Saladin (1137 - 1193)

Un héros pour les Arabes

Le 4 mars 1193, le sultan Saladin meurt à Damas à l'âge de 55 ans. C'est le début d'une légende qui va s'épanouir au XXe siècle, à la faveur de la « renaissance arabe », celle d'un héros national qui a vaincu les agresseurs chrétiens et restauré au moins en partie l'unité du monde arabe. La dynastie ayyoubide qu'il a fondée aura en fait duré moins d'un siècle.

André Larané
Saladin (miniature arabe du XIIe siècle)

Tribulations d'un Kurde en Égypte

Saladin (en arabe, Salah ed-Din) est le fils d'un officier kurde. Il est né à Takrit (ou Tikrit), une ville du Kurdistan où naquit aussi... le dictateur Saddam Hussein. Il entre au service du Turc Nur al-Din (ou Nour ed-Dîn) fils et héritier de Zangi, atâbeg (ou seigneur) de Mossoul et d'Alep, fondateur de la dynastie zangide. 

Nour ed-Dîn a commis l'exploit d'expulser les croisés francs de Syrie et ses succès ont provoqué la deuxième croisade, prêchée en 1147 à Vézelay, en Bourgogne, par saint Bernard, abbé de Clairvaux.

Non content d'avoir unifié la Syrie sous sa férule, il tourne ses ambitions vers Le Caire et l'Égypte, où agonise la dynastie des califes fatimides, de confession chiite  (dico). Il veut réunir les deux États musulmans de la région pour prendre en tenaille les États francs de Palestine et reconquérir Jérusalem. 

Justement, le vizir égyptien Chîwer a été supplanté par son chambellan. Il implore l'aide de Nour el-Dîn. Celui-ci ne se fait pas prier. Il envoie en Égypte un détachement rapide conduit par un solide guerrier, Chîrkouh, accompagné de son neveu Saladin. Le détachement parvient au Caire avant que le roi de Jérusalem Amaury 1er ait eu le temps de mobiliser ses troupes et de lui barrer la route. 

Francs et Syriens vont dés lors se disputer l'Égypte et tenter à tour de rôle de gagner les faveurs des premiers maîtres du pays. Au terme de longues péripéties guerrières, Chîwer, contraint et forcé, appelle Chîrkouh et Saladin à la rescousse. Mais la confiance n'y est plus. Saladin fait décapiter Chîwer et offre à son oncle Chîrkouh le poste de vizir.

Deux mois plus tard, le 23 mars 1169, à la mort de Chîrkouh, Saladin lui succède comme vizir. Il a 32 ans.

Il s'assure de la fidélité de l'armée en accordant à ses chefs de généreuses concessions foncières, fait venir de Syrie les membres de sa famille qu'il place partout aux postes de responsabilité et  impose très vite son autorité sur le pays. Il ne néglige pas les questions religieuses et restaure l'orthodoxie sunnite en s'appuyant sur le réseau des écoles religieuses, les médersas (ou madrasa). 

Solidement installé au pouvoir, il repousse une tentative de débarquement des croisés de Palestine et des Byzantins à Damiette, dans le delta du Nil, tout en gardant de bonnes relations avec les marchands italiens établis à Alexandrie. 

Sous l'influence de ses officiers syriens qui s'affligent du grand nombre d'églises et de synagogues qui subsistent dans la vallée et le delta du Nil, il opprime les non-musulmans juifs ou chrétiens, appelés « protégés » (dhimmis en arabe coranique). Ceux-ci sont astreints à de lourds impôts, interdits de porter des armes et de monter à cheval, contraints de porter un vêtement de reconnaissance etc.

L'intolérance qu'il manifeste à cette occasion ne l'empêche pas d'entretenir le savant juif Maïmonide au nombre de ses conseillers.

L'armée de Saladin (miniature du XIVe siècle)

Retour triomphal à Damas

Mieux assuré de sa force, Saladin prend ses distances avec son ancien suzerain Nour el-Dîn, l'atâbeg de Syrie : quand celui-ci lui demande de lui remettre le gouvernement de l'Égypte, il s'y refuse.

À tout le moins, le vieil atâbeg exige de son ancien lieutenant qu'il ordonne de lancer l'appel à la prière dans les mosquées du Caire au nom du calife sunnite de Bagdad et non du calife fatimide d'Égypte, de confession chiite.

Saladin, qui craint une révolte populaire, hésite longuement. Finalement, la mort du calife cairote va lui faciliter la tâche. Il proclame qu'il n'y a plus désormais qu'un seul calife ou chef spirituel pour l'ensemble des musulmans, celui de Bagdad, et abolit derechef le califat fatimide. 

Par la même occasion, en septembre 1171, Saladin se donne le titre prestigieux de sultan. Il n'en reste pas moins prudent. C'est ainsi qu'il envoie l'un de ses frères s'emparer du Yémen, à la pointe de la péninsule arabe, pour s'y replier dans l'éventualité d'un retournement du destin. Mais celui-ci lui restera favorable...

Nour el-Dîn s'apprête à marcher contre lui mais tombe malade et meurt à Damas le 15 mai 1174, ne laissant qu'un enfant pour successeur.

Là-dessus, le 11 juillet de la même année, à Jérusalem, le roi Amaury 1er meurt du typhus. Pour les croisés établis en Palestine depuis trois générations, c'est une perte immense. À ce vigoureux souverain, qui aurait pu contrarier les projets de l'ambitieux Saladin, succède un enfant de 13 ans, Baudouin IV, courageux jusqu'à l'héroïsme mais atteint d'une terrible maladie qui l'emportera à 24 ans : la lèpre !

