10 mai 1802

« Le dernier cri de l'innocence et du désespoir »

Le 10 mai 1802, Louis Delgrès (36 ans) adresse à l'univers entier « le dernier cri de l'innocence et du désespoir ».

Par cette proclamation affichée sur les murs de Basse-Terre, en Guadeloupe, ce brillant officier de l'armée de la Révolution s'indigne que l'on veuille rétablir l'esclavage sur l'île. Il revendique le droit de résistance à l'oppression et lance un appel à la fraternité.

Cécile Baquey
Un héros de la Révolution

Louis Delgrès, fils d'un planteur de la Martinique et d'une mulâtresse, est né le 2 août 1766 à Saint-Pierre. Il sert dès 1791 dans les armées de la Révolution avec le grade de sergent.

Comme beaucoup de jeunes Français de son époque, il va se hisser dans l'échelle sociale grâce à son enthousiasme révolutionnaire, à son courage et à sa ferveur républicaine.

En 1794, lorsque les Anglais envahissent la Martinique, il est fait prisonnier et déporté en Grande-Bretagne. À sa libération, il rejoint la Bretagne où il participe à la formation du bataillon des Antilles avec le grade de lieutenant. L'année suivante, il part avec son bataillon en Guadeloupe. Sa bravoure face aux Anglais, à Sainte-Lucie, lui vaut d'être nommé capitaine par le commissaire de la Convention.

À Saint-Vincent, en juin 1796, Louis Delgrès est à nouveau capturé par les Anglais et déporté en Grande-Bretagne. Libéré l'année suivante, il est promu commandant et chef de bataillon. Fin 1799, il revient en Guadeloupe tandis que Napoléon Bonaparte instaure le Consulat et clôt la Révolution. En janvier 1802, enfin, il obtient le grade de colonel.

La fin des espérances révolutionnaires

Sur le continent européen, la paix se prépare entre la France et ses ennemis, y compris l'Angleterre.

Le Premier Consul Bonaparte profite de l'accalmie pour tenter de reconstituer l'empire colonial français des Amériques. En 1801, il envoie une puissante expédition à Saint-Domingue en vue de soumettre Toussaint Louverture. La même année, un nouveau gouverneur (ou capitaine-général) débarque à la Guadeloupe : le baron de Lacrosse.

Dans l'île s'opposent les anciens planteurs, qui ont émigré pendant la période révolutionnaire par fidélité à l'Ancien Régime, et les républicains, qui ont repris leurs plantations et voudraient les garder. Parmi ces derniers figurent des métis. Lacrosse, pour calmer le jeu, essaie dans un premier temps d'éloigner les officiers de couleur de la garnison de Pointe-à-Pitre, capitale de la Guadeloupe.

La garnison s'insurge, arrête Lacrosse, l'expulse et met en place un conseil provisoire de six membres, présidé par Magloire Pelage, officier mulâtre le plus élevé en grade. Sans attendre, le conseil fait allégeance au Premier Consul mais celui-ci n'en a cure. Considérant l'île en rébellion, il y envoie une puissante flotte de 11 navires et 3.500 hommes sous les ordres du général Antoine Richepance, un héros de la bataille de Hohenlinden.

Ultime insurrection

Magloire Pelage se soumet au nouveau maître de l'île. Quant à Joseph Ignace et Louis Delgrès, autres officiers mulâtres, ils choisissent d'entrer en rébellion. Louis Delgrès soupçonne non sans raison le Premier Consul Bonaparte, qu'il admire par ailleurs, de vouloir rétablir l'esclavage huit ans après qu'il ait été aboli par le décret de Pluviôse.

Les rebelles, accompagnés de plusieurs centaines d'hommes, se réfugient dans le fort Saint-Charles, à Basse-Terre.

La position devient vite intenable. Joseph Ignace et 600 hommes évacuent le fort pour se poster près de Pointe-à-Pitre, dans la redoute de Baimbridge.

