22 novembre 1831

La révolte des canuts de Lyon

Le 22 novembre 1831 éclate sur la colline de la Croix-Rousse, au nord de Lyon, la révolte des canuts. La révolte intervient un an après l'accession au trône de Louis-Philippe. Elle se propage dans tous les quartiers ouvriers de la métropole. Les insurgés prennent pour emblème le drapeau noir et la devise : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ».

Christian Guyard et André Larané

Victimes du progrès technique

On est au début de la Révolution industrielle... Le mot paupérisme, importé d'Angleterre en France en 1822, exprime le sentiment général que l'enrichissement de la bourgeoisie se paye de l'appauvrissement de la classe ouvrière.

À Lyon, les canuts, dont le nom vient du mot canette, ou bobine, sont des artisans qui tissent la soie à domicile sur leur propre métier à bras. Ils travaillent pour le compte des soyeux (les patrons négociants) qui leur fournissent la matière première et récupèrent le produit fini. Ils sont environ 6 000 artisans et emploient 30 000 compagnons.

Le revenu des uns et des autres, 18 sous environ pour quinze heures de travail par jour, ne permet qu'une vie de misère. Du fait de métiers à tisser beaucoup plus productifs qu'auparavant, comme le métier Jacquard, et en dépit d'une demande soutenue, ce revenu est deux fois moindre que sous le Premier Empire !

Les canuts font appel au préfet du département, Louis Bouvier-Dumolart, et obtiennent qu'une commission paritaire fixe un tarif minimum. Le préfet fait ensuite afficher dans la ville la déclaration suivante : « Si par exception quelques ouvriers honnêtes ont encore des griefs à faire redresser, les voies légitimes leur sont ouvertes, et ils sont assurés d'y trouver une bienveillante justice ». Mais en recevant les délégués ouvriers, il a enfreint la loi Le Chapelier (1791) qui interdit les associations ouvrières et cela lui vaut d'être désavoué par Paris.

Patrons réfractaires aux concessions

Plus gravement, certains soyeux refusent d'appliquer le tarif minimum en prétextant comme de coutume de la concurrence internationale et des contraintes du marché. Les canuts, en colère, se mettent en grève. Le 19 novembre 1831, au cœur de la Croix-Rousse, ils font face à la garde nationale. Des coups de feu claquent. La révolte gronde.

Deux jours plus tard, les canuts descendent de leur colline, drapeau noir en tête, et occupent le centre de Lyon après quelques combats avec les forces de l'ordre. On compte plus d'une centaine de morts. Maîtres de la deuxième ville de France mais ne sachant que faire de leur victoire, les canuts et la garde nationale, qui s'est finalement ralliée à eux, constituent un comité insurrectionnel pour se donner le temps de réfléchir. Ils s'abstiennent soigneusement de tout pillage.

Voilà le roi Louis-Philippe Ier confronté à sa première révolte sociale à peine plus d'un an après son accession au pouvoir. Le Président du Conseil Casimir Perier, par-dessus tout soucieux d'ordre, envoie 20 000 soldats sous les ordres du maréchal Soult aux portes de Lyon. Ils attendent patiemment que les insurgés se lassent.

Enfin, le 5 décembre 1831, les troupes peuvent entrer dans la ville sans effusion de sang. La garde nationale est désarmée et dissoute, le tarif minimum abrogé et le préfet, jugé trop conciliant, révoqué. Onze canuts sont traduits en justice, condamnés... et acquittés l'année suivante (l'un des meneurs, Jean-Claude Romand,  est toutefois envoyé au bagne en raison d'un vol avec effraction commis quelques semaines avant la révolte).

Frayeur dans les salons

Casimir Perier (1777-1832), 1832, château de VersaillesCasimir Perier déclare à la Chambre des députés : « Il faut que les ouvriers sachent qu'il n'y a de remède pour eux que la patience et la résignation ». Il n'aura guère le temps de savourer son succès. Épuisé par le travail, il contracte le choléra lors d'une visite auprès des malades à l'Hôtel-Dieu de Paris et meurt le 16 mai 1832.

