16 août 1946

Ali Jinnah impose la création du Pakistan

Le 16 août 1946, le président de la Ligue musulmane Mohammed Ali Jinnah, lance une journée d'action dans toutes les Indes britanniques afin d'imposer la partition du pays et la création d'un État musulman indépendant, le Pakistan.

Il s'ensuit de violents heurts entre hindous et musulmans. On relève plusieurs milliers de morts à Calcutta, capitale administrative du British Raj (empire britannique des Indes).

Ali Jinnah recommande par ailleurs le boycott de l'Assemblée constituante réunie en décembre 1946.

Lassés par plusieurs années de longues et douloureuses tractations, les Britanniques se résignent alors à la partition des Indes, contre l'avis des hindous et notamment du plus célèbre d'entre eux, Gandhi, chef respecté du parti du Congrès.

Béatrice Roman-Amat
Le Pakistan, une invention d'étudiant

La Ligue musulmane a été créée en 1906 par plusieurs notables musulmans dont l'Aga Khan, chef des Ismaëliens, pour protéger les intérêts de leurs coreligionnaires. Elle se rapproche d'abord du parti du Congrès, multiconfessionnel et majoritairement hindou, et exige avec eux le départ des colons britanniques.

Mais dans les années 1920 et 1930, un clivage se creuse entre la Ligue et le Congrès, qui refuse que les musulmans disposent de collèges électoraux séparés.

Le poète Mohammed Ikbal suggère la création d'un État islamique indépendant ou lié au reste du pays dans une structure confédérale. Il regrouperait les deux principaux territoires à majorité musulmane, l'un à l'ouest, suivant la vallée de l'Indus, l'autre à l'est, à l'embouchure du Brahmapoutre, et pourquoi pas ? un troisième territoire autour d'Hyderabad, au centre de la péninsule.

Cette idée prend peu à peu corps. Elle est formulée le 28 janvier 1933 dans un document dactylographié de quatre pages, dans un cottage de Cambridge, au coeur de l'Angleterre ! Son auteur, Chandhuri Rhamat Ali, est un universitaire de quarante ans qui voit dans l'idée que les Indes constitueraient une seule nation un « absurde mensonge ». « Nous ne nous laisserons pas crucifier sur la croix du nationalisme hindou », écrit-il (note).

Réclamant la réunion des musulmans au sein d'une nouvelle nation, il forge pour celle-ci le terme de Pakistan, « pays des purs » dont les lettres désignent les provinces du nord-ouest, où les musulmans sont les plus nombreux : Pendjab, Afghana (Afghanistan), Kashmir (Cachemire), Sind et Baloutchistan...

Mohammed Ali Jinnah, vers 1945. Agrandissement : Portrait du fondateur du Pakistan au musée Ziarat à Médine.Notons que Rhamat Ali n'envisage pas d'adjoindre à cette nouvelle nation le Bengale oriental, bien qu'il soit aussi très fortement islamisé. En définitive réuni au Pakistan, le Bengale oriental s'en détachera en 1971 au terme d'une violente guerre de sécession pour devenir le Bangladesh.

Mohammed Ali Jinnah, président de la Ligue musulmane, s'oppose d'abord avec vigueur à la division des Indes. Mais la réticence des élus hindous du Congrès à partager les places dans les assemblées et les administrations finit par avoir raison de sa patience. Il se rallie finalement en 1940 à la création d'un État musulman séparé. Il va dès lors s'attacher à faire émerger un « nationalisme musulman ».

Un État coupé en deux

En mai 1945, le vice-roi Lord Wavell présente un plan de compromis qui vise à la création d'un conseil exécutif dans lequel hindous et musulmans seraient équitablement représentés. Il convoque une conférence à Simla, le 25 juin 1945, pour en débattre.

Ali Jinnah, qui représente la Ligue musulmane, revendique pour celle-ci le droit de représenter exclusivement les musulmans du pays. Mais le parti laïc du Congrès conteste sa prétention et la conférence se conclut sur un échec le 14 juillet 1946.