Débarrassé de ses deux principaux rivaux, Saladin quitte l'Égypte pour Damas où il entre triomphalement le 25 novembre 1174. Il entreprend la conquête de la Syrie et soumet non sans peine les principautés turques de Mésopotamie (l'Irak actuel).

Saladin est reçu au camp de Richard Coeur de Lion (miniature du XIVe siècle)

Prestige du combattant de l'islam

Saladin ne perd pas de vue son objectif ultime, chasser les croisés de Jérusalem.

Ayant à peu près assuré son pouvoir sur l'Égypte et la Syrie, les deux principales parties du monde arabo-musulman, ce bâtisseur d'empire, au demeurant bon musulman, tourne ses coups contre les Francs installés en Palestine depuis deux générations, soit près d'un siècle.

Ses raisons sont religieuses mais également stratégiques, car les États francs de Palestine, fondés par les croisés 75 ans auparavant, séparent en deux son empire. Par ailleurs, le seigneur de Kérak et d'outre-Jourdain, le redoutable Renaud de Châtillon, menace les communications entre l'Égypte et la Syrie par la vallée du Jourdain. 

Qui plus est, en 1177, le grand-maître de l'ordre des Templiers convainc le roi Baudouin IV de construire une puissante forteresse au Gué de Jacob. Ce gué, sur le cours supérieur du Jourdain, est le principal passage entre Damas et la côte méditerranéenne. Il ne se trouve qui plus est qu'à une demi-journée de cheval de la capitale du sultan.

Ce dernier, empêtré dans les combats contre des chefs rebelles du nord de la Syrie, ne peut empêcher la construction de la puissante forteresse, défi lancé à son autorité. Mais le 30 août 1179, ayant enfin consolidé son pouvoir  sur la Syrie, il s'en empare enfin et massacre sa garnison.

Fort de ce premier et spectaculaire succès, il relève la mystique de la djihad (guerre sainte contre l'infidèle), depuis longtemps tombée en désuétude, et dirige désormais tous ses coups contre les croisés de Palestine jusqu'à la victoire décisive de Hattîn en 1187. Cette victoire fait oublier la défaite subie par le même Saladin à Montgisard deux ans plus tôt. Elle permet aux musulmans de reconquérir Jérusalem près d'un siècle après son annexion par les croisés.

Le monde arabe à nouveau désuni

La perte de Jérusalem entraîne une troisième croisade, conduite par trois grands souverains, Philippe Auguste, l'empereur Frédéric Barberousse et Richard Coeur de Lion. Défait à Arsuf en 1191, Saladin perd le port de Saint-Jean d'Acre, qui devient la capitale du « royaume de Jérusalem » ou de ce qu'il en reste, c'est-à-dire le littoral du Levant. Le nouvel état des lieux est entériné par le traité de Jaffa, en 1192.

Épuisé par l'ampleur de la tâche, le sultan rentre à Damas où il meurt en pleine gloire le 4 mars 1193.

Fondateur de la dynastie ayyoubide (d'après le nom de son père), Saladin laisse le pouvoir à son frère, Mélik el-Adil, l'ami du roi d'Angleterre Richard Coeur de Lion. Ce dernier a un moment envisagé de lui donner sa soeur Jeanne en mariage pour qu'ensemble, dans la tolérance, ils gouvernent la Terre sainte ! Mais ce projet utopique a avorté dans l'oeuf.

Le sultan Mélik el-Adil meurt de chagrin le 27 août 1218 en voyant les croisés occuper Damiette et menacer de s'emparer de l'Égypte. Après sa mort, son royaume est partagé entre ses deux fils, Mélik el-Kâmil auquel revient l'Égypte, et Mélik el-Mouazzam auquel revient la Syrie. C'en est fini de l'unité du monde arabe et de l'oeuvre de Saladin...

Saladin toujours vivant

La vie épique de Saladin a donné naissance à un mythe partagé par les croisés comme par les musulmans, par l'Occident comme par l'Orient. La postérité et les chroniques tant arabes que franques ont dressé du sultan l'image quelque peu surfaite d'un pieux chevalier, respectueux des règles de la guerre et de ses ennemis.

Mausolée de Saladin près de la mosquée des Ommeyiades, à Damas (érigé en 1193, le  mausolée a été restauré par l'empereur d'Allemagne Guillaume II en 1898), DR Ainsi les chroniqueurs francs rapportent-ils avec émotion que, lors de la prise d'Acre, Saladin racheta de ses deniers le nourrisson d'une jeune prisonnière franque pour le réunir à sa mère. Ils racontent aussi que le roi Richard Coeur de Lion ayant perdu son cheval à la bataille, Saladin lui en aurait fait envoyer un autre...

Mais le sultan témoigna aussi d'une cruauté inutile comme son époque en était coutumière. Il laissa des religieux musulmans sans expérience du sabre massacrer de façon atroce les Templiers et Hospitaliers capturés après la bataille de Hattîn... Et lorsque, jeune officier, il s'empara du pouvoir au Caire, il frappa avec une grande et inutile rigueur les chrétiens et juifs d'Égypte.

Au milieu du XXe siècle, quand le raïs Nasser tenta de restaurer l'unité du monde arabe en rapprochant son pays, l'Égypte, de la Syrie au sein d'une éphémère République Arabe Unie, il magnifia le souvenir de Saladin, dont il reprit le titre : al-Nasir (« le vainqueur »). Le sultan devint un modèle pour les nationalistes arabes en guerre contre Israël et l'Occident aussi bien que pour les propagandistes de la guerre sainte.


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Les croisades
Publié ou mis à jour le : 2023-08-18 21:38:36

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