Dans le Journal des débats, le 8 décembre 1831, Saint Marc Girardin, conseiller d'État, exprime la frayeur des classes possédantes face à la révolte des canuts, si nouvelle dans son principe : « La sédition de Lyon de 1831 a révélé un grave secret, celui de la lutte intestine qui a lieu dans la société entre la classe qui possède et celle qui ne possède pas.. Notre société commerciale et industrielle a sa plaie comme toutes les autres sociétés ; cette plaie, ce sont les ouvriers. Point de fabrique sans ouvriers, et avec une population d'ouvriers toujours croissante et toujours nécessiteuse, point de repos pour la société [...].
Les barbares qui menacent la Société ne sont point au Caucase ; ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières ».

La « Sanglante semaine »
La révolte des canuts en 1834, gravure colorisée

À nouveau les canuts lyonnais se soulèvent en 1834, après que des meneurs ont été traduits en justice pour avoir dénoncé des baisses de salaires et fait grève. Cette fois, ils trouvent en face d'eux le ministre de l'Intérieur Adolphe Thiers, beaucoup moins accommodant que Casimir Perier. Il laisse les manifestants ériger des barricades puis fait donner la troupe. Celle-ci va méthodiquement reconquérir la ville.
On compte environ 600 morts et 10 000 arrestations au cours de la « Sanglante semaine » du 9 au 15 avril 1834. La répression rassure les possédants sur la détermination du gouvernement à les protéger contre les barbares des faubourgs. C'est un prélude à la « Semaine sanglante » de 1871 par laquelle le même Thiers mettra un terme à la Commune de Paris.

Publié ou mis à jour le : 2023-11-23 09:49:04
Loignon (22-11-2020 11:21:12)

Juste pour évoquer cette "onomatopée sociale" typiquement lyonnaise, "bistanclaque et pan" reproduisant les sons des métiers à tisser des canuts, qui retentissaient tout le jour durant à la Croix... Lire la suite

Guyard (20-11-2016 17:54:18)

Bonjour, Le souvenir de cette révolution reste bien vivant sur la Croix Rousse. Tous les ans des conférences, des visites de quartier, du théâtre etc. Une petite recherche sur le net donne une id... Lire la suite

Paul (14-10-2010 14:03:09)

Savoir tirer les leçons de l'histoire...

Il est important de signaler cette révolte des canuts provient d'une première révolution que l'on peut qualifier de "numérique" car liée à une automatisation programmée et programmable des machines à tisser (sous forme de bandes de papier perforé)remplaçant un travail hautement qualifié et permettant non seulement d'augmenter la productivité du travail mais de rendre plus flexibles les réponses aux demandes variables et évolutives des acheteurs : il suffisait de changer le programme pour produire un autre tissu.

Il faut mettre en relation ce premier exemple d'automatisation numérique programmée du travail qualifié avec la révolution numérique actuelle utilisant des supports plus puissants que des bandes perforées, révolution numérique bien entendu plus perfectionnée dans ses réalisations et dans sa généralisation à de nombreuses tâches jusque là considérées comme nécéssitant une intervention humaine.

Nos dirigeants politiques ou privés ne semblent pas plus prêts que les gouvernants et chefs d'entreprises du temps des canuts à partager équitablement les résultats des gains énormes de productivité du travail occasionnés par cette automatisation de plus en plus poussée des processus de production de biens et services, la révolution numérique actuelle touche en effet non seulement la production de biens matériels mais aussi la production de services.

Espérons qu'il ne faudra pas attendre qu'adviennent des émeutes sanglantes pour qu'enfin nos dirigeants comprennent que ce serait pourtant dans leur intérêt de repenser le système de distribution des richesses crées par l'augmentation de la productivité du travail.
Notons que même la Commision Européenne qui n'est pas spécialement connue pour ses pensées sociales a publié en 2003 un document intitulé: "Le coût de ne pas avoir de politique sociale" où il est démontré que l'économie a besoin de politiques sociales, ne serait-ce que pour éviter les désordres sociaux mais aussi pour fluidifier les mécanismes des divers marchés, en particulier le marché du travail...
COSTS OF NON-SOCIAL POLICY:
TOWARDS AN ECONOMIC FRAMEWORK OF QUALITY SOCIAL POLICIES –
AND THE COSTS OF NOT HAVING THEM

Bernard (05-10-2010 16:01:51)

Qu'elle a été l'évolution entre 1831 et 2010 ? «La sédition de Lyon de 1831 a révélé un grave secret, celui de la lutte intestine qui a lieu dans la société entre la classe qui possède et... Lire la suite

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