Howard Zinn

La face cachée de l'Amérique

Retour sur la carrière de l'historien américain Howard Zinn, un homme qui conjugua engagement et travail scientifique. Il a changé notre regard sur l'Histoire des États-Unis...

Howard Zinn, né le 24 août 1922 à Brooklyn (New York), mort le 27 janvier 2010 à Santa Monica (Californie), est à la fois un historien qui a marqué son temps et un homme résolument engagé à l'extrême gauche. La vie personnelle de ce savant est inextricablement liée à son œuvre.

Avec le linguiste Noam Chomsky, il est l'incarnation de ces intellectuels américains que les Européens aiment à aimer et à citer.

Yves Chenal
Un historien engagé

Les téléspectateurs qui ont vu l'excellent documentaire 1929, de William Karel, se souviendront du témoignage de Zinn : il décrit le sentiment de honte qui l'envahit lorsqu'il voit son père, garçon de café licencié, contraint de vendre des cravates dans la rue, puis de faire divers petits boulots pour survivre. Puis il analyse ce sentiment de honte et en démonte les ressorts. Cette origine populaire - ses parents étaient des immigrants juifs d'Europe centrale - traverse toute sa vie et son œuvre.

Durant la Seconde Guerre mondiale, il s'engage dans l'armée de l'air et participe, entre autres, au bombardement « expérimental » (avec ce qu'on appellera plus tard le napalm) de la poche de Royan, ce qui fait de lui un pacifiste résolu. Par la suite, il mènera une enquête détaillée sur les circonstances de ce massacre et montrera que la conduite de la guerre n'exigeait pas ce bombardement, motivé au moins en partie par les ambitions personnelles de quelques officiers.

Après la guerre, il fait des études d'histoire, soutient un doctorat et obtient un poste dans l'enseignement supérieur. Il lutte contre la ségrégation raciale puis contre la guerre du Vietnam, n'hésitant jamais à payer de sa personne lors de manifestations parfois durement réprimées.

Histoire officielle et histoire populaire

En 1980, il fait paraître un volumineux ouvrage destiné, mais qui peut alors le savoir ? à devenir un classique de toutes les universités, l'Histoire populaire des États-Unis. Traduit dans de nombreuses langues, adapté pour les enfants et en bande dessinée, le livre transforme la perception qu'on a alors de l'histoire américaine. L'auteur en « détricote » méthodiquement la version officielle, héroïque.

La conquête du territoire américain ? De 1492 à Wounded Knee, où les Sioux furent tués en masse en 1890, une succession de massacres aussi injustes les uns que les autres. La défense de la démocratie par les États-Unis ? À l'intérieur, le gouvernement protège surtout les bénéfices des grandes entreprises et les « barons voleurs de la finance » contre les ouvriers exploités. À l'extérieur, il n'intervient pas pour défendre des valeurs, mais pour établir son protectorat au bénéfice de ces mêmes entreprises et grands propriétaires. En 1898, il ne s'allie avec les révoltés cubains que pour chasser les Espagnols, avant de se retourner contre ses partenaires et d'établir sa domination sur l'île, jusqu'à la prise de pouvoir de Fidel Castro. Le même scénario se joue, au même moment, aux Philippines.

Plus tard, les interventions en Amérique centrale et au Vietnam participent d'une même volonté de contrôle des ressources, au nom cette fois de la lutte anticommuniste. Même la lutte contre les nazis est marquée par la ségrégation : l'armée évite que noirs et blancs ne se mélangent.

Les vrais héros ne sont donc pas à chercher parmi les grands de ce monde, mais parmi tous ceux qui luttent contre les inégalités et discriminations et le paient parfois de leur vie. Zinn consacre par exemple une pièce de théâtre à Emma Goldman, militante anarchiste du début du XXe siècle, expulsée des États-Unis vers la Russie révolutionnaire. Le souci de toucher un large public lui fait également rédiger une pièce, un one man show, pour expliquer l'œuvre de Marx : Karl Marx, le retour.

L'influence de Howard Zinn aux États-Unis et dans le monde est immense. Il multiplie les conférences et les prises de position publiques, contre les différentes interventions américaines, et en particulier contre l'invasion de l'Irak en 2003.

Vue de France, son œuvre apparaît sous une lumière particulière, dans la mesure où la dénonciation des travers américains est une des traditions, voire une obsession, de la presse. Cependant, il ne faut pas oublier que l'Histoire populaire des États-Unis est parue il y a maintenant trente ans, bien avant que certains pans de l'histoire de France ne sortent de l'ombre.

Ces critiques ne font pas de lui un pessimiste, au contraire : il répète lors de ses conférences que les libertés ont progressé depuis la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis et que le peuple peut imposer en quelques mois ou années des changements qu'on aurait pu croire impossibles. Une belle leçon.

Bibliographie sélective

L'œuvre d'Howard Zinn n'est que très partiellement traduite et la version française de l'Histoire populaire des États-Unis (titre exact : Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours) n'est parue qu'en 2002, aux éditions Agone.

Cette maison a également publié en 2003 un condensé de cet ouvrage : Le Vingtième Siècle américain, une histoire populaire de 1890 à nos jours, et en 2006 : L'Impossible Neutralité. Autobiographie d'un historien et militant.

On peut aussi recommander l'adaptation partielle en bande dessinée, par Mike Konopacki et Paul Bühle, de l'Histoire populaire : Une histoire populaire de l'empire américain, aux éditions Vertige Graphic, en 2009.

Publié ou mis à jour le : 2020-05-09 11:37:09
Louis (21-03-2010 19:35:12)

Les États-Unis! un rêve ou un cauchemar? Plus on étudie les conditions de sa naissance puis sa montée en puissance, plus le rêve se transforme en cauchemar... Pour ma part, ce fut un long péri... Lire la suite

Epervier (01-03-2010 16:14:53)

Je suis un peu surpris par la présentation d'Howard Zinn, plus précisément par les termes "résolument engagé à l'extrême gauche". Un engagement déterminé mais pacifique du côté de minoritÃ... Lire la suite

Jean-Pascal Florent (21-02-2010 15:33:45)

Pour bien connaitre les États-Unis, je préfère lire Le peuple américain. Origines, immigration, ethnicité et identité ÉDITIONS DU SEUIL 2000 de Philippe JACQUIN, Daniel ROYOT, Stephen WHITFIE... Lire la suite

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