Quant à Louis Delgrès, il se retranche avec 300 hommes à Matouba, sur les hauteurs de Basse-Terre, dans l'habitation Danglemont après avoir placardé sa proclamation sur les murs de Basse-Terre, dans un ultime défi à l'ennemi.

À Baimbridge, c'est l'hécatombe, Ignace, ses deux fils et tous leurs hommes sont tués par les troupes de Magloire Pelage.

Le 28 mai 1802, c'est au tour de Delgrès de subir l'assaut. Après de terribles combats, le colonel, plutôt que de se rendre, choisit de se faire sauter avec ses compagnons survivants, non sans avoir fait évacuer au préalable les habitants de l'endroit, y compris les blancs.

La répression est particulièrement sanglante. Elle n'épargne pas les femmes. Parmi elles, la mulâtresse Solitude, une libre de couleur ou une esclave domestique née 30 ans plus tôt. L'écrivain André Schwartz-Bart lui a rendu hommage dans un roman : La Mulâtresse Solitude (1972), en l'imaginant née du viol de sa mère sur le navire négrier qui l'amenait d'Afrique. Comme Solitude est enceinte au moment de sa capture, elle ne sera pendue, par une étrange mesure d'humanité, qu'au lendemain de son accouchement, soit le 29 novembre 1802. 

Au prix de nombreuses atrocités supplémentaires, Richepance reprend l'île aux insurgés. Enfin, le 17 juillet 1802, quelques semaines avant sa mort, il prive les travailleurs des plantations du droit à salaire et tous les hommes de couleur de la citoyenneté. C'est de fait le rétablissement de l'esclavage. Ce faisant, Richepance va plus loin que le décret du 20 mai 1802 qui prévoyait seulement son maintien là où il n'avait pas été aboli : dans l'océan Indien et « dans les colonies restituées à la France en exécution du traité d'Amiens » (la Martinique).

Une blessure toujours saignante

Le fort Saint-Charles a été d'abord rebaptisé Richepance par un douteux hommage au chef de la répression. En 2002, il prend le nom de fort Delgrès.

Louis Delgrès, détail du Fort Delgès à Basse-Terre en Guadeloupe. Agrandissement : Buste de Louis Delgrès à Matouba, commune de Saint-Claude.Après avoir beaucoup donné à la France et à la Révolution, le rebelle est devenu pour la Guadeloupe et la nation française un symbole de la résistance à l'esclavage. Quant à Richepance, il est toujours inhumé au fort Delgrès ! Sur sa pierre tombale, son nom ne figure plus mais l'on peut lire : « Mort à 32 ans. Mais combien n'a-t-il pas vécu pour la gloire et pour la patrie ».

Cette Terreur révolutionnaire et post-révolutionnaire va laisser des traces profondes à la Guadeloupe. Aujourd'hui encore, l'île souffre d'un retard économique et social par rapport à sa voisine, la Martinique, qui a conservé ses structures intactes.

L'essentiel de l'économie guadeloupéenne a glissé entre les mains des Békés de Martinique et tandis que celle-ci a conservé une forte empreinte européenne, la Guadeloupe, débarrassée par la Terreur de la plupart de ses « Blancs-Pays », compte aujourd'hui à peine 5% d'Européens dont une moitié de métropolitains. S'y ajoutent environ 15% de descendants des travailleurs tamouls amenés des Indes après l'abolition de l'esclavage (1848). La population restante est noire ou métisse.

Publié ou mis à jour le : 2022-05-10 18:09:49
Margane (11-07-2015 13:06:30)

Ce fut une des grandes erreurs de Napoléon (avec la guerre d'Espagne ) comme quoi on peut être aussi grand que petit!! Que d'injustice tout de même!

Arthur Gohin (23-02-2009 20:57:48)

Comme quoi la déclaration des droits de l'homme est bien futile. Rien ne résiste à la mentalité réelle de l'homme.

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