La Ligue musulmane, alors, durcit son discours. Elle appelle les musulmans à une « journée d'action directe » le 16 août 1946 afin de prouver leur détermination à conquérir le Pakistan tous seuls et si nécessaire par la force. 

La manifestation dégénère. À Calcutta, métropole violente (placée sous le patronage de Kali, déesse de la destruction !), des musulmans sortent de leur taudis et bastonnent à mort tous les hindous qui ont le malheur de les croiser. Ils s'en prennent aussi aux échoppes hindoues qu'ils pillent et incendient. Les hindous ne tardent pas à contre-attaquer... On évalue le bilan de la journée à un total d'au moins six mille morts. C'est la première expression de la haine meurtrière qui va désormais diviser les deux communautés.

Après ce drame, la Ligue musulmane s'honore d'une victoire aux élections législatives qui mettent en place une Assemblée constituante. Elle remporte tous les sièges réservés aux musulmans et voit dans cette victoire la légitimation de son projet.

L'année suivante, Ali Jinnah, obtus et déterminé, se montre sourd à toutes les tentatives de dialogue avec le nouveau vice-roi, le prestigieux et très charismatique lord Mountbatten.   

En désespoir de cause, malgré l'opposition absolue de Gandhi à la partition des Indes en deux États, le gouvernement britannique, par la voix de lord Mountbatten, se résigne à la partition, sur fond de violentes émeutes intercommunautaires.

Dans la nuit du 14 au 15 août 1947, à minuit, comme prévu, l'Inde et le Pakistan, dont Karachi devient la capitale, naissent simultanément. L'été 1947 est ensanglanté par des massacres massifs de musulmans, d'hindous et de Sikhs en Inde et au Pakistan (ils sont décrits de façon saisissante dans le roman Tamas de Bhisham Sahni). On évalue le nombre de victimes à un demi-million. 15 à 20 millions de personnes se jettent sur les routes et dans les trains pour rejoindre l'État où leur religion est majoritaire.

Le Pakistan rompt l'unité du sous-continent

La création du Pakistan rompt avec l'unité politique du sous-continent indien que le colonisateur britannique avait pour la première fois réalisée un siècle plus tôt.

Le jeune État pakistanais apparaît comme le plus grand État musulman du monde avec environ 80 millions d'habitants. Mais son caractère totalement artificiel rend sa survie aléatoire.

Qui plus est, il souffre d'emblée d'un handicap majeur : son territoire est divisé en deux portions, séparées par 1600 km : à l'est de l'Inde, le Bengale, ou Pakistan oriental, qui se réduit à un immense delta battu par les inondations et les tornades tropicales ; à l'ouest, le Pakistan occidental, région semi-aride et montagneuse, traversée par la vallée de l'Indus et dotée de quelques infrastructures industrielles.

Le Bengale ne représente que 14% du territoire du Pakistan mais regroupe près de la moitié de la population. Ses habitants sont plus pauvres que leurs concitoyens occidentaux et méprisés par ceux-ci. Ils parlent le bengali, qui n'a rien à voir avec la langue dominante du côté occidental, l'ourdou, une variante de l'hindi - principale langue du nord de l'Inde - mais en caractères arabes.

Dès 1947, une guerre ouverte oppose l'Inde et le Pakistan pour la possession du territoire du Cachemire, un État à majorité musulmane mais dont le prince est hindou. En 1949, l'intervention de l'ONU permet le tracé d'une ligne de cessez-le-feu qui coupe la région en deux.

La frontière avec l'Afghanistan est à peine plus calme que la frontière indo-pakistanaise : les ethnies pachtounes y réclament la création d'un « Pachtounistan » réunissant Pachtounes pakistanais et afghans.

Laborieuse construction de l’unité politique

Le Pakistan va devoir faire face au défi de l'intégration des Mohajirs, les émigrants qui ont fui l'Inde lors de la partition, cela dans le cadre d'une grande instabilité politique. Dès septembre 1948, Jinnah, le père de la nation, disparaît. Son successeur est assassiné, tandis que la Ligue musulmane se disloque.

Le pays n'adopte une constitution qu'en 1956. Elle marie étrangement attributs des régimes parlementaire et présidentiel et instaure une République islamique fédérale.

