lourde couronne. Pour sortir de l’abbaye de Westminster, elle revêt enfin la lourde robe d’État, en velours cramoisi.
La souveraine peut enfin retourner au palais de Buckingham dans le « Gold State coach », son carrosse d'apparat de 4 tonnes, qui date de 1760. Plus de deux millions de Britanniques l'acclament sur le parcours, tandis qu'elle répète la même phrase apprise par cœur pour l'occasion : « Comme c'est gentil, comme c'est loyal ». Là-dessus, elle se présente à la foule du balcon du palais, entourée de sa famille.
Le lendemain, jour férié, le gouvernement offre à tous les Britanniques de se retrouver dans leur quartier ou sur la place de leur village autour d'un repas festif, le « grand déjeuner de couronnement ».
Pour un coup d'essai, Elisabeth II réalisa un coup de maître : elle obtint à la fois un triomphe politique, mais aussi médiatique. Il en ira de même de son fils et successeur Charles III 70 ans plus tard. Mais celui-ci avait déjà eu comme prince de Galles une très longue expérience du protocole...
Plus connu sous le nom de King Edward's Chair (la « chaise du roi Édouard »), le trône de l'abbatiale est utilisé depuis 1308 pour le couronnement des souverains du royaume. Son nom lui a été donné par le roi Édouard Ier, qui l'a commandé pour 100 shillings, une grosse somme pour l'époque, afin d'enchâsser la fameuse pierre du destin, ou pierre de Scone, un morceau de grès rouge sur laquelle s'asseyaient les rois d'Écosse lors de leur couronnement et que le souverain d'Angleterre avait ramené de sa campagne en 1296.
Une pierre si emblématique - les rois des Scots sont intronisés à Scone depuis la fin du 9e siècle - que les Ecossais ont toujours très mal supporté de la voir à Westminster. Le jour de Noël 1950, la pierre est carrément enlevée par quatre étudiants écossais qui la ramènent dans leur pays. Elle revient en 1952 en Angleterre, après un an de négociation délicate... Puis repart en Écosse. Celle-ci la rétrocède désormais pour chaque couronnement.
De style gothique, en chêne massif, le trône n'a plus grand-chose à voir avec l'original, beaucoup plus somptueux avec ses peintures et ses dorures. Le bois brut a été gratté par endroit, abîmé par les pèlerins, les touristes et les enfants de chœur... On peut même y lire des graffitis datant des 18e et 19e siècles. Les lions, à sa base, ont été rajoutés après coup. Mais la King Edward's Chair, malgré sa simplicité, garde toute la force de son symbolisme.
L'émotion au rendez-vous
Désormais les caméras ne quitteront plus Westminster : en 1986, les noces du prince Andrew, fils d'Elisabeth II, avec Sarah Fergusson, sont suivies une fois encore par des dizaines de millions de téléspectateurs.
Les obsèques de la princesse Diana restent l'événement majeur associé à ce jour à Westminster, par sa puissance émotive et médiatique. Là où quelques centaines de milliers de personnes suivaient le sacre d'Elisabeth II, ce sont trois milliards d'être humains, de par le monde, qui allument leur poste pour la cérémonie du 6 septembre 1997.
Sur place, des écrans géants ont été installés un peu partout dans Londres, à Regent's Park ou Hyde Park, pour permettre aux habitants de suivre en direct les funérailles de « la princesse du peuple », disparue le 31 août 1997 dans un accident de voiture à Paris.
L'émotion est intense quand le cercueil de Diana, porté par des gardes gallois, entre sous les voûtes de l'abbatiale au son du God Save the Queen. Toute l'assistance se lève, à savoir près de 2000 invités dont 43 membres de la famille royale ainsi que des amis de l'ex-Princesse de Galles : Luciano Pavarotti, John Travolta, Tom Cruise, Valentino, Karl Lagerfeld ou encore Elton John.
Ce dernier entonne Candle in the wind (Bougie dans le vent), la chanson hommage à Marylin Monroe qu'il adapte spécialement à Diana, fait unique dans le protocole des obsèques de prince de sang :
« Au revoir, rose d'Angleterre
Pourras-tu jamais grandir dans nos cœurs
Vous étiez la grâce qui s'est placée
Là où les vies ont été déchirées... »
La BBC filme le tout en direct mais s'abstient de montrer les larmes de William et Harry Windsor, les enfants de Charles et Diana. Le même William a choisi, quatorze ans plus tard, de franchir à nouveau le seuil de l'abbatiale pour épouser la femme qu'il aime. Et ajouter cette fois un chapitre heureux à la légende de Westminster.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
massicot (05-04-2011 00:09:41)
Jolie page.Merci.