Prenant le contre-pied de l'Inde, qui s'engage sur la voie du non-alignement tout en se rapprochant de l'URSS, le Pakistan islamique se rapproche de la Chine communiste, rivale de l'Inde, et se place résolument dans le camp américain. Les États-Unis lui fournissent aide militaire et économique.

Instabilité chronique

L'instabilité politique chronique facilite la prise du pouvoir par les militaires. En 1958, le président Iskander Mirza dissout le parlement et proclame la loi martiale, soutenu par le commandant en chef des armées. Celui-ci, le général Ayoub Khan (ou Ayyub Khan), le force à démissionner quelques jours plus tard et prend le pouvoir pour plus d'une décennie. L'armée, essentiellement composée de Pendjabis, originaires de la partie occidentale, se présente comme le garant de la sécurité du pays face à la menace indienne. Les partis politiques sont interdits et la presse censurée.

Parallèlement, les années 1960 constituent une période de forte croissance économique et de développement de l'industrie (on parle même de « miracle pakistanais »). Mais cette amorce de développement ne bénéficie toutefois qu'à la partie occidentale du pays. Le général Ayoub Khan cherche également à limiter l'influence des oulémas sur la société et à moderniser le droit de la famille (limiter la polygamie, renforcer les droits de succession des femmes...).

En 1965, une nouvelle guerre oppose l'Inde au Pakistan au sujet du Cachemire. Elle se termine par un cessez-le-feu qui laisse la question en suspens. Depuis lors, on ne compte plus les accrochages militaires meurtriers sur les crêtes montagneuses de la province.

Le Bangladesh fait sécession dans la douleur

En 1969, le général Ayoub transmet le pouvoir au commandant en chef des armées, le général Yahya Khan. Celui-ci organise l'année suivante des élections libres qui débouchent sur la victoire du Parti du Peuple Pakistanais de Zulfikar Ali Bhutto (opposition) au Pakistan Occidental et de la Ligue Awami, mouvement pour l'indépendance du Bengale, au Pakistan oriental.

Le leader de la ligue Awami, Mujibur Rahman, proclame l'indépendance du Bangladesh (« Nation du Bengale » en bengali). L'armée pakistanaise tente d'écraser cette sécession dans le sang, au prix de la vie de milliers de Bengalis et de violences sans nom (viols systématiques...), mais l'intervention de l'Inde d'Indira Gandhi l'oblige à abandonner le Bangladesh dans des conditions humiliantes.

Cette défaite précipite l'accession au pouvoir du leader civil Ali Bhutto, premier Sindhi à accéder au pouvoir. Il met sur pied une politique d'inspiration socialiste (intitulée « socialisme islamique » afin de gagner des partis religieux) et réprime les révoltes du Baloutchistan, sur la frontière occidentale. Une puissante opposition se cristallise pourtant autour de lui, dans un contexte de fin du « miracle pakistanais » et de choc pétrolier de 1974.

Entre dictature militaire et terrorisme islamiste

En 1977, le général Zia ul-Haq le renverse, assume la présidence de l'État et suspend la constitution. Bhutto, accusé de corruption, de fraude électorale et de complicité d'assassinat, est pendu. Sa fille Benazir, qui prend son relais à la tête du PPP, est contrainte à l'exil.

Le vent ayant tourné en faveur des islamistes en Iran et ailleurs, Zia impose la charia et soutient activement la résistance afghane contre l'invasion soviétique, faisant à nouveau du Pakistan le meilleur ami des États-Unis. Les liens profonds qui existent aujourd'hui encore entre les mouvements islamistes afghans et pakistanais d'une part et les services de renseignements pakistanais et l'armée d'autre part remontent en grande partie à cette période.

Les années 1980 à 2000, marquées par une nouvelle guerre avec l'Inde, l'acquisition de l'armée nucléaire, l'alternance de régimes civils et militaires, l'apparition de violences interconfessionnelles (entre chiites et sunnites) et l'autonomisation accrue des zones tribales, n'ont pas permis au Pakistan de trouver la stabilité.

Publié ou mis à jour le : 2023-07-25 15:49:08

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